ANALYSES

Sud Soudan : les raisons de la dégradation sécuritaire

Interview
13 juillet 2016
Le point de vue de Samuel Nguembock
Alors que le Soudan du Sud fête les 5 ans de son indépendance, des combats ont éclaté dans la capitale, Juba. Pourquoi la situation sécuritaire s’est-elle dégradée ? Les avancées politiques, conformément à l’accord de paix du 25 août 2015, sont-elles remises en cause par les combats ?

Les accords de paix, signés il y a près d’un an, sont clairement remis en cause. Destinés à faciliter la stabilisation et le retour à la paix dans le pays, ces accords ont permis certaines évolutions institutionnelles, notamment la réintégration de l’ancien vice-président Riek Machar. Deux objectifs principaux étaient poursuivis par la feuille de route du 25 août 2015 : le partage du pouvoir entre le président Salva Kiir et son rival Riek Machar, ainsi que la constitution d’un gouvernement d’union nationale. Ces évolutions politiques ont pu laisser croire à une pacification durable de la société sud-soudanaise.

Cependant, la situation est beaucoup plus complexe qu’une simple rivalité politique et personnelle. La signature des accords en août dernier n’a pas empêché le président Salva Kiir de prolonger sa fonction jusqu’en 2018 en l’absence de véritables élections participatives dans le pays. Son principal rival et candidat au pouvoir depuis l’indépendance du Sud Soudan, Riek Machar, a ainsi vu ses ambitions politiques s’éloigner. Malgré les tractations pour la cessation des combats, qui lui reconnaissent un statut politique dont il était jusqu’alors dépourvu, M. Machar n’est pas en position de pouvoir prendre le contrôle du pays.

Si le Sud Soudan est confronté à ces interminables vagues de violences, c’est justement parce que la situation politique oppose deux personnes qui possèdent chacune un ancrage tribal et ethnique relativement fort. A travers elles, ce sont finalement les deux principales tribus qui s’affrontent, même si les milices payées de part et d’autres revendiquent une identité propre. En tout état de cause, l’affrontement entre les Dinka – soutenus par Salva Kiir – et les Nuer – supportés par Riek Machar – est flagrant.

La question qui se pose est donc de savoir si les responsables politiques ont suffisamment d’influence sur les appareils gouvernementaux, sur l’armée restée fidèle à Salva Kiir, et sur les milices pro Machar pour permettre un cessez-le-feu durable. Rappelons qu’il y a des milices qui se sont désolidarisées de la mouvance Machar et de M. Kiir, estimant que les deux protagonistes étaient responsables de l’insécurité et de l’instabilité dans le pays.

Le conflit, fortement cristallisé et polarisé, laisse peu d’espoir quant à l’organisation d’élections libres, capables d’offrir à Riek Machar la possibilité de conquérir le pouvoir. M. Machar est bousculé par l’agenda politique et sa légitimité et sa crédibilité fluctuent selon les allégeances ou les désunions des milices. De plus, le contexte international n’est pas propice à la création d’un environnement de paix à cause de l’absence de pouvoir de coercition sur les acteurs en conflit.

Le Conseil de sécurité, critiqué pour son immobilisme, a appelé dimanche 10 juillet à renforcer l’aide régionale au Soudan du Sud. Doit-il s’engager plus fermement en faveur de la paix ? Quelles pourraient être les modalités d’un tel engagement ?

Cette nouvelle recommandation du Conseil des Nations-unies risque fort de rester mort-née face aux difficultés géopolitiques adjacentes. L’équilibre régional est fragile, que ce soit au Soudan avec l’épineuse question du Darfour, en Ouganda, en Centrafrique ou encore en République démocratique du Congo. Tous ces pays sont individuellement frappés par une situation politique et/ou sécuritaire précaire. Il est donc bien mal aisé de leur demander d’être prêt à intervenir de façon opérationnelle en faveur de la paix au Soudan du Sud alors qu’ils doivent eux-mêmes mobiliser de gigantesques moyens pour rétablir ou consolider la paix et la sécurité chez eux. La recommandation du Conseil de Sécurité est peu réaliste car les Etats voisins du Sud Soudan sont prioritairement préoccupés par leur propre sécurité intérieure : l’Ethiopie est par exemple confrontée à un problème diplomatique et sécuritaire important avec l’Erythrée ainsi qu’à la menace terroriste venant de la Somalie, le Kenya est constamment exposé au risque terroriste, etc. La situation régionale ne se prête donc pas au renforcement de l’aide au Soudan du Sud car les décisions politiques et les moyens techniques nationaux sont avant tout mobilisés pour contrer les menaces internes.

Par ailleurs, le Conseil de sécurité porte une responsabilité dans la cristallisation du conflit. Aucune des recommandations et des menaces de sanctions formulées par l’Organisation des Nations-unies, allant d’un embargo sur les armes à une interdiction de voyage pour les personnalités politiques, n’ont été effectivement mises en œuvre. Finalement, l’appel du Conseil de sécurité pour une mobilisation régionale sonne comme un aveu d’échec et d’impuissance. Il faudrait renforcer les processus décisionnels et le consensus sur la question du Sud Soudan au sein des pays membres du Conseil qui ont un poids politique et diplomatique suffisant pour agir en faveur de la résolution de la crise sud-soudanaise, les Etats-Unis et la Chine en tête.

Dans ce contexte d’insécurité, comment évolue la situation économique au Soudan du Sud ? Doit-on compter sur les investissements de la Chine pour redresser l’économique sud-soudanaise ?

La situation économique du Soudan du Sud est désastreuse. Plus d’un tiers de la population sud-soudanaise, sur un total de 12 millions d’habitants, vit aujourd’hui sous tutelle et perfusion de l’aide internationale humanitaire. Le pays compte également plus de 2,5 millions de déplacés et des dizaines de milliers de victimes de la guerre civile. L’économie n’est pas capable d’absorber la pression sociale, les besoins humanitaires et l’insécurité générés par l’ampleur et la profondeur de ce conflit.

Quant aux investissements chinois, ils restent bien illusoires en l’absence d’Etat pérenne. Le pays n’a pas encore réussi à construire une architecture étatique capable d’organiser la protection sociale de ses populations et l’activité économique. La continuité des institutions et la présence d’une autorité d’Etat n’ont pas été assurées depuis la déclaration d’indépendance sur l’ensemble du territoire.

Aucun processus de développement du pays n’a été véritablement enclenché. L’activité économique a besoin d’un environnement stable et prévisible pour se déployer. Or, le Soudan du Sud n’est pas capable d’offrir à ses partenaires au développement un interlocuteur officiel fiable à cause de l’instabilité sécuritaire et du clivage politique. Certes, le développement économique doit constituer un objectif pour le Soudan du Sud, mais encore faut-il qu’il y ait un Etat capable d’en assurer l’existence et la viabilité.
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