ANALYSES

La COP25 : un échec face à l’urgence climatique ?

Interview
19 décembre 2019
Le point de vue de Julia Tasse


Initialement prévue au Chili, la COP 25 a dû être relocalisée au dernier moment à Madrid. Après deux semaines de dialogue, cette édition, qui est aussi la plus longue de l’histoire des COP, ne semble pas avoir montré de grandes réussites. Quels résultats cette COP offre-t-elle ? Le point de vue de Julia Tasse, chercheuse à l’IRIS et Sofia Kabbej, assistante de recherche à l’IRIS.

Quel bilan tirer de cette COP 25 ? Où en est l’Accord de Paris après cette conférence ?

L’objectif de la COP 25 était de finaliser les règles de mise en œuvre de l’Accord de Paris (AP) afin qu’il soit opérationnel en 2020. Parmi les points principaux à négocier, celui des modalités et procédures des mécanismes de coopération et de marché carbone internationaux prévus à l’article 6 de l’AP et la révision du Mécanisme international de Varsovie (WIM), dédié aux pertes et dommages. Devaient également être abordés le rehaussement des réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES) des pays prévu pour 2020, ainsi que les thématiques des océans et de la biodiversité.

Pour le Secrétaire des Nations unies António Guterres, les représentants de la société civile et des États les plus vulnérables aux impacts des changements climatiques, le bilan de la COP25 est décevant. Malgré la dynamique lancée par présidence chilienne et le Secrétariat des Nations unies, seuls 80 pays, représentant 10,5 % des émissions mondiales de GES, se sont engagés à rehausser l’ambition de leurs Contributions Déterminées au niveau National (CDN) d’ici 2020. Les États n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur les modalités d’application des mécanismes de l’article 6 relatifs à l’intégrité environnementale des projets de coopération, à la double comptabilisation des quotas, aux droits humains et aux articulations avec le Mécanisme de Développement Propre (CDM) du Protocole de Kyoto. Les États ont également failli à s’accorder sur la thématique des pertes et dommages, tant sur leur reconnaissance que sur les mécanismes financiers associés. On observe globalement une division entre pays du Sud et pays du Nord sur cette question, les premiers faisant valoir leur besoin de financements face aux pertes et dommages qu’ils subissent, les seconds, en particulier les États-Unis, s’y opposant. Les blocages rencontrés autour de ces deux enjeux ont gangréné le reste des négociations, qui n’ont pas non plus réussi à faire avancer les questions liées aux océans et à la biodiversité. Ainsi, seuls 39 pays se sont engagés à inclure les océans dans leurs futures CDN tandis qu’aucune avancée n’a été enregistrée en matière de biodiversité.

Quelques points positifs méritent malgré tout d’être soulignés. Tout d’abord l’adoption d’un Plan d’Action sur le Genre qui vise, entre autres, à intégrer de manière systématique les considérations de genre aux politiques climatiques des États, et au cadre de gouvernance onusien des changements climatiques. Un groupe de travail ayant pour objectif de développer un plan sur six ans afin d’aider les pays à réaliser une transition vers une économie plus propre a également été créé. Côté finance, un groupe de 51 ministres des finances ont présenté le Plan d’Action de Santiago qui ambitionne d’intégrer le changement climatique dans le processus de prise de décision des politiques économiques et financières. L’Union européenne, par la voie de la Présidente de la Commission Ursula von der Leyen, a présenté les grands axes du nouveau Green Deal qui vise entre autres, la neutralité carbone d’ici 2050 et une réduction plus importante des émissions de GES d’ici 2030.

Dans quelle mesure est-ce que l’article 6 constitue un point central de l’intégrité de l’Accord de Paris ?

L’Article 6 de l’Accord de Paris évoque la mise en place de trois mécanismes de coopération volontaire visant à augmenter l’ambition de réduction des émissions de GES. Deux de ces mécanismes sont basés sur des logiques marchandes, le premier vise à permettre le transfert de résultats d’atténuation au niveau international (ITMO), c’est-à-dire permettre à un pays ayant dépassé ses objectifs d’atténuation de revendre les quotas qui lui ont été alloués à un autre, tandis que le second mécanisme prévoit la création d’un nouveau marché carbone international, géré par les Nations unies, pour les acteurs publics et privés. Enfin, le troisième mécanisme vise à fournir un cadre formel aux pays afin de les encourager à coopérer autour des solutions à mettre en place pour atténuer et s’adapter aux changements climatiques.

L’Article 6 est considéré par beaucoup comme la pierre angulaire de l’AP car il permettrait de réaliser les réductions d’émissions de GES nécessaires pour atteindre l’objectif des 1,5 °C dans la mesure où il repose sur des mécanismes de marchés incitatifs, que nombre de pays font référence à l’usage de tarification du carbone dans leur CDN et qu’il intègre les acteurs du secteur privé (notamment les entreprises les plus polluantes). Pourtant, de nombreuses réserves sont exprimées par les représentants des ONG environnementales, des peuples indigènes et des États les plus vulnérables. Pour eux, si les modalités des différents mécanismes ne sont pas précises et contraignantes, l’application de l’article 6 pourrait avoir des conséquences importantes sur l’intégrité environnementale des mécanismes de marché et les droits de l’homme. Des projets contribuant à réduire les émissions de GES, comme la construction d’un barrage hydroélectrique, ont déjà provoqué des conséquences néfastes sur l’environnement local, en détruisant des écosystèmes et en violant les droits des populations. Il est clair que les négociations autour de l’article 6 de l’AP continueront de monopoliser l’attention lors de la COP26 et que leur issue sera déterminante pour la mise en œuvre de l’AP.

Comment la société civile réagit-elle face à l’échec de cette COP à répondre à l’urgence climatique ?

Cette année, ce sont près de 9 000 acteurs de la société civile qui ont assisté à la COP25. La relocalisation de l’évènement à Madrid au dernier moment a causé d’importants défis logistiques et financiers aux acteurs non étatiques des pays du Sud. Pour la société civile, les négociations ont témoigné d’une profonde déconnexion entre les lents processus onusiens et la demande d’action rapide et ambitieuse de la société civile. Cette déconnexion est d’autant plus visible lorsque l’on s’attarde sur la manière dont sont accueillis les rapports du Groupe Intergouvernemental d’Expert sur l’Évolution du Climat (GIEC) par certains pays dont l’Arabie Saoudite, le Koweït ou le Brésil. La frustration de la société civile s’est exprimée dans les rues de Madrid, lors d’une marche qui a réuni 500 000 personnes, et au sein du centre de conférence où plus de 200 observateurs, dont beaucoup de jeunes et d’indigènes, ont mené une action de protestation.
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