ANALYSES

Ultimatum sur le nucléaire iranien : Donald Trump, artisan de la prolifération ?

Interview
16 janvier 2018
Le point de vue de Thierry Coville


En menaçant les autres parties prenantes de l’Accord sur le nucléaire iranien d’un retrait unilatéral des Etats-Unis en l’absence de renégociation, Donald Trump s’inscrit dans une certaine continuité. Mettre en œuvre la politique étrangère qu’il avait promise à son électorat et à ses soutiens internationaux 1 an plus tôt, et cela au mépris des engagements internationaux de son propre pays, de la normalisation des relations diplomatiques et in fine, de la stabilité et de la sécurité internationale. Pour nous éclairer, le point de vue de Thierry Coville, chercheur à l’IRIS

Quelle est la stratégie des États-Unis en voulant intégrant des enjeux – programme balistique, droits de l’homme, géopolitique régionale – ne faisant pas initialement partie des pourparlers de l’Accord, après l’annonce de Donald Trump sur une ultime reconduction de la suppression des sanctions à l’égard de l’Iran ?

L’interrogation porte avant tout sur la stratégie de Donald Trump. Ses prises de décision concernant la certification de l’Accord sur le nucléaire iranien sont très liées à son avis personnel sur l’Accord voir ce qu’il pense de l’Iran tout simplement. Il est peu probable que le ministre des Affaires étrangères ou encore le responsable de la sécurité nationale auraient affiché ce type de position.

Les États-Unis ont un certain nombre de griefs à l’égard de l’Iran qui sont liés à son programme balistique, à la question des droits de l’homme ainsi qu’à la politique régionale de l’Iran. En affirmant continuellement son hostilité à l’égard du pays et le fait qu’il soit une menace pour la paix et la sécurité, Donald Trump entretient un discours radical, il ne supporte pas le caractère gagnant de l’accord qui a contribué à sa signature, il est dans une perspective de gain absolu face ce qu’il désigne comme un ennemi prioritaire.

Or il s’agissait d’un bon accord avec l’Iran et les « 5+1 » à savoir le Conseil de sécurité des Nations Unies et l’Allemagne. D’un côté, il a permis à l’Iran d’enrichir de l’uranium, ce que le pays demandait, mais ce qui n’était pas la ligne initiale des Occidentaux. De l’autre côté, il permet un certain nombre de garanties afin qu’il n’y ait pas de militarisation du programme.

Pour bien des observateurs, cette volonté de remettre en cause l’Accord s’inscrit dans une démarche plus large de détricotage systématique de l’action de Barack Obama notamment à l’international comme on a pu le constater sur d’autres dossiers. Il souhaite intégrer dans cet Accord tous les griefs qu’ont les États-Unis contre l’Iran, mais ça ne tient pas la route du point de vue du droit international. Il a été signé en juillet 2015 puis confirmé par une résolution des Nations unies du Conseil de sécurité et donc par un président américain.

Il ne faut également pas oublier qu’il y a eu tout un processus : si l’Iran ne respecte pas ses obligations, de nombreuses procédures automatiques de sanctions sont prévues. Cependant, force est de constater que l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) confirme que l’Iran respecte bien l’Accord. C’est là que se dévoile le caractère quasiment illégal de ce que demande Trump. Il y aurait alors le sentiment que n’importe quel accord ou traité multilatéral peut être balayé du jour au lendemain.

Les États-Unis porteraient de lourdes séquelles en termes de crédibilité. Sans compter qu’ils font face à une crise sur le nucléaire nord-coréen. S’il abandonne l’Accord, leur crédibilité sur le dossier nord-coréen serait nulle.

En faisant beaucoup de gesticulations diplomatiques et en rajoutant en parallèle des sanctions contre l’Iran, Donald Trump accroît l’incertitude avec les entreprises étrangères qui veulent travailler avec l’Iran. Cela consisterait à ce que l’Iran ne tire pas de bénéfices économiques et éventuellement cela pourrait déboucher sur une réaction iranienne du type « si les bénéfices de cet accord ne sont pas perceptibles et bien autant en sortir ».

L’objectif des États-Unis serait d’amener l’Iran à hausser le ton, puis à la faute. Ils sont contre l’Accord mais ils savent très bien que la crédibilité de leur pays peut être engagée s’ils s’en retiraient les premiers. En limitant les bénéfices économiques de l’accord, ils poussent l’Iran à s’en retirer sans prendre le risque de le faire unilatéralement.

