L'édito de Pascal Boniface

La faim, une arme de destruction massive

Édito
30 novembre 2011
Le point de vue de Pascal Boniface
Inlassablement, Jean Ziegler continue son combat contre les injustices internationales et l’exploitation des peuples du Sud.

35 ans après la publication de Une suisse au-dessus de tout soupçon, qui lui a valu de solides inimités et même des accusations d’avoir trahi son pays, après avoir écrit, entre autres, La haine de l’occident, et L’empire de la honte, il récidive avec le livre Destruction massive (éditions du Seuil)*, fruit de son expérience d’ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’O.N.U, de 2000 à 2008.

On parle sans cesse d’armes de destruction massive. Mais la faim, qu’on associe peu à ce terme, en est une, diablement plus dangereuse. Cela est d’autant plus scandaleux que dans l’état actuel, les cultures mondiales pourraient nourrir sans problème 12 milliards d’êtres humains.

Néanmoins, le nombre de personnes gravement et en permanence sous-alimentées s’élevait en 2010 à 925 millions selon la Food and Agriculture Organization (FAO). Jean Ziegler reprend l’approche de Josué de Castro, qui avait publié Géopolitique de la faim et avait eu cette formule : « La moitié des Brésiliens ne dorment pas parce qu’ils ont faim. L’autre moitié ne dort plus car elle a peur de ceux qui ont faim. »
La nourriture représente 10 à 15 % du revenu familial occidental, 80 à 85 % pour les pauvres des pays du Sud.

Jean Ziegler n’y va pas par quatre chemins. Selon lui : « les trois cavaliers de l’apocalypse de la faim organisée sont l’OMC, le FMI et, dans une moindre mesure, la banque mondiale ». Il cite pour exemple, Haïti qui était autosuffisant en riz au début des années 80. Un tarif douanier de 30 % frappait le riz importé. Au cours des années 80, Haïti a subi des plans d’ajustement structurel du FMI, le tarif douanier fut ramené à 3 %. Fortement subventionné par Washington, le riz nord-américain envahit alors les villes et villages, détruisant la production nationale et l’existence sociale de centaines de milliers d’agriculteurs.

Autre exemple, au Niger, le FMI a ordonné la liquidation de l’Office national vétérinaire ouvrant le marché aux sociétés multinationales privées. Il a également demandé la dissolution des stocks de réserves détenues par l’État, 40 000 t de céréales qui pervertissaient le libre fonctionnement du marché.
Autres convoquées au rang des accusés : les grandes puissances. Au sommet de Gleneagles (2005), le G8 propose 50 milliards de dollars pour financer un plan d’action de lutte contre la misère en Afrique. Tony Blair en fait l’un des moments culminants de sa carrière politique. En 2010, on apprendra que 12 milliards seulement ont effectivement été versés. En 2011, le programme alimentaire mondial (PAM) évalue ses besoins incompressibles à 7 milliards de dollars, il en a reçu 2,7.

Ces sommes sont à mettre en parallèle avec les 1 700 milliards d’euros donnés aux banques.
Les multinationales ne sont bien sûr pas épargnées. Six sociétés concentrent 85 % du commerce mondial des céréales et huit se partagent 60 % des ventes mondiales de café, trois détiennent plus de 80 % des ventes de cacao et trois, 80 % du commerce des bananes.

Jean Ziegler propose des solutions. 50 $ suffisent pour envoyer un enfant à l’école pendant une année, comme cela a été testé en Éthiopie et au Bangladesh, l’alimentation scolaire venant parfois briser le cycle de la faim, de la pauvreté et de l’exploitation familiale.

Il propose également de lutter contre la spéculation en contraignant ceux qui achètent des matières premières agricoles à les livrer, et de limiter l’intervention des producteurs ou utilisateurs de ces matières premières sur les marchés.
* Destruction massive, Jean Ziegler, éditions du Seuil, oct 2011, 352 pages
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