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Note de lecture

Planning to Fail: The U.S. Wars in Vietnam, Iraq, and Afghanistan

Note de lecture rédigée par Nathan Bailleux, étudiant en relations internationales à l’Université catholique de Lille.

Par James H. Lebovic – États-Unis, Oxford University Press, 2019, 246 p.

See English version below

« Ça s’est passé comme ça ». Ceci n’est pas seulement le titre des mémoires d’Hillary Clinton à propos de l’élection présidentielle de 2016, c’est aussi l’inquiétude soulevée par le dernier livre de James H. Lebovic à propos des guerres américaines au Vietnam, en Irak et en Afghanistan. Comment les États-Unis, avec une puissance militaire sans égal et une technologie de pointe, se sont-ils enlisés dans ces conflits : passant d’une première phase efficace au « mission creep » et à une ruée insatisfaisante vers une sortie de conflit ? En se posant cette question, M. Lebovic (un professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’Université George Washington) se concentre sur la manière dont les États-Unis ont échoué, en se basant sur différentes théories de la décision, plutôt que sur la cause de l’enlisement des États-Unis dans des bourbiers interminables loin de chez eux. Le livre repose beaucoup sur la théorie réaliste des relations internationales en explorant le fossé entre moyens et fins pendant ces guerres, dénonçant les processus de décision dits « means-driven ». Lebovic consacre quelques lignes aux aspects mieux expliqués par la théorie constructiviste des relations internationales (psychologie, etc.) au début de son livre.

Le paradigme de Lebovic pour comprendre les échecs décisionnels pendant les guerres américaines au Vietnam, en Irak et en Afghanistan est simple et pourtant très efficace. Il repose sur quatre étapes. Premièrement, les États-Unis ont engagé l’ennemi, en cherchant des gains immédiats aux dépens de l’exploration d’options alternatives et aux dépens d’une revue méticuleuse de l’ensemble des options disponibles (sous-estimation du coût de l’option favorisée). Deuxièmement, les dirigeants américains ont cherché à étendre la mission en se concentrant sur des tâches disjointes sans prendre en compte la nécessité d’une stratégie plus large, de manière rationnelle (choisir une nouvelle option est plus coûteux que de poursuivre une option précédemment choisie) ou de manière irrationnelle (« groupthink »[i] ou « mission creep » [ii]). Troisièmement, la diminution des coûts est devenue une priorité essentielle à mesure que le coût de la mission en ressources et/ou en prestige augmentait. Cette étape peut être un dernier « surge » pour réussir la mission ou au moins assurer un « statu quo ante bellum », le « surge » irakien et le « surge » afghan étant de bons exemples puisqu’ils incluaient des calendriers de retrait. Quatrièmement, sortir du conflit est devenu une priorité. 

Beaucoup d’historiens feraient remarquer les limites inhérentes à une étude comparative des guerres américaines au Vietnam, en Irak et en Afghanistan. Un analyste dirait même que la comparaison peut être vue comme prématurée, étant donné que la guerre en Afghanistan n’est pas encore terminée pour les États-Unis, même si les États-Unis semblent être quelque part entre l’étape III et l’étape IV. Mais Lebovic se concentre sur les processus de décision pendant ces conflits et apporte les données nécessaires au paradigme décrit précédemment. Le livre réussit à fournir une vue claire des processus de prise de décisions pendant ces conflits et, plus important, des nombreuses similarités des échecs décisionnels. Par exemple :

- La pratique de « couper les cheveux en quatre » («splitting the differences in opinions »), c’est-à-dire de choisir une option intermédiaire, du président Johnson pour l’engagement américain au Vietnam (p. 38) et du président Obama pour l’engagement américain en Afghanistan (p. 154).

- La demande par les militaires d’un engagement plus grand en ressources américaines au début de la phase III, malgré l’absence d’une stratégie réaliste. Ici, les exemples du «surge » irakien (p. 100-101) et du « surge » afghan (p. 147) sont éloquents puisqu’ils ont amené à une contre-insurrection dite « légère » (« counterinsurgency light ») à la place d’une contre-insurrection pleinement financée. [iii]

Les leçons du livre de James H. Lebovic doivent être intégrées pleinement par les décideurs politiques, car ceux qui ignorent leur histoire se condamnent à la répéter. Dans le contexte d’une militarisation grandissante de la région de la mer de Chine du Sud par les États-Unis et la Chine, les États-Unis doivent décider d’un ensemble de buts et alors seulement assigner des ressources à la stratégie d’endiguement de la Chine développée par l’administration Trump.

