ANALYSES

Boko Haram : vers une nouvelle stratégie ?

Interview
17 juin 2016
Le point de vue de Samuel Nguembock
Au Nigeria, Boko Haram recule sur le terrain, mais multiplie parallèlement les attentats terroristes meurtriers. Une nouvelle stratégie est-elle en train de se profiler ?
Il serait exagéré de parler d’une nouvelle stratégie. Boko Haram adopte la stratégie classique de tous les groupes armés terroristes qui, lorsqu’ils se voient opposer une riposte militaire robuste et perdent une partie de leur contrôle territorial, pratiquent la tactique de la guérilla. C’est ce que Boko Haram essaie de mettre en place actuellement face à la mobilisation régionale, au renforcement et à la restructuration des capacités nationales de défense. L’organisation terroriste a du mal à progresser dans sa conquête territoriale mais elle arrive à multiplier les attentats suicides et les attaques comme celle de Bosso, la semaine dernière, qui a provoqué la mort d’une trentaine de militaires nigériens, des dizaines de milliers de déplacés et une riposte militaire massive de la part du Tchad.
Cette stratégie, qui vise à perpétuer l’existence de l’organisation, est l’œuvre d’un homme qui apporte une vision opérationnelle différente des précédentes menées par Abubakar Shekau. Les soucis de santé de ce dernier ont contribué à la réorganisation de la chaîne de commandement de Boko Haram. Le nouveau leader de l’organisation, Bana Blachera, est un stratège qui connait très bien les équipements militaires, la géopolitique et la géographie de la région. Il utilise les failles que présentent à la fois la Force multinationale mixte et les dispositifs nationaux de sécurité et de défense, afin de prendre le contre-pied de la mobilisation régionale et de frapper là où l’on s’y attend le moins.
En effet, à Bosso, Boko Haram a réussi à agresser massivement et brutalement des militaires nigériens et à provoquer la fuite de dizaine de milliers de déplacés dans la région du Sud et du Sud-Est du Niger. Le repositionnement de l’organisation terroriste, qui veut continuer de survivre aux assauts de la coalition régionale, est donc bien visible.

Quel regard portez-vous sur la mobilisation régionale contre Boko Haram ? Est-elle opérationnelle ?
Il y a eu des avancées notables au cours de ces derniers mois, même si elles restent peu efficaces face à la nature de la menace. Boko Haram a perdu beaucoup de terrain et ainsi son contrôle territorial. Aujourd’hui, la problématique porte sur le renforcement du dispositif régional à travers la Force multinationale mixte (FMM). Cette force, décidée en janvier 2015, n’est entrée en œuvre que 6 mois plus tard sans tenir compte des transformations opérationnelles opérées entretemps. À ce jour, elle n’a pas encore atteint sa pleine capacité d’action, la faute à des failles au niveau structurel, opérationnel et au niveau de la planification. Sur ce dernier point, l’attaque de Bosso au Sud-Est du Niger a démontré que la FMM n’était pas rigoureusement planifiée car, si elle l’avait été, il y aurait eu une réaction globale et régionale commandée par son quartier général à Ndjamena. Or, c’est plutôt une coopération bilatérale qui a été observée puisque le Tchad a dégagé un effectif de 2000 soldats pour soutenir les militaires nigériens afin d’organiser la riposte.
Aussi, il y a des failles tant au niveau de la planification qu’au niveau opérationnel, cette force reposant sur des piliers sectoriels même s’il y a partage d’informations bien évidemment. La coordination des opérations conduites par la FMM et des opérations nationales demeure très faible.
Si le Cameroun a réussi au cours de ces dernières semaines à neutraliser quelques bases de construction d’explosifs, c’est notamment grâce aux informations et à la flexibilité diplomatique dont a su faire preuve le gouvernement nigérian, en permettant aux Camerounais de rentrer sur son territoire pour neutraliser Boko Haram.
Les bases d’une synergie sont donc posées mais celle-ci a du mal à fonctionner de manière optimale du fait de problèmes de planification, mais aussi de financement. Au mois de mai, il y a eu une réunion entre les chefs d’Etat-Major, les chefs des armées et les directeurs de police suite à laquelle des dysfonctionnements ont été relevés, notamment la faible activation de l’unité police dans la récupération définitive des territoires conquis sur Boko Haram. Celle-ci est censée être activée pour stabiliser les territoires récupérés, prévenir et endiguer toutes menaces. Malheureusement, ce travail n’est pas fait, ce qui permet à Boko Haram d’organiser des attentats suicides.
Par ailleurs, les pays sont aujourd’hui obligés de concentrer toutes leurs ressources au niveau national et développent beaucoup plus de moyens pour sécuriser leur territoire. Les conséquences de la montée en puissance du terrorisme dans la sous-région sont en effet désastreuses sur le plan des investissements étrangers. Les Etats doivent ainsi garantir une certaine sécurité pour rassurer les opérateurs économiques. Dans ces conditions, l’éradication totale de Boko Haram semble difficile, l’organisation étant en train de prendre du large sur les zones faiblement contrôlées par les Etats.

Au-delà des critères territoriaux, quelle est la dynamique et l’emprise idéologique de Boko Haram sur la population ?
Boko Haram conserve des marges importantes, à la fois sur la construction de son discours idéologique mais aussi sur le plan opérationnel.
Selon l’ONU et les organisations opérant dans la région, des villages sont toujours ravagés quasi-quotidiennement. En l’absence d’une riposte sécuritaire et militaire capable de contenir la menace, Boko Haram continue de développer son discours, d’autant plus que son alliance avec l’Etat islamique lui a permis de moderniser ses outils de communication. Aujourd’hui, il ne s’agit plus simplement de parler d’idéologie prophétique : il y a un discours idéologique beaucoup plus opérationnel qui vise à ramener de nouvelles recrues et à opérer des attentats.
Un double problème est par ailleurs à signaler. En termes de sécurité intérieure, tout d’abord, l’état civil n’est pas suffisamment protégé. La mobilité des populations et d’éventuels combattants d’un pays à un autre est fluide car ceux-ci peuvent avoir la nationalité camerounaise ou nigériane compte tenu de la faible protection du fichier d’état civil. Face à cela, les populations qui sont aux frontières et qui subissent de plein fouet la terreur de Boko Haram sont obligées soit de coopérer, soit d’être exterminées. Il y a quelques jours, ce sont 5 femmes, au Nord-Est du Nigeria, qui ont été égorgées par les islamistes car leurs époux refusaient, selon les témoignages, d’adhérer au mouvement ou ont été soupçonnés par l’organisation terroriste de donner des informations aux autorités militaires.
Face à cet engrenage, moins les dispositifs nationaux et régionaux seront capables d’éradiquer totalement les bases territoriales de Boko Haram, plus la nébuleuse pourra contraindre les populations d’adhérer à ce mouvement.
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