ANALYSES

Nouvelles règles d’engagement pour l’armée japonaise à l’étranger

Tribune
28 novembre 2016
Le Cabinet japonais a autorisé la première extension des tâches pour les troupes de la Force d’autodéfense nippone (FAD, armée japonaise) envoyées à l’étranger depuis l’adoption, en septembre 2015, d’une législation controversée sur la sécurité nationale, qui étend le rôle des forces armées à l’étranger, rapporte le quotidien de gauche Asahi Shimbun.

La décision, annoncée le 15 novembre, permettra aux troupes des FAD envoyées au Soudan du Sud, pays en état de guerre civile, dans le cadre de l’opération de maintien de la paix des Nations unies de mener des opérations dites « kaketsuke-keigo », ce qui signifie littéralement « se précipiter dans des endroits éloignés pour protéger et sauver ».
La situation est très critique dans ce pays et les forces gouvernementales et les forces de l’ONU ont même échangé des tirs pendant des combats en juillet, quand la violence a éclaté à Juba, la capitale.

Cette nouvelle loi élargit et modifie le mandat des troupes japonaises qui travaillent sur des projets d’infrastructures dans des zones non-combattantes dans le cadre de la mission de paix de l’ONU (UNIMISS) depuis 2012, remarque The Daily Caller. Les soldats seront responsables de l’ingénierie et de travaux construction dans la capitale sud-soudanaise. Entre autres, ils s’engageront dans la construction de routes et aideront à construire des camps de réfugiés, indique The Diplomat. Mais, en vertu de leurs nouvelles règles d’engagement, les soldats de la paix japonais sont également autorisés à venir en aide à d’autres contingents des Nations Unies de maintien de la paix et peuvent s’engager dans des opérations de sécurité militaire, y compris des patrouilles et des inspections de véhicules aux postes de contrôle.

L’objectif principal du « kaketsuke-keigo » est donc de protéger les employés des Nations Unies ou des organisations non gouvernementales qui travaillent dans un endroit éloigné et qui seraient attaqués. L’ensemble des lois sur la sécurité adoptées l’année dernière permettent aux membres des FAD d’utiliser leurs armes pour protéger ces travailleurs, alors que dans le passé, les armes ne pouvaient être utilisées que pour l’autodéfense des seules forces japonaises. Les membres des FAD peuvent désormais tirer des coups de semonce pour faire reculer un groupe armé ou des émeutiers. Ils peuvent également répondre à des tirs s’ils sont attaqués ou se sentent en danger de mort. Cette évolution est inédite depuis la Seconde Guerre mondiale.

Missions très encadrées

67 membres de la 9e Division des FAD basée dans la ville d’Aomori au nord du Japon sont arrivés au Soudan du Sud le 21 novembre. Au total, 350 soldats supplémentaires seront déployés au Soudan du Sud d’ici à la mi-décembre. Les membres des FAD seront également autorisés théoriquement – souligne le South China Morning Post – à des efforts de protection conjoints des camps de l’ONU avec ceux d’autres forces expédiées des pays qui font partie de l’opération de maintien de la paix.

Le Cabinet d’Abe a également publié un document qui expose ses réflexions sur les nouvelles tâches à confier aux FAD. Le document définit le « kaketsuke-keigo » comme « une mesure qui ne sera mise en œuvre que de manière extrêmement limitée et qui servira de mesure d’urgence et temporaire qui entrera dans les limites des capacités » des FAD. La zone dans laquelle cette tâche peut être mise en œuvre a été limitée à « Juba [la capitale] et les régions avoisinantes ».

Le document indique également que l’utilisation du « kaketsuke-keigo » pour protéger des troupes d’autres nations n’est pas considérée comme une option viable.

Le gouvernement japonais a tenté de minimiser l’idée que sa nouvelle mission serait très dangereuse, en affirmant que les membres des FAD ne seront appelés que si les autorités du Soudan du Sud ou d’autres troupes de l’ONU responsables de l’application de la loi ne peuvent pas répondre à l’urgence.

Mais les partis d’opposition au Japon ont utilisé les délibérations à la Diète japonaise (le Parlement nippon) pour souligner les risques accrus auxquels doivent faire face les membres des FAD et affirmer que certains des cinq principes de participation aux opérations de maintien de la paix ne sont pas remplis au Soudan du Sud. Parmi ces conditions : qu’il existe une trêve entre les belligérants et que les belligérants aient accepté la participation du Japon aux opérations de maintien de la paix des Nations unies.

Dans le cadre de ses missions, les troupes des FAD peuvent se retrouver dans des situations où il sera difficile d’identifier les forces hostiles qu’elles rencontrent. Si les FAD finissent par échanger des tirs avec les forces gouvernementales, cela risque de constituer une violation de l’article 9 de la Constitution japonaise qui ne reconnaît pas le droit de belligérance de l’Etat.

Le gouvernement devrait donc plutôt se préparer un plan de retrait en cas de guerre civile, estime dans un éditorial l’Asahi Shimbun.

Craignant l’implication des forces japonaises dans un conflit armé, des centaines de personnes se sont rassemblées, le 15 novembre, devant le bureau du Premier ministre japonais Shinzo Abe, pour manifester contre l’adoption d’une mesure qu’ils jugent trop risquée et contraire à l’esprit pacifiste de la constitution.

« La sécurité est une préoccupation. Si ce n’était pas dangereux, pourquoi auraient-ils besoin de porter des armes ? », s’inquiète Kiro Chikazawa, un fonctionnaire de Tokyo qui a participé à la manifestation.

Au Japon, la question de l’implication de l’armée à l’étranger reste donc un sujet extrêmement sensible.
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