09.10.2024
Défense : faut-il avoir peur de l’Allemagne ?
Tribune
20 septembre 2017
Néanmoins, on peut penser – et espérer – que la politique étrangère et de défense allemande sera le domaine le moins touché par le résultat de ces prochaines élections. En 2014, l’Allemagne avait en effet opéré un virage majeur dans sa politique internationale en affirmant qu’elle assumerait à partir de cette date un rôle international à la hauteur de son poids économique. Ce virage fut affirmé par le président de la République allemande de l’époque, Joachim Gauck et par les ministres des Affaires étrangères, Walter Steinmeier, et de la défense Ursula von der Leyen, lors de la conférence sur la sécurité de Munich en février 2014. Certes l’Allemagne n’est pas devenue du jour au lendemain le pays dont les soldats vont se battre dans l’Adrar des Ifhogas, comme la France le fit au Mali en 2013, mais elle est toutefois le pays qui a fait l’effort le plus important pour augmenter son budget de défense à tel point que celui-ci deviendra supérieur à celui de la France. L’Allemagne a également porté, conjointement avec la France, les initiatives principales en cours de négociation au sein de l’Union européenne destinées à renforcer les capacités militaires et industrielles de défense de l’Europe, à savoir le Fonds européen de défense et la coopération structurée permanente. Par la suite, et comme l’a souligné la ministre des Armées, Florence Parly, deux de nos partenaires européens historiques, l’Italie et l’Espagne nous ont rejoint pour soutenir ces initiatives.
Aujourd’hui pourtant, et paradoxalement, certains s’inquiètent de ce partenariat/face-à-face avec l’Allemagne pour construire une Europe de la défense plus forte afin d’affirmer le rôle de l’Union européenne sur la scène internationale. Si autrefois on s’inquiétait de la faiblesse du budget de la défense allemand (moins de 1,2% du PIB contre 1,78% à la France), on s’inquiète aujourd’hui de voir ce budget dépasser celui de la France. L’Allemagne dépense plus pour sa défense et veut donc fabriquer plus d’équipements militaires et lancer de nouveaux programmes d’armement. Pour ce faire, elle a décidé de plus coopérer, notamment avec les pays d’Europe du Nord et d’Europe centrale, soit l’initiative Framework Nations Concept lancée dans le cadre de l’OTAN en 2014.
Certains s’inquiètent dès lors de ces initiatives et préconisent une autre politique consistant à favoriser les coopérations bilatérales avec les deux pays avec lesquels nous coopérons le plus lors de nos interventions militaires, à savoir les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Or, même s’il n’est pas question de couper les ponts avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni – et personne ne le préconise -, une relation exclusive avec ces deux pays n’irait pas dans le sens de l’histoire et ne servirait pas les intérêts de la France.
Il y aurait tout de même un paradoxe à resserrer nos liens avec les Etats-Unis au moment où ce pays a élu Donald Trump comme président, et avec le Royaume-Uni au moment où ce pays a choisi de sortir de l’Union européenne. L’alliance renforcée avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni repose sur le postulat selon lequel seule la force militaire, et l’usage que l’on en fait, doit conditionner notre politique de défense. C’est oublier que la politique de défense s’inscrit dans le cadre plus large de la politique d’un pays qui englobe la politique étrangère et la politique économique. Ce sont en effet les intérêts de la France au sens large qu’il faut prendre en compte pour définir notre politique de défense et non uniquement nos interventions armées. Les Britanniques ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, cherchant à toute force à maintenir leurs liens avec l’Union européenne, que ce soit au plan économique ou de la défense, comme le prouve les deux documents qu’ils ont rendu public dans le cadre de la négociation sur le Brexit[1]. L’Union européenne conserve un pouvoir attractif extrêmement important et plus personne ne craint, comme il y un an, un éclatement de cette Union.
Le centre gravité de nos intérêts repose donc dans le futur de l’Union européenne et nous sommes aujourd’hui dans une situation proche de celle qui existait quand François Mitterrand et Helmut Kohl ont fondé l’Union européenne moderne au début des années 90, basée sur la création de l’Euro et sur le développement d’une politique étrangère et de défense commune.
Le vrai débat, y compris en matière défense, est donc de savoir ce que nous allons faire avec l’Allemagne après l’élection du 24 septembre. Nos deux chefs de l’exécutif seront nouvellement élus et auront normalement une capacité d’action assez grande. Dans le domaine de la défense et notamment sur les questions industrielles, l’Allemagne défend ses intérêts. En quoi cela peut-il lui être reproché ? A nous de faire valoir nos atouts qui sont très importants, notamment en matière de recherche, pour nouer un partenariat reflétant un juste équilibre avec l’Allemagne. Le projet de futur avion de combat sera ici un test qu’il ne faudra pas rater. Quant aux initiatives en cours à Bruxelles, elle vise à accroître les capacités militaires de l’Union européenne, à développer la compétitivité et le potentiel technologique de nos industries de défense et à permettre à l’UE d’avoir une véritable autonomie stratégique : trois objectifs qui ont toujours été ceux de la France et qui sont aujourd’hui partagés par l’Allemagne. Il est donc nécessaire de poursuivre dans cette voie.
[1] Future customs arrangements, a future partnership paper, HM Government 21 août 2017
Foreign policy defence and development, a future partnership paper, HM Government 12 septembre 2017