ANALYSES

Quel avenir pour la « War on drugs » aux Etats-Unis ?

Tribune
18 octobre 2016
Article co-écrit avec Antoine Przybylak, étudiant à IRIS Sup’.

Au milieu d’un concert d’insultes et d’attaques diffamantes, peu de thèmes fondamentaux furent finalement abordés durant la campagne électorale par les deux principaux candidats, Hillary Clinton et Donald Trump. Parmi ces thèmes, on retrouve les initiatives de lutte contre les trafics et la consommation de drogue, les Etats-Unis étant le plus gros consommateur au monde. Pour faire face à ce fléau, les dirigeants américains mènent depuis près de cinq décennies une politique qualifiée, depuis l’administration Nixon, de « War on drugs ». Cette politique, au coût exorbitant (plus d’un trilliard de dollars), a un impact très important au sein de la population, notamment la communauté afro-américaine victime de mesures très répressives et sur-représentée dans les prisons du pays. La drogue est, par ailleurs, un problème de santé publique que la prochaine administration devra tenter de régler, poursuivant ainsi une tradition depuis les années 1970, avec des résultats mitigés. Tour d’horizon des positions des deux principaux candidats, afin de prendre la mesure de leurs propositions sur ce sujet essentiel.

Donald Trump est resté très évasif sur le thème de la « War on drugs », aussi faut-il s’en remettre à ses prises de position passées pour tenter de décrypter ce à quoi pourrait ressembler son programme sur le sujet. En 1990, il déclarait dans un entretien pour le Miami Herald : « We are losing badly the war on drug ». Il était alors favorable à la légalisation des drogues, que ce soit la marijuana, l’héroïne, la cocaïne ou encore la méthamphétamine. Le but de cette légalisation était financier. En entraînant la commercialisation d’un produit, les profits auraient été les mêmes que pour n’importe quelle autre entreprise sauf que cet argent aurait pu être utilisé pour payer les impôts, ou encore pour investir. Conséquence logique, les dealeurs et autres tsars de la drogue (selon sa propre expression) auraient perdu le pouvoir d’attraction financière. Cette idée ultra-libertarienne reste recevable, même si elle peut poser un problème d’éthique. Des hommes politiques comme Rand Paul ou des ONG comme Open Society continuent de partager cette vision.

En 2016, le candidat républicain est resté beaucoup plus flou sur ses intentions concernant le problème de la drogue, notamment sur les différents points ci-après :
– En ce qui concerne la légalisation du cannabis, il ne s’est pas prononcé pour ou contre. Pour lui, il est de l’autorité de chaque Etat de statuer sur la question, à la même manière de ce que font déjà les Etats du Colorado ou de Washington.
– Concernant l’arrivée de drogues aux Etats-Unis, Trump semble suivre aujourd’hui la ligne de nombreux élus et responsables républicains. Il parle de la drogue aux Etats-Unis comme il parle des immigrés illégaux : « Drugs are not coming in. We are gonna build a wall. You have confidence in me. Believe me, I will solve the problem ». Cette volonté manifeste de faire du problème de la drogue un problème extérieur alimente ses positions sur le durcissement des contrôles aux frontières et la construction d’un mur le long de la frontière avec le Mexique.
– Concernant les personnes touchées par l’addiction, il utilise un phrasé qui n’est pas sans rappeler Richard Nixon. Avec son slogan « Make America Great Again », il se permet un tour de passe-passe pour éviter la question : « The people that are in trouble, the people that are addicted, we’re going to work with them and try to make them better, » et ajoutant, « and we will make them better ». Mais pas de précision quant aux mesures permettant d’arriver à de tels résultats miraculeux, et moins encore au coût de cette politique…

