ANALYSES

Vingt sixième Sommet de l’Union africaine : entre ambitions stratégiques et inertie manifeste des Etats

Tribune
5 février 2016
Le vingt sixième Sommet de l’Union africaine s’est tenu à Addis-Abeba du 30 au 31 janvier 2016. Initialement prévu pour promouvoir les droits humains et pousser les Etats membres à mettre en œuvre la protection des droits de l’Homme et spécifiquement ceux de la femme dans leurs axes gouvernementaux prioritaires pour le compte de l’année 2016, le sommet a finalement été une occasion de plus pour révéler les étonnantes divergences entre la volonté toujours prononcée de l’Union africaine de protéger les intérêts plurinationaux du Continent et les considérations exagérément souverainistes de ses Etats membres. Entre l’intérêt accordé au discours de la présidente de la Commission de l’Union africaine sur la nécessité de mobiliser les ressources du continent à la réalisation des objectifs de l’Agenda 2063, les déclarations propagandistes de Robert Mugabe contre les Occidentaux et la rupture idéologique voulue par le président tchadien Idriss Deby, les contradictions observées au Sommet de l’Union africaine, bien que connues, semblent de plus en plus préoccupantes au regard des conditions inhumaines imposées aux populations africaines par un environnement géopolitique entretenu par les chefs d’Etat et de gouvernement.

Les droits de l’Homme remplacés par l’urgence sécuritaire pour quelle finalité ?

Si la thématique centrale retenue pour le vingt sixième Sommet de l’UA a été celle des droits de l’Homme et spécifiquement les droits de la femme, la situation politique et sécuritaire au Burundi, en Libye, au Soudan du Sud, en RCA et la montée du terrorisme transnational sur le continent ont incontestablement contribué à modifier l’agenda du Sommet. Ces questions inscrites à l’ordre du jour du Sommet, sans une préparation structurellement concertée à l’avance, avaient, malgré tout, toute leur place dans les débats, si l’on s’en tient aux conséquences multiples de ces différentes crises sur la stabilité des pays concernés et les projections au niveau régional. Le fait de les inscrire à l’ordre du jour, en soi, ne pose aucun problème. Mais le traitement et les orientations réservés à ces situations d’urgence, au regard de la profondeur de leurs impacts et de ce que Bertrand Badie appelle « la diplomatie de relégation » au niveau global, sont de nature à conforter le positionnement des acteurs qui structurent et entretiennent le chaos observé dans ces pays.

Burundi : une occasion manquée pour confirmer l’influence de l’Union africaine sur les Etats.

Le 18 décembre 2015, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS) a annoncé l’envoi d’une mission de prévention et de protection composée de 5000 soldats pour mettre fin aux atrocités commises en toute impunité par Pierre Nkurunziza et son gouvernement. Face à l’ignorance de l’ultimatum et de la demande d’intervention donnés par le CPS au gouvernement burundais, l’Union africaine, tout en respectant le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays membres, a maintenu sa pression sur Bujumbura dans l’espoir de voir entériner cette volonté d’intervention par les chefs d’Etat et de gouvernement lors du dernier Sommet. Ces derniers réunis à Addis-Abeba, le 30 et 31 janvier 2016, n’ont visiblement pas suivi les choix et orientations de l’Union africaine. Mais pouvait-on réellement attendre l’effectivité de cette annonce ? Le réalisme impose de répondre par la négative et ce pour deux raisons principalement.

Premièrement, au regard des difficultés structurelles et des défis capacitaires que connaît l’Union africaine dans la mobilisation des troupes devant assurer le maintien de la paix dans les pays en conflit, il est clair que relever le défi dans l’urgence d’envoyer 5000 soldats demeure si ce n’est une pure vue de l’esprit, ce serait une fatale erreur d’appréciation des capacités opérationnelles effectives de l’organisation continentale. Les troupes à envoyer au Burundi devaient provenir prioritairement des pays de la sous-région, à savoir l’Ethiopie, l’Ouganda, le Rwanda, le Kenya, la Somalie, le Soudan et probablement des pays de la Commission de l’Océan indien : les Comores, les Seychelles notamment. Compte tenu du nombre des crises actuelles sur le continent et de la situation politique et sécuritaire des pays de la sous-région, la mobilisation de ces troupes sur la base des contributions de ces pays était incontestablement inenvisageable à très court terme.

Deuxièmement, le scénario malien qui a vu l’entrée en guerre du Tchad au Nord du pays n’est pas envisageable sans un soutien opérationnel et financier extérieur compte tenu des défis sécuritaires et du poids de la menace terroriste dans les principaux pays contributeurs de troupes, le Nigéria, l’Ethiopie, le Tchad, l’Algérie notamment. Par ailleurs, en plus de la dépendance financière de l’Union vis-à-vis de ses partenaires, notamment l’Union européenne, elle-même prise en otage par les crises financière et des réfugiés, la majorité des chefs d’Etat des pays membres de l’UA ne souhaitent pas voir s’appliquer les mêmes principes d’intervention dans leurs pays si ces derniers sont confrontés aux mêmes critiques internationales. Il faut rappeler que pour le budget 2016, 92,5% du budget des programmes sont supportés par les partenaires et seulement 7,5% par les Etats membres. La marge de manœuvre de l’Union demeure donc réduite face au refus de certains dirigeants de lancer une opération militaire au Burundi. Le président Deby, nouveau président en exercice de l’Union africaine, a affirmé que l’UA a donné une chance au président Nkurunziza pour résoudre cette crise et qu’en l’absence d’une solution à cette dernière, l’UA interviendra militairement. Venant de celui qui enregistre un succès diplomatique et militaire qui confère à son pays le statut de puissance régionale, l’on peut accorder du crédit à une possible intervention de l’UA sous la houlette du Tchad. Mais il va falloir un soutien financier extérieur, faire preuve de courage et briser les codes « sacrés » de ses homologues. C’est peut-être un tel leadership qui manque à l’Union africaine pour confirmer son influence en matière de protection des populations sur les Etats.

La solution retenue à l’issue de ce Sommet a été de mettre en place une délégation de très haut niveau composée de plusieurs chefs d’État. Une entreprise diplomatique qui n’est nouvelle que par le nombre de dirigeants qui pourraient composer la mission. Des échecs successifs ont été enregistrés au cours des derniers mois : les médiations respectives du président ougandais Yoweri Museveni, celle du président béninois Boni Yayi qui n’a finalement pas vu le jour en raison du refus des autorités burundaises, sans énumérer les tentatives de médiations internationales depuis avril-mai 2015.

En ce qui concerne la Libye, La solution proposée par l’Union africaine d’envoyer un collège de chefs d’Etat pour accélérer le processus de dialogue politique dans le pays est certes non négligeable mais demeure peu efficace si un appui opérationnel n’est pas apporté aux choix et décisions politiques qui visent à stabiliser la Libye et les pays de la région.
Sur la même thématique