ANALYSES

Syrie : les Nations unies au secours de la trêve ?

Interview
22 septembre 2016
Le point de vue de Didier Billion
La 71e Assemblée générale des Nations unies s’est tenue le mardi 20 septembre à New-York. De nombreux chefs d’Etats y ont évoqué la Syrie et ont appelé, avec plus ou moins de véhémence, à la résolution diplomatique du conflit. Pensez-vous que la tenue de l’Assemblée générale des Nations unies et les discours qui y ont été prononcés auront un impact sur la situation en Syrie ?

Les différents discours ou partie de discours prononcés par des chefs d’Etat sur la Syrie à l’ONU attestent, malgré récentes les tentatives diplomatiques et la conclusion d’une trêve, que la question syrienne est loin d’être réglée.
En dépit des critiques que l’on peut formuler à son égard, l’ONU reste le seul lieu où une solution politique peut être trouvée à la crise syrienne. Du point de vue de l’organisation des relations internationales, c’est le lieu de rencontre de tous les Etats.
Pour revenir sur le cas syrien, il y a un constat d’impuissance, un manque de courage, ainsi qu’un manque de lucidité. Jusqu’à aujourd’hui, les Etats-Unis et la Russie, deux membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, ont occupé le terrain. Mais la disposition est asymétrique : la Russie – alliée de Bachar el-Assad – a un projet politique sur la Syrie, alors que l’administration Obama est totalement en retrait depuis plus de trois ans. La trêve conclue entre Sergueï Lavrov et John Kerry, le 10 septembre, n’a pas donné les effets escomptés. L’existence de clauses secrètes conclues entre les deux parties, à l’insu des autres membres du Conseil de sécurité, laissait planer le doute quant à la durabilité de l’accord de trêve.
Invité à s’exprimer à l’Assemblée générale des Nations unies, François Hollande a fait preuve de véhémence. Malheureusement, l’exécutif français n’est pas le mieux placé pour donner des leçons au reste du monde sur le dossier syrien. Le gouvernement de Hollande, et celui de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, ont enchainé les erreurs depuis l’éclatement de la guerre civile. La diplomatie française a d’abord estimé que le conflit se réglerait rapidement avant d’établir pour préalable à toute solution diplomatique le départ de Bachar el-Assad. Elle a ensuite agité la menace d’une intervention militaire. Les Français n’ont cependant jamais été en mesure de tracer une voie politique et d’émettre des propositions de sortie de crise. François Hollande devrait faire preuve de plus de modestie sur ce dossier infiniment compliqué. Pour cette raison, hausser le ton est inutile, si dans le même temps, on ne se donne pas les moyens de contribuer à dépasser les blocages.

Le bombardement d’un convoi humanitaire mardi 20 septembre met en péril la trêve. Washington accuse la Russie, Moscou nie. Que sait-on de cet « incident » ? La trêve est-elle définitivement rompue ? Selon vous, Washington pourrait-il hausser le ton alors qu’Obama est critiqué pour sa « passivité » dans le dossier syrien ?

Le fait que le convoi ait d’une part été bombardé, d’autre part que les frappes aient été effectuées par la voie aérienne, laisse peu de doutes quant à l’implication de l’armée syrienne ou de l’armée russe. Cependant, la coalition dirigée par les Etats-Unis a aussi commis une « bavure » en bombardant les positions des forces loyalistes, le 17 septembre, quelques jours après le début de la trêve. Dans tous les cas, la situation urgente et tragique de la Syrie ne se prête pas au décompte des bavures et des non-respects de l’accord commis de part et d’autre. Les responsabilités sont partagées.
L’enjeu, aujourd’hui, est de rebondir et de mettre en œuvre tous les éléments pour avancer des propositions et sauver la trêve. Pour cela, calme et sang-froid sont nécessaires. Il y a tout de même des évolutions sur le terrain. Si nous sommes convaincus qu’il ne peut y avoir qu’une solution politique, il faut reprendre le dossier de la trêve comme premier élément tangible d’une voie de résolution de crise et réunir les conditions nécessaires à sa mise en œuvre.
En dépit des intentions, les négociations restent compliquées. La question des groupes terroristes, notamment Fatah-al-Cham, est particulièrement délicate. En bombardant leurs positions, des groupes qui ne sont pas considérés comme terroristes risqueraient aussi d’être touchés. A Alep, les groupes disparates de l’Armée syrienne libre (ASL) ont fait alliance avec Fatah-al-Cham. L’imbrication des fronts sur le terrain complique ainsi la situation et rend une solution militaire impossible à la résolution du conflit. C’est pourquoi il n’existe qu’une solution diplomatique. Le temps presse car au fur et à mesure que la situation s’enlise, les terroristes gagnent du terrain.
Par ailleurs, les Russes avancent efficacement leurs pions dans le conflit profitant d’une certaine apathie des Etats-Unis. En outre, je ne pense pas que Barack Obama modifiera sa stratégie, à la fin de son mandat et à deux mois de l’approche des élections présidentielles. L’asymétrie entre la volonté politique des Russes et l’indécision des Etats-Unis est manifeste.

Quelles armées, ou groupes armés, sont en position de force en Syrie dans l’éventualité de négociations ?

Les groupes les plus efficaces sur le terrain sont ceux avec qui on ne veut légitimement ni discuter, ni négocier. En revanche, le Haut conseil pour les négociations, soutenu par les pays occidentaux, l’Arabie Saoudite, le Qatar, a peu de capacités opérationnelles sur le terrain comparées à celles des combattants de l’Etat islamique ou de Fatah-al-Cham. Compte tenu des divisions et du manque d’emprise des rebelles dits « modérés », il me semble que la solution la plus efficace, en vue d’aboutir à un accord, serait que les membres de la communauté internationale négocient à l’ONU – et sans les rebelles -, un compromis qui serait ensuite présenté aux différents groupes de combattants syriens avec qui la communauté internationale accepte de dialoguer. Le compromis doit être trouvé dans les murs de l’ONU.
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