En phase avec son prédécesseur (comme elle aime le rappeler à chacune de ses sorties médiatiques), Hillary Clinton incarnerait une continuité dans les décisions prises par Barack Obama durant son mandat, ainsi que la mise en application de l’initiative Mérida (adoptée en 2007, ce plan de lutte contre la drogue s’est caractérisé par une aide de plus de 2,5 milliards de dollars au Mexique entre 2008 et 2015). Bien qu’elle semble, en effet, partager de nombreuses idées avec le président sortant, elle n’en reste pas moins une personnalité politique forte ayant ses propres convictions et un passif qui interroge, en particulier en ce qui concerne son engagement contre les trafics de drogue. Comme son rival, sa vision politique sur le sujet a par ailleurs fortement évolué au fil des années. Alors que Trump s’annonce d’abord comme un libertaire de premier plan sur ce sujet, Hillary Clinton, alors First Lady, assista son mari dans le développement de sa politique « Tough-On-Crime », à la fin des années 1990. Cette politique est aujourd’hui perçue comme désastreuse et en grande partie responsable de l’incarcération record aux Etats-Unis. C’est d’ailleurs face à cette politique qu’Obama s’est souvent opposé.

La rigidité de « Tough-On-Crime » divise les Démocrates et rapproche les positions de l’administration Clinton des mesures prônées dans les milieux conservateurs. Dans The New Jim Crow, Michelle Alexander note ainsi que : « Les Clinton ont amené la guerre contre la drogue à un niveau que les conservateurs ne pensaient pas possible dix ans auparavant ». Ces propos corroborent avec l’analyse de Donna Musch, auteur d’une enquête pour The New Republic, qui montre que le nombre de personnes incarcérées aux Etats-Unis a augmenté plus rapidement sous la présidence de Bill Clinton que n’importe quel président auparavant. Cette liste inclue donc les « anti drugs warriors » que sont Nixon, Reagan et Bush père.

Ce passif interroge surtout les positions de l’ancienne First Lady, qui prit une part active à ces mesures. En 1994, Hillary Clinton œuvra ainsi intensément pour la mise en place du plus grand projet de loi sur la criminalité dans l’histoire des Etats-Unis « The Violent Crime Control and Law Enforcement Act ». Ce plan comportait :
– la création de 100.000 postes de policiers
– une levée de fond de plusieurs milliards de dollars pour la création de prisons
– une montée en puissance des peines minimales obligatoires.

Ces précédents laissent pantois, lorsqu’on regarde aujourd’hui les discours et les entretiens de Madame Clinton sur la « War on Drugs », dans lesquels elle ne semble pas remettre en cause ses engagements dans les années 1990. On peut ainsi s’interroger sur ses positions, alors que les deux tiers de la population américaine souhaite aujourd’hui en finir avec la « War on Drugs », selon un sondage de février 2014. Consciente par défaut de la nécessité de rectifier le tir, Hillary Clinton s’est donc repositionnée sur le sujet. Depuis qu’elle a décidé de se présenter à la présidentielle américaine, elle a ainsi fait part de plusieurs mesures phares de son programme qui s’éloigne de ses anciennes initiatives en tant que First lady, et qu’elle a dévoilées en avril 2016. On y retrouve :
– la volonté d’approfondir les recherches médicales dans l’utilisation de la marijuana à des fins médicales
– l’importance de prendre son temps et d’analyser si la légalisation de la marijuana dans certains Etats est une bonne ou une mauvaise chose
– elle partage, avec Barack Obama, le projet de débloquer 1,1 milliard de dollars pour venir en aide aux toxicomanes.

Concernant les initiatives internationales, le rôle d’Hillary Clinton reste trouble. Elle a joué un rôle immense dans l’initiative Mérida en tant que secrétaire d’Etat de 2008 à 2013. Les critiques se sont accumulées autour d’elle puisque plus que quiconque, elle détenait des renseignements concernant les agissements de la police mexicaine, l’incroyable niveau de corruption ou encore le taux d’homicide record. Certains ont même interprété son rôle, comme un acte de complicité concernant le non-respect des droits de l’homme au Mexique.

L’inexpérience et la futilité des réponses de Donald Trump rencontrent ainsi une difficulté chez Hillary Clinton à incarner le changement et peinant à faire oublier un bilan mitigé et son passif de First lady empreint de rigidité. Les deux candidats manquent ainsi de crédibilité autant que de persuasion sur un sujet pourtant essentiel et couvrant plusieurs problématiques, de la sécurité à l’économie.
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