ANALYSES

Les enjeux du pacte sécuritaire franco-japonais

Tribune
17 mars 2015
Le Japon et la France ont signé un pacte sur les transferts d’équipements de défense, vendredi 13 mars, lors d’une réunion de leurs ministres des Affaires étrangères et de la Défense à Tokyo, afin de renforcer les relations bilatérales en matière de sécurité.

Les quatre ministres ont également convenu d’entamer des pourparlers sur un accord d’acquisition et de services croisés (ACSA) qui stipule la disposition mutuelle de fournitures, y compris de la nourriture, de l’eau et du carburant, ainsi que des services de transport et de réparation, aux et entre les forces armées des deux pays.

Le Japon a déjà signé des accords de ce type avec des alliés de marque comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.

Ces avancées ont eu lieu lors d’une réunion dite 2+2 dans la capitale nippone ; rencontre au cours de laquelle le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, et son homologue japonais, Fumio Kishida, ainsi que leurs collègues de la Défense, Jean-Yves Le Drian et Gen Nakatani, ont validé plusieurs champs de collaboration.

C’est le seul pays asiatique avec lequel nous avons cette forme de relation, a précisé M. Fabius lors d’un entretien avec l’Agence France Presse.

Un des points-clefs de la rencontre a été la signature d’un accord intergouvernemental sur le transfert des équipements et technologies de défense.

Il fixera le cadre de notre collaboration avec un certain nombre de perspectives, a précisé M. Fabius, citant des projets dans les systèmes de drones, les hélicoptères ou l’espace notamment (1), tandis que M. Le Drian a souligné une avancée considérable, évoquant quatre domaines: les sonars, les sous-marins inhabités, les robots et la cyberdéfense.

« La France et le Japon ont beaucoup en commun. Nous sommes deux nations maritimes, et nous avons des entreprises de haute technologie. Ensemble, nous pouvons créer une situation gagnant-gagnant », a-t-il déclaré.

Dans une interview au grand quotidien conservateur japonais Yomiuri Shimbun, M. Le Drian a également déclaré que Paris souhaitait réaliser des recherches conjointes entre les deux pays en recherchant la participation des entreprises françaises et japonaises ayant la technologie militaire appropriée.

« Comme elle est un chef de file mondial dans le développement de sonars pour sous-marins et submersibles inhabités, la France semble vouloir faire usage de la technologie japonaise pour continuer à progresser dans ces domaines, selon les observateurs », remarque le Yomiuri.

L’accord profitera aussi à l’industrie de défense japonaise, dont les capacités d’exportation sont en pleine émergence avec de nombreux projets de vente de matériels japonais évoqués, en négociation ou sur le point d’aboutir avec plusieurs pays d’Asie et le Royaume-Uni notamment, sans compter la coopération déjà ancienne avec les États-Unis portant notamment sur les systèmes antimissiles balistiques et qui continue de prospérer.

Une montée en puissance de la coopération avec la France

L’accord a été facilité par une convergence de vues sur un point sensible. En effet, « Paris et Tokyo ont fait vœux de transparence sur leurs politiques respectives d’exportations d’armement, effaçant ainsi les critiques qui ont perturbé la relation bilatérale à cause de la vente par DCNS de grille d’appontage pour hélicoptères à la Chine ». (Les Echos du 10 juin 2013)

Un accord entre les deux pays les oblige à effectuer un contrôle strict sur les armes afin qu’elles n’aillent pas vers des pays impliqués dans des conflits et également éviter que l’usage de technologies civiles ne soit pas détourné vers des usages militaires.

Les accords conclus prendront néanmoins du temps avant de donner naissance à un premier équipement. « Mais pour le Japon, ce premier jalon est nécessaire pour renforcer son industrie de défense en la faisant coopérer avec son homologue tricolore, l’une des plus en pointe dans le monde, d’autant que le gouvernement Abe a mis fin à l’interdiction d’exporter du matériel militaire qui prévalait depuis la fin des années 60. », soulignent Les Echos faisant référence à l’embargo sur les ventes d’armes depuis 1967.

Mais le temps joue en la faveur de la France car la coopération avec Tokyo est déjà ancienne et s’est accélérée depuis la présidence française de François Hollande.