Quelles sont les positions des autres acteurs de l’Accord (Plan d’action global commun), notamment l’Union européenne, et les enjeux d’une rencontre des ministres des Affaires étrangères prévue à Bruxelles le 22 janvier prochain ?

Ils tiennent tous à cet Accord, et il n’est certainement pas prévu de le renégocier. Du côté européen, les positions françaises, anglaises et allemandes sont très claires. Après l’interrogation porte sur la capacité des Européens à maintenir ce discours de fermeté sur la durée. L’Europe pourrait éventuellement ouvrir d’autres canaux de discussions annexes à l’Accord pour éventuellement « calmer » Donald Trump, notamment sur le programme balistique ou le rôle de l’Iran dans la région.

Cependant un tel scénario paraît très peu probable, car l’Europe n’a aucun intérêt à jouer les intermédiaires entre l’Iran et les États-Unis. Elle doit penser ses intérêts propres en continuant d’approfondir sa normalisation des relations avec l’Iran. Cette position d’intermédiaire entre Téhéran et Washington n’est pas souhaitable et est même risquée, car cela pourrait conduire à un affaiblissement diplomatique de l’Union européenne vis-à-vis de l’Iran.

Les franges les plus conservatrices du régime accusent déjà les Européens d’être le cheval de Troie des États-Unis. Or, si l’on est majoritairement apprécié dans le pays, c’est avant tout parce que la politique étrangère française est jugée indépendante par rapport aux Américains.

Si l’Iran ne compte pas remettre en cause son programme de missiles pour des questions de souveraineté nationale, les gardiens de la Révolution seraient par exemple ouverts à une discussion sur la portée. Certes, cela ne mènerait pas à un nouvel accord, mais à une potentielle entente dans ce domaine entre les Iraniens et les Européens.

Cette menace de renégociation ou de sortie unilatérale par les États-Unis n’affaiblit-elle pas davantage les réformateurs iraniens vis-à-vis des clans les plus hostiles à l’Accord ? Un cadre propice à d’éventuelles discussions sur ce dossier peut-il se dessiner en Iran ?

Il est encore trop tôt pour anticiper ce que sera la position américaine dans 3 mois. S’il y a un retrait unilatéral des États-Unis comme sur d’autres dossiers multilatéraux, cela affaiblira considérablement la crédibilité de leur diplomatie. Cela serait d’abord un coup de boutoir porté à leur encontre.

Concernant l’Iran, qu’il s’agisse des modérés ou des conservateurs, il ne faut pas grossir les traits des positions de chacun sur ce dossier. Tous les clans tiennent en réalité à cet Accord pour la simple et bonne raison qu’il a été ratifié et qu’il est à l’heure actuelle toujours respecté.

Concernant les réactions iraniennes, elles ne sont pas encore connues. Ceci étant, le 1er conseiller de Rohani a annoncé qu’il existait « un plan B ». Sur le plan international, il est clair que cela mettrait l’Iran en position de force, car les USA sortiraient de l’accord sans raison objective.

Dans un tel scénario, la position de l’Europe serait déterminante, l’enjeu serait sa capacité à maintenir l’Accord, ce qui serait une bonne politique.

Si la situation actuelle devait déboucher sur une crise, Rohani devrait faire face au clan des « durs » qui auront beau jeu de dénoncer le fait que l’accord n’aura rien apporté aux pays sur le plan économique et que les États-Unis n’ont jamais été dignes de confiance.

Il pourrait néanmoins résister à ces attaques, car la position américaine apparaitrait comme totalement caduque sur le plan du droit international tout en montrant les bénéfices économiques de l’Accord et l’intérêt de le maintenir. Il faut également prendre en compte le large soutien de la population envers sa politique de normalisation. Les Iraniens sont également conscients du poids des sanctions américaines dans la morosité de la conjoncture économique et sociale.

Néanmoins, une orientation privilégiée pour le maintien de l’Accord passerait par un approfondissement des relations économiques avec l’Iran avec l’assurance que les sociétés européennes peuvent y faire des affaires sans courir le risque de sanction ce qui est actuellement très compliqué.
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