ANALYSES

Bonnet d’âne

Correspondances new-yorkaises
7 juin 2019


Alors que Donald Trump s’apprête à gracier impunément des militaires américains condamnés pour crimes de guerre, les démocrates s’enlisent quant à eux dans une opposition stérile et old school.

Ne voulant pas admettre que la bataille autour du dossier russe est en grande partie perdue auprès de l’opinion, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, continue à s’y accrocher. Ce qui n’a pour résultat que de victimiser chaque jour un peu plus Trump aux yeux de ses sympathisants pour qui l’affaire a été classée avec le rapport Mueller.

Pelosi et consorts n’ont toujours pas compris que nous n’étions plus dans les années 80 et qu’avec la révolution Trump nous en étions malheureusement aujourd’hui arrivés à l’âge de la politique des excès, âge où tous les coups sont permis.

Âgée de 79 ans, Nancy Pelosi n’a pas non plus perçu les changements psychologiques majeurs qui se sont opérés dans la mentalité américaine depuis la crise financière de 2008 et la montée des populismes dont Trump est le plus évident des symptômes. Elle se refuse donc à lâcher un peu de lest sur le dossier russe et à frapper en dessous de la ceinture, là où ça fait vraiment mal. C’est à dire en ce qui concerne Trump, les femmes et la santé mentale.

C’est bien connu, Donald Trump n’appréciait guère feu John McCain, ancien sénateur républicain et héros américain de la guerre du Vietnam. « Je n’ai jamais été un grand fan de John McCain et je ne le serai jamais », avait notamment déclaré le président américain. Et le mépris était réciproque. Avant de mourir d’un cancer au cerveau en août 2018, McCain avait demandé à ce que Trump n’assiste pas à ses obsèques.

Dix mois après son décès, la haine du président américain envers l’ancien sénateur ne s’est visiblement pas atténuée. Quelques jours avant la visite de Donald Trump au Japon, qui s’est tenue du 25 au 28 mai, la Maison Blanche a demandé à ce qu’un navire américain baptisé John-McCain ne puisse pas être vu par Donald Trump.

« L’USS John-McCain ne doit pas être à portée de vue », a ordonné avant la visite présidentielle un haut responsable militaire américain dans un email officiel.

De leur côté, et afin d’éviter le moindre risque, les membres de l’équipage, qui portent généralement des casquettes où est inscrit le nom de McCain, ont eu droit à un jour de congé lors de la visite de Donald Trump.

On est ici en plein délire ! Après que la chose a été rendue publique, Donald Trump a dit ne pas être au courant. Possible, mais cela ne change rien au fait qu’il est évident que de telles précautions n’auraient jamais été prises pour un homme totalement sain d’esprit ! Rien que cela justifierait de la part des démocrates une demande d’investigation sur la santé mentale du président.

Et que dire du fait que Trump ait récemment soutenu à plusieurs reprises et sans raison que son père était né en Allemagne, alors qu’il sait très bien ainsi que tout le monde que Fred Trump est né à New York en 1905 ! C’est son grand-père Frederick Trump qui est né en Bavière en 1869 et qui a émigré aux États-Unis en 1885…

Même s’il ne s’agissait pas ici d’un symptôme de sénilité précoce mais, ainsi que le prétendent les défenseurs du président américain, uniquement d’une bravade supplémentaire, cette « anecdote », parmi des dizaines d’autres similaires, ne serait-elle pas en elle-même une preuve de troubles de plus en plus manifestes ? Ne justifierait-elle pas elle aussi une investigation ? Le premier PDG venu sujet à un tel comportement aurait déjà été remplacé et envoyé en maison de repos avec la bénédiction de son conseil d’administration !

Mais non, pour Madame Pelosi, il ne serait pas élégant d’aller sur ce terrain. Encore moins de murmurer le mot impeachment. Le dossier russe, vous dis-je ! Le dossier russe ! …

Résultat et suprême ironie, le Donald qui lui ne s’embarrasse pas de ce genre de principes et a bien compris les goûts de l’époque, vient de twitter une vidéo dénonçant la sénilité de Pelosi !

