ANALYSES

Taxe carbone et divisions sociopolitiques au Canada

Tribune
25 juillet 2017
En mai dernier, le gouvernement fédéral canadien a annoncé une série de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le prolongement de l’Accord de Paris. Le plan n’est pas sans réveiller les tensions intestines de la société canadienne, largement engagée dans un modèle de développement productiviste depuis plusieurs décennies.

La politique environnementale du gouvernement Trudeau se pare des atours communicationnels les plus brillants pour s’afficher comme le bon élève de la classe mondiale concernant les dispositifs de lutte contre le changement climatique. En mai dernier, la ministre de l’Environnement dévoilait un plan de réduction des émissions de méthane, un gaz qui représente le quart des émissions de gaz à effet de serre du pays. S’y agrège une mesure bien connue outre-Atlantique : la taxe carbone, qui s’élèverait à dix dollars la tonne dès 2018, pour augmenter graduellement de dix dollars chaque année et atteindre 50 $ en 2022. Une taxe qui ne devrait s’appliquer que pour les provinces de la Saskatchewan et du Manitoba.

Ces mesures sont cependant loin de faire consensus. La concorde sociopolitique, durement bâtie durant de longues décennies autour d’une économie politique néolibérale et productiviste, est en train de se fissurer. Le gouvernement Trudeau a perdu la confiance de la majorité des Canadiens et seuls 19 % d’entre eux soutiennent le projet. Leurs craintes ? La hausse de leur facture énergétique et la délocalisation des entreprises canadiennes, notamment les plus polluantes. Cela explique la forte opposition des provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta (autour de 70 % d’avis négatifs), deux provinces productrices de pétrole ; l’extraction pétrolière représente un quart du PIB de l’Alberta. Le risque serait de voir partir les entreprises et les investisseurs, alors même que les Etats-Unis de Donald Trump tournent le dos aux engagements de l’administration Obama lors de la COP 21, tenue à Paris en décembre 2015.

La contestation du projet met en exergue le paradoxe axiologique qui traverse le gouvernement canadien : d’une part, la force d’inertie d’une orthopraxie néolibérale, héritière directe du libéralisme d’un Pierre Eliott Trudeau (le père de l’actuel Premier ministre), fondée sur le productivisme et l’action de l’État pour décloisonner le marché, au mépris des considérations écologistes ; et d’autre part, la montée en puissance symbolique ces dernières années d’une construction diégétique autour de politiques de protection de l’environnement. Cette communication politique autour de mesures écologistes est d’autant plus efficace qu’elle frappe les esprits en s’opposant diamétralement au climato-scepticisme de l’ancien Premier ministre conservateur, Stephen Harper, lequel en son temps avait rejeté le protocole de Kyoto, défendu l’exploitation des sables bitumineux et tenté d’écarter les militants écologistes de l’espace public.

Dit d’une autre manière, Justin Trudeau est tiraillé entre un néolibéralisme débridé, écologiquement néfaste par essence mais idéologiquement puissant, et le capital politique que procure la mise en place d’une politique de protection de l’environnement, tant sur la scène politique intérieure que dans le jeu des relations internationales. Alors que Donald Trump apparaît comme un dirigeant imprévisible à tous égards et fait montre de mépris vis-à-vis des valeurs partagées par les démocraties libérales, le Canada a une carte à jouer : faire entendre sa voix et accroître son autorité politique dans le concert des nations, au moment où les sociétés occidentales sont travaillées par des courants anti-libéraux, de droite comme de gauche.

Seulement, le Canada n’est pas épargné par la montée de courants de pensée illibéraux dans sa société. Le printemps érable de 2012 n’en est qu’un exemple. Certains militants de gauche, alliés circonstanciels ou plus durables des séparatistes, gardent un poids politique notable au Québec. Le modèle multiculturaliste, qui s’est imposé au Canada comme une valeur dominante et identificatoire de la société, est lui-même attaqué ; en particulier par des courants islamophobes qui, sous prétexte de défendre la laïcité, aspirent tacitement au retour d’une société blanche mythifiée de tradition chrétienne. Ces courants contestataires mettent en lumière les contradictions qui parcourent la société canadienne jusqu’au sommet de l’État et irriguent l’ensemble des démocraties libérales. Des contradictions qui se résument à une alternative : abandonner ou maintenir les « frontières ».
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