ANALYSES

Tournée de Vladimir Poutine en Asie centrale : quels enjeux ?

Interview
9 mars 2017
Le point de vue de Samuel Carcanague
Du 26 au 28 février 2017, le président russe s’est rendu dans trois pays centre-asiatiques : le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizstan.

Quels sont les enjeux de la visite de Poutine dans ces trois pays d’Asie centrale et quelle relation Moscou entretient-elle avec eux ? Quid de l’Ouzbékistan et du Turkménistan ?

Le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan sont les pays considérés comme les plus proches de la Russie en Asie centrale. Le Kazakhstan constitue le premier partenaire économique de Moscou et les relations entre les deux dirigeants sont étroites. Le Kirghizstan est également assez proche en tant qu’Etat membre de l’Union économique eurasiatique (UEE). Le régime politique tend par ailleurs à se rapprocher du type de régime russe, avec un tournant autoritaire, réduisant quelques libertés et affichant une certaine hostilité envers les valeurs occidentales. Enfin, la Russie a un intérêt sécuritaire important au Tadjikistan, lié au trafic de drogue qui passe par ce territoire. Quant à l’Ouzbékistan, Poutine s’y était rendu en septembre pour rencontrer le nouveau président ayant succédé à Islam Karimov après son décès fin août. Le dirigeant russe a tout de même envoyé son chef des renseignements à Tachkent. Concernant le Turkménistan, Poutine a téléphoné au président Gourbangouli Berdimukhamedov en promettant de venir lui rendre visite en 2017.

Où en est la candidature d’adhésion du Tadjikistan à l’Union économique eurasiatique (UEE) ? Cette dernière représente-t-elle un réel projet d’intégration eurasiatique ou bien seulement un moyen pour la Russie d’exercer son contrôle sur les pays d’Asie centrale ?

Il est question depuis longtemps que le Tadjikistan entre dans l’UEE mais la récente visite de Vladimir Poutine ne semble pas avoir fait avancer le dossier. L’UEE est une vieille idée venant du président kazakhstanais Noursoultan Nazarbaïev, qui l’a proposée dès 1994. Cette idée a été ensuite reprise par Poutine. Ce projet d’intégration régionale s’inspire plus ou moins du modèle de l’Union européenne, avec l’existence d’une Commission à Moscou et la volonté de créer un espace de libre-échange. L’Ukraine était aussi censée entrer dans l’UEE mais cela ne s’est pas fait suite à la crise de 2014. L’UEE est désormais étendue à la Biélorussie, au Kazakhstan, à l’Arménie et au Kirghizstan. Cette union est destinée à l’intégration économique régionale mais on ne peut pas nier qu’elle possède une certaine dimension politique : du point de vue russe, il s’agit notamment d’afficher une sorte de bloc alternatif à l’Occident. Cependant, du point de vue du Kazakhstan et de la Biélorussie, il ne s’agit absolument pas d’une union politique. Ils refusent ainsi une intégration plus poussée au niveau politique mais également économique, puisqu’ils avaient refusé la proposition de Poutine d’instaurer une monnaie unique. Mais force est de constater qu’au vue du poids économique et politique de la Russie, le centre de gravité de l’UEE reste principalement Moscou.

En quoi l’Asie centrale représente-t-elle un terrain de rivalité entre la Russie et la Chine ? Le projet de la « Nouvelle route de la soie » offre-t-il l’occasion pour Pékin de développer son influence dans la région au détriment de Moscou ?

L’Asie centrale est d’autant plus un terrain de rivalité entre Moscou et Pékin compte tenu du fait que ces dernières années, la Russie a perdu du terrain face à la Chine, qui est devenue le premier partenaire commercial de la plupart des pays d’Asie centrale. Il existe donc une concurrence économique majeure entre les deux pays. Au vu de l’ampleur des investissements et des projets chinois, les Russes craignent l’influence politique que Pékin pourrait avoir à terme dans la région. Pour l’instant, on observe une sorte de partage des tâches tacite entre les deux pays : la Russie garde la primauté sur les questions politiques et sécuritaires, tandis que Pékin se borne aux questions économiques et d’infrastructures. Le projet One Belt, One Road (OBOR) lancé par les Chinois en 2013 est-il un facteur de la rivalité sino-russe ? Oui et non. Les investissements prévus par cette initiative vont servir certains intérêts russes, notamment ceux de l’UEE en favorisant les échanges en son sein. Le projet chinois pallie aussi les capacités d’investissements russes qui sont assez faibles, permettant ainsi de faire avancer certains projets d’infrastructures qui, autrement, ne verraient pas le jour. Malgré tout, le projet chinois entre en concurrence avec celui de l’UEE. Les deux projets sont fondamentalement différents à la fois sur la forme et sur le fond. L’UEE est un projet institutionnel d’intégration régionale. De son côté, l’initiative OBOR est une sorte de label apposé sur tout un ensemble de projets, sans réelle institution qui l’encadre. Il existe également une divergence sur le fond car l’UEE est une union voulue par la Russie pour créer une zone de libre-échange, protégée par des tarifs douaniers assez élevés vis-à-vis des pays non-membres. Or, avec ce projet OBOR, la Chine table à l’inverse sur la connectivité, à savoir favoriser les échanges dans tout l’espace eurasiatique, ce qui va à l’encontre de l’esprit protectionniste de l’UEE. Certaines logiques vont donc à l’encontre des unes des autres, ce qui pourrait, malgré la complémentarité affichée par les autorités chinoises et russes, fournir des motifs de confrontation à l’avenir.
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