L'édito de Pascal Boniface

Syrie : il faut montrer les preuves de l’emploi d’armes chimiques… surtout aux Russes

Édito
29 août 2013
Le point de vue de Pascal Boniface

Les déclarations convergentes des dirigeants occidentaux, les annonces américaines, ainsi que la place que prend ce débat dans les médias montrent que nous sommes à la veille d’une intervention militaire puisqu’elle est jugée nécessaire par ses responsables, lesquels estiment indéniable l’usage d’armes chimiques par Bachar al-Assad.
 


Il semble donc manifeste que le climat actuel annonce une intervention armée. D’ailleurs, si rien n’était fait après toutes ces déclarations, les pays occidentaux et leurs dirigeants perdraient toute crédibilité. Ils se sont donc eux-mêmes placés en position de mener une action, brûlant en quelque sorte leurs vaisseaux au travers de déclarations aussi martiales.
 


Il n’est évidemment pas question d’une intervention massive, terrestre, comme ce fut le cas en Irak (dont l’action avait d’ailleurs été précédée par des opérations aériennes). Il n’est pas non plus question d’une intervention aérienne, comme ce fut le cas en Libye, laquelle, il faut le rappeler, a duré sept mois (du début de l’opération militaire franco-britannique soutenue par les Américains contre Kadhafi au renversement de celui-ci). On sait quand on commence une guerre, on ne sait pas quand on la termine.
 


L’option envisagée aujourd’hui repose plutôt dans des frappes à partir de missiles tirés à distance, ou peut-être même des frappes aériennes. Mais là encore, il y a une difficulté, dans la mesure où la défense aérienne de Bachar al-Assad est manifestement plus puissante que ne l’était celle de Kadhafi. Ainsi, l’hypothèse de tir sélectif à partir de positions aux alentours de la Syrie paraît la plus probable, avec des missiles tirés à distance.
 


Toutefois, une interrogation demeure : une fois cette intervention menée, que se passera-t-il ? Certes, ces frappes peuvent affaiblir le dispositif militaire de Bachar al-Assad, mais elles ne le renverseront pas, ce qui ne sera donc pas suffisant. Il s’agit donc de "punir" Bachar al-Assad d’avoir utilisé des armes chimiques, comme l’a déclaré le président français, François Hollande, devant les ambassadeurs français, pas de déloger le pouvoir.
 


Les Occidentaux affirment avoir des preuves indéniables de l’usage d’armes chimiques par le régime de Damas. Mais Barack Obama parlait lui-même d’un climat de ressentiment dans la région à l’égard des Américains, et ce, dans la mesure où, à de nombreuses occasions, les Américains ont menti.
 


Chacun garde en mémoire le précédent de 2003 où nous étions censés trouver des armes de destructions massives en Irak, lesquelles ne l’ont jamais été parce qu’elles n’existaient pas. À cet égard, il y a donc, dans une partie de l’opinion, un fort scepticisme.
 


Par conséquent, si ces preuves indéniables sont avérées, il serait de bonne politique de les montrer de manière incontestable. Cette intervention sera, quoi qu’il en soit, critiquée. Mais elle le sera moins si elle se déroule dans une certaine transparence au vu des précédents historiques. 
 


Il convient également de rappeler que, si la Russie bloque la situation, c’est qu’en Libye l’objectif même de la mission avait été changé en cours de route. Partis avec un feu vert tacite des Russes – puisqu’ils s’étaient abstenus sur le vote de la résolution 1973 et le fait de protéger la population –, les pays participants à l’opération ont transformé la mission pour aller au changement de régime. Et les Syriens paient aujourd’hui le prix de ce qui s’est passé en Libye il y a deux ans.
 


Donc, si ces preuves indéniables existent, il s’agit de les révéler, ne serait-ce qu’aux Russes, pour éventuellement ébranler leur position, ainsi qu’aux opinions publiques, ce qui contribuerait à rendre plus légitime cette intervention militaire. Surtout si, comme il en est question, elle se déroule en dehors du cadre légal du Conseil de sécurité.
 


Reste que, pour l’avenir, la question de la gestion de la sécurité collective reste ouverte. Comment ne pas être pris dans le piège du choix entre la guerre illégale (en cas de blocage du Conseil de sécurité) et de l’inaction de la communauté internationale face à des crimes contre l’humanité ?
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