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[i] Lors d’une prise de décision en groupe, les individus auront tendance à se conformer à l’opinion majoritaire. Le « group think » est un sérieux obstacle à une juste délibération des risques et des bénéfices associés à chaque option disponible.

[ii] Ce concept souligne le fait qu’une intervention tend à poursuivre librement sa course, puisant de plus en plus de ressources de la puissance ayant décidé de l’intervention.

[iii] La contre-insurrection dite « population-centric », ou « fully-resourced », nécessite des effectifs militaires importants pour séparer les insurgés de la population. Le « surge » irakien et le « surge » afghan montrent que ces effectifs n’ont jamais été accordés à l’armée, d’où le nom de « counterinsurgency light ».

 

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Book review written by Nathan Bailleux, student in International Relations at Lille Catholic University.

What happened. This is not only the title of Hillary Clinton’s memoir about the 2016 presidential election, it is also the concern raised by James H. Lebovic’s new book about the U.S. wars in Vietnam, Iraq, and Afghanistan. How did the United States, with overwhelming military power and state-of-the-art technology, got embroiled in those wars, going from a swift first stage to “mission creep” and an unsatisfying rush to the exit? In so doing, Mr. Lebovic (a Professor of Political Science and International Affairs at the George Washington University) focuses on how the United States failed, drawing from various decision theories, rather than why the United States got embroiled in unending quagmires far away from home. The book relies heavily on the realist theory of international relations by exploring the gap between means and ends during those wars, thus denouncing “means-driven” decision-making. Lebovic dedicates a few lines about the aspects that are best explained by the constructivist theory of international relations (psychology, etc.) at the beginning of his book.

Lebovic’s framework for the understanding of the decision-making failures during the U.S. wars in Vietnam, Iraq, and Afghanistan is simple, yet very accurate. This framework revolves around four steps. First, the U.S. engaged the enemy, seeking immediate gains at the expense of exploring policy alternatives and of reviewing carefully all of the available options (underestimation of the preferred policy costs). Second, U.S. leaders sought to extend the mission focusing into separate tasks without taking into account the need for a broader strategy, rationally (taking a new option is more expensive than pursuing an option chosen previously) or irrationally (“groupthink” [iv] or “mission creep” [v]). Third, cost curtailment became an overriding concern as the cost of the mission in U.S. assets and/or prestige escalated. This step can be a last « surge » to succeed in the mission or at least provide a “statu quo ante bellum”, the Iraq “surge” and Afghanistan « “surge” » being good examples as they included withdrawal timetables. Fourth, getting out of the conflict became a priority.

Many historians would point out the inevitable limitations in a comparative study of the U.S. wars in Vietnam, Iraq, and Afghanistan. An analyst would even say that the comparison between these three wars can be considered hasty, as the Afghanistan war has not yet ended for the U.S., even though the U.S. seems to be in the twilight between stage III and stage IV.  But Lebovic focuses on the decision-making during those conflicts and brings the necessary data to the framework that is described above. The book succeeds in providing a clear view of the decision-making processes in those conflicts and, more importantly, of the numerous similarities in the decision-making failures. For instance:

- The practice of “splitting the differences in opinions”, that is to say of choosing a middle option, of both President Johnson for the U.S. commitment in Vietnam (p. 38) and of President Obama for the U.S. commitment in Afghanistan (p. 154).

- The request by the U.S. military leaders of a stronger commitment in U.S. assets at the beginning of stage III, despite the absence of a workable strategy. Here, the examples of the Iraq “surge” (p. 100-101) and the Afghan “surge” (p. 147) are telling as they amounted to “counterinsurgency light” [vi] instead of fully resourced counterinsurgency.

The lessons from James H. Lebovic’s book need to be well rehearsed by policymakers, for those who dare to ignore their history are doomed to repeat it. In the context of a growing military build-up between the U.S. and China in the South China Sea, the U.S. has to decide a set of goals and only then assign U.S. assets to the Trump administration’s containment strategy of China.

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[iv] In group decision-making, individuals will tend to conform to the majority view. “Group think” is a serious impediment to the careful weighing of the risks and benefits associated with each and every available policy option.

[v] This concept underlines the fact that a foreign intervention tends to run its own course, drawing more and more resources from the intervening power.

[vi] “Population-centric” counterinsurgency, or “fully resourced” counterinsurgency, requires high troop numbers to separate the insurgents from the people. The Iraq “surge” and the Afghan “surge” show that these numbers were never granted to the military, hence the name of “counterinsurgency light”.
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