L'édito de Pascal Boniface

BHL, la nuit du Flore : connivence des élites, mépris du public.

Édito
20 décembre 2010
Le point de vue de Pascal Boniface

On ne peut ignorer la réception qui a eu lieu au Flore à l’invitation de Bernard Henri Lévy pour fêter les 20 ans de sa revue La règle du jeu.
Elle a donné lieu à des commentaires ébahis dans la presse et dans la blogosphère amie (BHL ayant l’intelligence de ne pas diaboliser le net).
Comme il est écrit sur le site Internet de la revue « la vraie question qui se pose à cet instant est : quel est le patron de presse qui manque ? » À en lire le compte rendu, ils étaient tous là ainsi que les principaux éditorialistes, les intellectuels les plus en vue, sans oublier des responsables politiques de premier plan.

Il y avait les aficionados du maître des lieux, les affidés qui lui doivent tout ou partie de leur carrière et espèrent encore une marge de progression, des gens simplement heureux « d’en être » et de pouvoir vérifier ainsi leur propre statut social, quelques prudents qui estiment qu’il est préférable de ne rien refuser à BHL et sans doute quelques idiots utiles, convaincus qu’il est un défenseur universel des droits de l’homme.

On peut imaginer que la plupart d’entre eux n’ont jamais ouvert la revue dont il venait célébrer l’anniversaire. Comme l’ont souligné ses amis seul BHL est capable de fédérer autant de gens différents. Si certains pensaient naïvement que l’affaire Botul était le dernier clou planté dans la crédibilité de BHL, ils auront constaté leur erreur.

En quoi cela suscite-t-il un malaise ? Pourquoi le net et les conversations bruissent de commentaires négatifs sur cette nuit ? Jalousie malsaine face un succès éclatant ?

BHL présente le paradoxe d’être à la fois adulé par les médias et rejeté par le public.
Ce qui gêne dans l’unanimisme de cette réception qui a vu « défiler maints représentants de l’élite » (selon la formule d’Alexis Lacroix sur Marianne 2), c’est ce qu’elle implique en termes de déontologie. Plus personne aujourd’hui, et moins que quiconque les gens hyper informés qui se pressaient au Flore, ne peut ignorer aujourd’hui le rapport pour le moins élastique que BHL entretient avec la vérité. Dans la plupart de ses interventions il ne s’en est jamais réellement préoccupé. Approximations, affirmations mensongères, contrevérités, manichéisme, sélectivité de l’indignation sont sa marque de fabrique. Que des hommes politiques qui prétendent faire de l’intégrité le principe directeur de leur action, estiment nécessaire néanmoins de venir porter hommage à BHL laisse dubitatif. Mais que des journalistes dont la mission est d’informer honnêtement le public en fassent de même constitue une source majeure d’interrogation. Faut-il en conclure que les nombreuses falsifications auxquelles s’est livré BHL n’ont aucun impact sur les bonnes relations qu’ils entretiennent avec lui ? Mais où est alors le respect du public ? Que feront-ils demain si BHL commet un nouveau mensonge, se lance dans une nouvelle mise en scène où la réalité des faits n’est pas respectée ? La dénonceront-ils par respect du public (ce qu’ils se sont maintes fois abstenu de faire) ? Se tairont-ils (ce qu’ils ont souvent fait) pour ne pas froisser leur ami ? Feront-ils barrage dans leur rédaction à ceux qui voudraient rétablir une vérité gênante ?

Nul mieux que BHL ne sait en France et peut-être même dans le monde se constituer un réseau. Les éloges dont le couvrent les élites médiatiques, en évitant de regarder la réalité, fait plus penser à la façon dont on célébrait Ceausescu en Roumanie, qu’à la tradition de débats intellectuels contradictoires français. Il sait assurer la promotion de ceux qui sont fidèles ou serviles et diabolise ceux qui lui déplaisent en essayant de les exclure de toute possibilité d’expression.
Sa reconnaissance intellectuelle passe par la puissance de son réseau et non pas par la production d’idées. Ceci est-il éthique ? Démocratique ? Cette image de puissants qui s’auto célèbrent en proclamant afficher des valeurs morales mais en foulant au pied l’intégrité intellectuelle, le respect de la vérité, suscite un malaise.

BHL s’est lancé dans une nouvelle croisade dénonçant le danger que fait peser sur 2012 Marine Le Pen à droite Jean-Luc Mélenchon à gauche, dont il dénonce le populisme. Mais la connivence des puissants qu’il promeut au plus haut point n’était-elle pas la source principale du populisme ?
Si les élites veulent éviter une coupure avec le public, elles doivent avoir à son égard plus de respect. Le souci de vérité, l’intégrité intellectuelle doit l’emporter sur la complicité et les renvois d’ascenseur.
 


 

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