La coopération militaire entre le Japon et la France remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle, quand l’archipel s’ouvre aux technologies et méthodes étrangères. Le Japon a ainsi demandé l’aide de la France dans la construction d’un arsenal à Yokosuka. En 1867, le capitaine Chanoine est envoyé à Yokohama pour créer une école militaire. Plus tard, au début du XXe siècle, la France forme les premiers pilotes japonais. En 1915, des officiers japonais sont envoyés sur le front européen. Le Japon est entré en guerre aux côtés des Alliés. Aussi en 1919, les forces japonaises sont même présentes au défilé de la victoire aux Champs Elysées, le 14 juillet de cette année-là.

La période qui suit, des années trente et de la Seconde guerre mondiale, s’achève par la défaite japonaise. Les relations franco-japonaises sont alors à leur nadir. Mais la France signe le traité de paix avec le Japon de San Francisco en 1951 et devient ainsi un allié de l’ archipel nippon.
Des entreprises de défense françaises s’implantent au Japon comme Thalès.

Depuis 1994, les deux pays tiennent des consultations annuelles pour échanger sur les questions de sécurité et les problèmes régionaux.

En juin 2013, le président François Hollande est le premier président français à venir au Japon depuis dix-sept ans. Une déclaration commune est publiée couvrant différents domaines dont l’économie et la sécurité, notamment l’approfondissement de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme et contre la piraterie et dans le domaine des équipements de défense.

En janvier 2014, la première réunion 2 + 2, c’est-à-dire des ministres de la Défense et des Affaires étrangères des deux pays se tient : elle a reconnu l’importance de la liberté de navigation sur les mers et dans les airs. Un accord a été établi pour installer un cadre pour deux dialogues concernant les mesures pour les contrôles des exportations d’armements et la coopération en matière d’équipement de défense.

En mai 2014, le Premier ministre Shinzo Abe a visité la France et Abe et le président Hollande se sont mis d’accord pour commencer les négociations sur un accord de défense et de coopération.
L’accord du13 mars 2015 en est l’aboutissement heureux.

Coopération diplomatique et sécuritaire

Cet accord ne porte pas que sur la coopération industrielle de défense, il est aussi consacré à des enjeux diplomatiques et sécuritaires ; défis auxquels font face les deux pays.

« Nous soutenons la volonté du Japon de s’engager plus fortement dans le monde et cela rend possible des coopérations nouvelles entre nos deux pays comme stabilisateurs de paix », a déclaré M. Fabius au début du dialogue 2+2.

Le Japon et la France ont ainsi décidé de mieux partager leurs connaissances et pratiques pour faire face à la menace que représentent des groupes terroristes qui ont frappé les deux pays en ce début d’année, ce qui passera par des mesures préventives et contre le financement de ces groupes sanguinaires.

Les échanges ont aussi porté sur les multiples crises internationales (Irak, Syrie, Iran), les quatre ministres rappelant notamment l’importance du règlement de la question ukrainienne dans le respect de la souveraineté et l’intégrité du territoire de ce pays. M. Fabius a rappelé la solidarité de la France avec le Japon sur le dossier nord-coréen, les deux pays s’inquiétant du programme nucléaire de Pyongyang.

Sur la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, MM. Fabius et Kishida ont dit qu’il était nécessaire d’« obtenir des résultats concrets » sur cette question d’ici à la fin de l’année, qui marque le 70e anniversaire de l’organisation.

Le Japon pousse à réformer le Conseil de sécurité des Nations unies en tant que membre du groupe des quatre (G4) avec l’Allemagne, le Brésil et l’Inde qui veulent un siège de membre permanent au Conseil.

Tokyo et Paris souhaitent en outre une intensification des échanges d’informations relatifs à l’Afrique, continent que les Japonais veulent mieux appréhender grâce aux Français, a souligné un fonctionnaire nippon.

Mais cela va au-delà de simples échanges de données sensibles. « Le ministre de la Défense français a également montré sa reconnaissance de la nécessité pour les deux pays à renforcer leur capacité de mener des exercices conjoints en mer, insistant sur la nécessité de la coopération bilatérale pour lutter contre les actes de piraterie qui se produisent fréquemment autour du Golfe de l’Afrique de l’Ouest de la Guinée. » (2)

Par ce pacte, le Japon et la France développent leur coopération militaire amorcée il y a quelque cent cinquante ans et redynamisée par François Hollande et son ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian qui l’ont transformée en un véritable partenariat stratégique.

 

(1) Karyn NISHIMURA-POUPEE, « France et Japon ensemble contre le terrorisme et d’accord pour des codéveloppements militaires », AFP, 13 mars 2015
(2) http://the-japan-news.com/news/article/0001999297
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