ANALYSES

Vladimir Poutine clarifie (partiellement) ses intentions

Tribune
11 mars 2020
 

Le 10 mars devait marquer une étape décisive de la séquence politique ouverte le 15 janvier par Vladimir Poutine à l’occasion de son adresse annuelle à l’Assemblée fédérale. Était en effet prévu l’examen en deuxième lecture par la Douma d’État des amendements constitutionnels, notamment de ceux introduits le 2 mars par le président à la suite de sa réunion le 26 février avec les membres du groupe de travail ad hoc. Si la journée du 10 mars fut en effet décisive, elle s’est déroulée de façon assez différente de ce qui était anticipé à Moscou.


La session de la Douma d’État s’est ouverte sur un premier coup de théâtre. Deux députés très connus, l’ancien lutteur Alexandre Karéline et la cosmonaute Valentina Terechkova, ont soumis deux amendements imprévus, l’un sur la tenue d’élections législatives anticipées, l’autre sur la levée des restrictions concernant le nombre de mandats présidentiels. Deuxième coup de théâtre avec l’annonce de la venue du chef de l’État à 15 heures à la Chambre basse du Parlement. Rejetant d’abord ces deux hypothèses, Vladimir Poutine dit finalement ne pas être opposé à celle d’une « remise à zéro » des compteurs à condition que la Cour constitutionnelle ne s’y oppose pas.


Une nouvelle fois, le président russe a donc surpris. Pour mémoire, le scénario d’une « remise à zéro » des compteurs avait été formellement démenti à plusieurs reprises en février par le sénateur Klichas, le co-président de la commission ad hoc à la réforme constitutionnelle. Seuls deux observateurs persistaient et signaient en ce sens : Alexeï Venediktov, le rédacteur en chef de la radio Écho de Moscou, et…Vladislav Sourkov, l’ancien conseiller de Vladimir Poutine qui a récemment quitté ses fonctions. Le président russe devrait donc pouvoir se représenter en 2024 et rester au Kremlin jusqu’en 2036. Le pouvoir a renoncé à deux scénarios plus complexes – celui d’une montée en puissance du Conseil d’État, dont Vladimir Poutine aurait pris la tête après son départ du Kremlin, et celui « à la kazakhstanaise ». Le premier aurait introduit une forme de dyarchie, ce que Vladimir Poutine a refusé comme facteur de risque pour la stabilité du pays. Le second, scruté de près à Moscou depuis le départ de Noursoultan Nazarbaëv de la présidence en 2019, a été jugé peu convaincant.


L’impression qui prévaut, y compris chez des observateurs russes avisés comme le politologue Alexeï Makarkine, est celle d’une improvisation du pouvoir. Elle existait déjà le 15 janvier, notamment au moment du casting ministériel (on a appris que certaines personnalités auxquelles avait été annoncée leur nomination au poste de vice-Premier ministre sont arrivées à Moscou comme simples ministres). La durée de la séquence, qui dure depuis près de deux mois, et les événements récents (Coronavirus et chute des prix du pétrole) ont pu apporter leurs correctifs. Vladimir Poutine a peut-être changé d’avis ; à moins qu’il ait, encore une fois, voulu garder plusieurs fers au feu le plus longtemps possible pour ne pas apparaître au sein de l’élite comme un canard boiteux. Ces deux explications n’étant d’ailleurs pas contradictoires.


Après la troisième et dernière lecture à la Douma ce 11 mars, le texte sera examiné par le Conseil de la Fédération et les assemblées régionales, avant d’être signé par le président et envoyé le 18 mars à la Cour constitutionnelle, qui aura une semaine pour statuer. Les Russes devraient se rendre aux urnes le 22 avril pour un scrutin qui sera, au fond, un référendum sur « voulez-vous encore Vladimir Poutine au pouvoir pour deux mandats ».


Le scénario d’un Vladimir Poutine siégeant au Kremlin jusqu’à 83 ans doit-il être pris au sérieux ? L’expérience montre que tout ou presque est possible en Russie. Il me semble cependant que les deux phrases clés de Vladimir Poutine pour comprendre ce qu’il s’est passé aujourd’hui sont les suivantes : « Nous allons travailler jusqu’en 2024, et alors on verra » et « Je suis convaincu que viendra le temps où le pouvoir présidentiel suprême ne sera plus aussi personnifié ». Manifestement, le président russe estime que ce n’est pas le cas aujourd’hui et que c’est lui – et le peuple – qui en décideront le moment venu. Peut-être en 2024.


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Cet article a été préalablement publié sur l’Observatoire franco-russe.
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