ANALYSES

Japon-Philippines : une nouvelle alliance stratégique en mer de Chine ?

Tribune
26 juin 2015
Un avion patrouilleur de l’armée de l’air japonaise a survolé, mardi 23 juin, selon Reuters, jusqu’aux limites de Reed Bank, un plateau marin riche en ressources énergétiques, dont la Chine et les Philippines se disputent la possession, dans un secteur contesté de mer de Chine méridionale, foyer de tension entre la Chine et ses voisins d’Asie du Sud-Est.

Ce survol d’un avion de surveillance P3-C Orion s’inscrit dans le cadre d’exercices militaires conjoints menés par les Philippines et le Japon au grand dam du pouvoir chinois, qui avait condamné une « ingérence » du Japon dans le secteur. On le sait, la Chine revendique l’essentiel (environ 90 %) de la Mer de Chine méridionale et elle ne s’en cache pas. Elle effectue actuellement des travaux de remblais sur différents atolls des îles Spratleys afin d’y implanter des bases navales et aériennes.

Comment interpréter ces évolutions et que nous disent-elles de la relation Japon-Philippines d’une part et de la posture de défense japonaise d’autre part ?

S’agissant du premier point, cet exercice militaire conjoint met en lumière la coopération croissante en matière de sécurité entre Manille et Tokyo.

Les Philippines appuient l’effort de défense japonais. Le président philippin Benigno Aquino a salué vendredi 5 juin la volonté du Japon de jouer un rôle croissant dans la sécurité en Asie-Pacifique, face aux revendications maritimes de la Chine, au dernier jour de sa visite d’État à Tokyo. « Les Philippines suivent avec intérêt le rééxamen par le Japon de sa politique de sécurité et de sa législation en vue de lui permettre de jouer un rôle plus actif pour la paix et la sécurité dans notre région », a déclaré M. Aquino. « Les pays de bonne volonté ne peuvent que tirer bénéfice d’un gouvernement japonais qui serait autorisé à venir en aide à ses amis dans le besoin, en particulier dans le domaine de l’autodéfense collective», a plaidé le président philippin.

M. Aquino a signé un contrat de 12,79 milliards de yens (90 millions d’euros) avec un chantier naval japonais pour fournir une flotte de dix navires patrouilleurs, financée par des prêts à taux bas du Japon. Ces navires permettront à la garde-côtière de Manille de mieux protéger ses intérêts souverains et ses eaux territoriales alors que Pékin affirme ses revendications sur des îlots ou des récifs philippins comme celui de Scarborough.

Par ailleurs, le président philippin a aussi indiqué l’ouverture de négociations avec le Japon pour autoriser l’armée japonaise à utiliser des bases militaires philippines à des fins logistiques. Un accord de ce type permettrait aux avions et aux bâtiments de l’armée japonaise d’étendre leur rayon d’action en mer de Chine méridionale.

L’alliance avec le Japon devient centrale pour les Philippines alors que les États-Unis – avec lesquels les Philippines ont eu historiquement des liens très étroits – ne marquent pas un « engagement clair de venir à la rescousse des Philippines en cas de conflit avec la Chine sur les îlots contestées en mer de Chine du Sud », selon The Diplomat. En retour, Manille fournit un soutien diplomatique à Tokyo en qui les Philippines voient un « facteur d’équilibre » dans la région.

Par ailleurs, le Japon exploite une flotte de 70 P3-C Orion dans les mers autour du Japon et va déployer environ vingt nouveaux avion de patrouille P-1 de Kawasaki heavy Industries ayant deux fois le rayon d’action des Orions au cours des cinq prochaines années.

Un rôle plus grand pour le Japon dans la région ?

Cette possibilité d’action étendue est aussi significative de la posture de défense sans cesse élargie de la défense japonaise. En effet, alors que l’avion P3-C a été utilisé lors de l’exercice commun philippo-nippon pour des exercices maritimes de recherche et de sauvetage et des exercices de secours en cas de catastrophe, l’appareil est également un pilier de la lutte anti-sous-marine du Japon et de ses efforts de surveillance aérienne. En théorie, il pourrait aider les États-Unis à garder un œil sur la marine chinoise en mer de Chine méridionale. Certains experts pensent en tout cas que c’est une possibilité réelle dans les prochaines années. En avril, des sources interrogées par Reuters rapportaient que Tokyo envisage de participer aux patrouilles aériennes que mènent les États-Unis dans ce secteur disputé du globe en réponse aux initiatives chinoises.

Ainsi, pour Narushige Michishita, un expert de défense au National Graduate Institute for Policy Studies de Tokyo cité par le Japan Times : « Il est probable que nous verrons le Japon faire de la surveillance conjointe et de la reconnaissance dans la mer de Chine du Sud dans les années à venir.» Cela aura lieu « avec les États-Unis, l’Australie, les Philippines et d’autres États ». D’autres experts pensent néanmoins que rien n’est moins certain car de telles manœuvres pourraient créer de vives tensions avec la Chine dont on a vu qu’elle a réagi avec vigueur.

Prudents, les deux commandants japonais et philippin de l’exercice aéro-naval, mené avec la marine philippine au large de Palawan, ont souligné que l’objectif de la manœuvre était de s’exercer à la recherche et au sauvetage, et ont déclaré qu’ils n’étaient pas au courant concernant des plans pour des patrouilles conjointes.

La manœuvre aérienne fait en tout cas suite au premier exercice commun entre les deux marines qui s’est tenu il y a six semaines.

La Diète (parlement japonais) débat cet été de la législation qui assouplirait les restrictions nées après la Seconde Guerre mondiale sur les Forces d’autodéfense (l’armée japonaise) pour lui permettre d’opérer à l’extérieur de sa région proche. En clair, de pouvoir aider des alliés menacés, au premier rang desquels les États-Unis.
Pressé de questions par les députés de l’opposition, le ministre de la Défense japonais Gen Nakatani a dit que cela pourrait inclure des patrouilles en mer de Chine du Sud dans certaines situations – bien qu’il ait ajouté que le Japon n’a actuellement aucun plan en ce sens.

Cet exercice est donc emblématique de l’évolution de la défense japonaise, même si celle-ci s’exerce avec prudence. Il traduit aussi l’implication croissante du Japon dans le dispositif sécuritaire philippin.
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