L'édito de Pascal Boniface

Entretien avec Meïr Waintrater, membre du bureau JCall en France

Édito
18 juin 2012
Le point de vue de Pascal Boniface

« La diplomatie française au Proche-Orient ne doit pas désigner un coupable » : sous ce titre, le quotidien Le Monde a publié, dans son édition datée du 22 mai 2012, une tribune signée par quatre responsables du mouvement JCall-France : son président, Gérard Unger, son secrétaire général, David Chemla, et deux membres du bureau, David Elkaïm et Meïr Waintrater. Ce dernier revient ici sur le contenu de leur intervention, et sur les principes qui doivent, selon JCall, guider la politique proche-orientale de la France et de l’Union européenne :




– Peut-on mettre sur un même plan l’occupant et l’occupé dans le conflit israélo-palestinien ?

Notre article n’était pas une déclaration générale d’intention sur la question, c’était une réponse à un article publié par des gens avec qui nous partageons d’ailleurs beaucoup d’analyses, avec qui nous sommes d’accord dans une large mesure (et nous le disons dans cet article), mais à qui nous reprochons d’avoir une approche foncièrement déséquilibrée.

Il y a en effet un occupant et un occupé. Mais si l’on veut vraiment résoudre le problème, il faut prendre un peu de champ. Nous considérons qu’on ne peut pas aborder sérieusement le conflit israélo-palestinien si on ne se pénètre pas d’abord du fait qu’il s’agit d’une situation qui met en cause deux peuples : le peuple juif israélien, et le peuple arabe palestinien. Deux peuples qui ont l’un et l’autre, et exactement au même titre, le droit à l’indépendance, à la sécurité, à une vie dans la paix. Ces droits ne peuvent pas être concurrents, ils doivent être conciliés.

Si on ne prend pas ce champ et si l’on ne s’oblige pas à chaque instant à reprendre ce champ, alors on entre dans des situations comme celles indiquées par cet article, qui nous semblent inadéquates et contre-productives – et j’ajouterai aussi: contraires aux intérêts diplomatiques de la France et de l’Europe.

– La communauté internationale doit-elle se saisir du dossier et exercer des pressions sur les protagonistes qui n’arrivent pas à s’entendre ?

Il faut certainement qu’il y ait une saisie du dossier plus active, plus proactive, que ce n’est le cas aujourd’hui par la communauté internationale, et c’est d’ailleurs ce que nous disions dans l’appel fondateur de JCall qui date de 2010. En tant que Juifs européens, nous appelions l’Europe à exercer ses responsabilités. Mais là aussi, la question est dans la manière de le faire.




Lorsque les pressions sont exercées simultanément sur les deux parties, lorsqu’à chaque instant on donne à chacune des deux parties le sentiment que ses droits essentiels sont pris en compte, alors on a des chances d’aboutir à quelque chose. Ç’a été le cas dans une situation comme celle des négociations de Camp David en septembre 1978, menées par Jimmy Carter entre l’Israélien Menahem Begin et l’Egyptien Anouar El Sadate.

– Pensez-vous encore que la création de deux Etats soit possible ?

Si nous sommes attachés à la solution des deux Etats, ce n’est pas seulement parce qu’elle nous semble bonne ou conforme aux intérêts de l’Etat d’Israël et du peuple juif, mais parce que toute autre solution, et notamment la solution d’un Etat unique que l’on agite parfois comme une réponse, est catastrophique et, à terme, dangereuse pour les deux peuples. Une solution réelle serait la coexistence de deux peuples dans deux Etats, avec ensuite toutes les possibilités que l’on peut imaginer de liens entre les deux Etats, voire de confédération où ensuite les deux Etats sont libres et peuvent faire ce qu’ils veulent.

Au lieu de ça, on essaie d’imposer à des gens qui ne se sont jamais réellement connus, et qui n’ont jamais réellement vécu ensemble sauf dans des situations conflictuelles, de leur imposer la vie dans un état unique. Cela ne peut qu’aboutir à court terme, à une situation de domination d’un peuple sur l’autre, à cause du déséquilibre économique et social qui fait que l’un des deux serait en position de dominant. Et cela aboutirait à moyen terme à un bain de sang.

Donc, la solution dite de l’Etat unique est à mes yeux la pire catastrophe qui pourrait arriver aux deux peuples aujourd’hui.

C’est pourquoi notre attachement à la solution de deux Etats n’est pas seulement le fruit d’une sympathie ou d’un attachement sentimental. Nous avons en réalité un sentiment d’urgence car nous courons vers un précipice, que l’on appelle guerre ou Etat unique. Il faut revenir de toute urgence à la logique de deux Etats pour deux peuples. Non pas seulement pour le principe mais pour les peuples. Il faut revenir au droit des peuples, et le droit des peuples signifie deux Etats.


 
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