Vidéo qui s’est avérée être truquée, mais peu importe, le mal a été fait et il sera maintenant difficile aux démocrates d’attaquer sur le même terrain…

Quant à l’élection présidentielle de 2020, elle est loin de s’annoncer sous les meilleurs auspices pour le parti de l’âne qui malgré un sursaut prévisible et au final assez modeste aux élections de midterm de l’automne dernier peine à reconnecter avec l’opinion et à motiver les milieux populaires.

Comme la plupart des partis qui se disent de gauche ou se veulent progressistes, le parti démocrate américain est incapable depuis plus d’une génération de mettre en place, ou même de proposer, les vraies réformes économiques et sociales nécessaires. Cela essentiellement par peur de déplaire à ses donateurs milliardaires ainsi qu’à l’électorat centriste, mais aussi tout simplement par manque de vision et de conviction. Résultat, la gauche américaine, comme la plupart des gauches occidentales, a abandonné la lutte pour les plus démunis au profit d’une démagogie souvent écœurante et de réformes sociétales qui ne répondent pas toujours aux attentes de la population. Loin s’en faut.

« Ce n’est pas en débaptisant Columbus Circle ou en finançant la construction d’un monument hommage aux transgenres que de Blasio aidera à la lutte contre l’inégalité dans une ville où l’espérance de vie n’est pas la même d’un quartier à l’autre ! », s’insurgeait il y a quelques jours mon voisin de palier à Brooklyn, un ancien prof de lycée à la retraite, après la nouvelle annonce gadget du maire de New York.

Bref, la stratégie de l’establishment démocrate pour 2020 se résume pour l’instant en deux mots : Joe Biden.

La machine à perdre est lancée.

En effet, Joe Biden, aimable vice-président de Barack Obama, aurait sans doute eu ses chances en 2016 s’il avait alors décidé de se présenter et non de laisser le champ libre à Hillary Clinton. Au contraire de cette dernière, il aurait pu mobiliser plus d’électeurs démocrates dans les États clés et donc battre Donald Trump. Mais le paysage politique d’aujourd’hui n’est absolument plus le même.

Alors que la vague de dégagisme en Occident bat toujours son plein, personne ne semble plus anachronique et éloigné des réalités du moment que Biden dont le programme paraît avoir été concocté dans les années qui ont suivi la mort d’Elvis. Sans parler de son côté indubitablement establishment.

Si ce dernier remporte la nomination démocrate et affronte Donald Trump en novembre de l’année prochaine, il est fort probable que le milliardaire new-yorkais rempile pour quatre ans.

Au contraire de ce qu’ont pu dire plusieurs commentateurs, seul un candidat très engagé dans le social et « hors système » comme Bernie Sanders pourrait prendre des voix sur l’électorat populaire de Trump, rallier une importante partie de la jeunesse et des communautés afro-américaine et hispanique et créer une dynamique au-delà des démocrates en faisant se déplacer pour voter un grand nombre de ceux qui ont l’habitude de rester chez eux.

Quant aux républicains modérés qui auraient pu voter Biden, soit dans ce cas ils s’abstiendraient, soit ils reporteraient leur voix sur Sanders, leur allergie à Trump étant viscérale.

Il serait ironique que ce soit la présidence Trump qui ouvre pour la première fois les portes de la Maison Blanche à un « socialiste ». Malheureusement cela n’arrivera sans doute pas. Bernie Sanders à deux handicaps : son âge, 79 ans au moment de l’élection – mais bon, après tout Joe Biden aura 77 ans et Donald Trump 74 -, et surtout la détestation que lui porte la direction démocrate, Nancy Pelosi en tête. Celle- ci fera tout pour qu’il n’obtienne jamais la nomination.

Conclusion : le plus probable à l’heure actuelle est donc que Joe Biden – ou un de ses nombreux clones parmi la vingtaine de candidats démocrates – soit nominé par le parti puis battu par Trump. Les rares choses qui pourraient empêcher cette défaite, seraient que le président milliardaire soit sérieusement empêtré dans quelque affaire judiciaire et surtout que les démocrates se décident enfin à « la guerre à outrance » afin de le démolir auprès de son électorat. C’est peut-être sale mais n’en déplaise à Nancy Pelosi, le jeu en vaut la chandelle. Car ne nous voilons pas la face, si le Donald est réélu l’Amérique ne s’en relèvera jamais complètement.

En attendant, le parti de l’âne n’a jamais aussi bien porté son nickname.
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