ANALYSES

Quelles leçons tirer de l’attentat à Bruxelles ?

Interview
25 mars 2016
Le point de vue de François-Bernard Huyghe
Les dernières attaques terroristes à Bruxelles ont exposé les lacunes du dispositif sécuritaire européen. Quelles sont-elles ? Quelles leçons tirer de ce nouvel attentat ?
Je ne sais pas si ces attentats ont exposé les lacunes du système sécuritaire européen car je ne suis pas persuadé que ce système existe véritablement. En tout cas, les attaques ont mis en lumière deux choses. D’une part, les problèmes de coordination entre la France et la Belgique et d’autre part, l’action des services de renseignement qui, malgré un travail de fichage et de collecte des données opérationnel, peinent à écrémer et hiérarchiser les informations. Cette situation produit un effet que je nomme « 12 septembre » : dans les jours qui suivent un attentat terroriste, on découvre des caches, des personnes fichées et de nombreux dossiers sans qu’aucune décision ne soit prise à temps. C’est donc plus une question de méthode, de sélection d’une information surabondante, qu’un véritable problème de sécurité européenne, si tant est qu’un tel animal existe.

Une coopération renforcée est-elle la solution pour lutter contre les réseaux djihadistes en Europe ? Pourquoi les pays de l’UE n’arrivent-ils pas à s’engager sur un fichier des passagers aériens (PNR) par exemple ?
Concernant le fichier des passagers aériens, sa mise en place est freinée par la bureaucratie et les intérêts divergents des 28 pays de l’Union européenne. Ce fichier pose des questions en termes de libertés et de protection des données individuelles qui sont appréciées très différemment selon les pays. Finalement, on en revient toujours au même point : il est compliqué de se mettre d’accord à 28.
À propos de la nécessité de coopérer, je ne vais évidemment pas souhaiter une moindre coopération. On l’a déjà vu à l’occasion des ratés franco-belges dans l’opération pour arrêter Abdeslam. Un échange plus rapide et efficace des fichiers pourrait certainement permettre de procéder statistiquement à davantage d’arrestations. Mais ce n’est qu’une toute petite fraction de la solution, qui comprend aussi des choix de politique étrangère, une politique de lutte contre les causes de la radicalisation d’une partie de la jeunesse, etc. Alors certes, pour faire simple, un meilleur partage des fichiers apportera des résultats quantitatifs mais cela constituera un apaisement plus qu’une guérison.

Sky News a récemment dévoilé une liste avec des informations précises sur le profil de 22.000 djihadistes. Cette liste est-elle fiable ? Que nous apprend-t-elle sur l’organisation et les faiblesses de Daech ?
La question de la fiabilité de cette liste doit être posée aux spécialistes des services de renseignement. Pour autant, sans que je puisse me prononcer sur la véracité de la liste présentée par Sky News l’existence de fiches similaires me paraît vraisemblable. L’Etat islamique doit certainement posséder des éléments s’en approchant.
Cette donnée nous révèle que l’Etat islamique est un véritable Etat, dans la mesure où il se compose d’une administration centrale, d’un budget destiné à payer ses collaborateurs, d’une immatriculation de son personnel ainsi que des fichiers de compétences. Daech s’appuie donc sur une bureaucratie pour mener à bien son action. Or, à partir du moment où une telle bureaucratie existe – regroupant des informations tel que le nom des parents, la pratique de la religion ou encore la volonté ou non de se sacrifier lors d’un attentat-suicide -, il peut y avoir des repentis et des lanceurs d’alerte qui transmettront des informations sur la stature, les faiblesses et le personnel de l’Etat islamique. C’est un problème qui est structurel à tous les régimes : l’accumulation de dossiers, supposés secrets, fait courir le risque d’une fuite. L’augmentation des défections est un sérieux défi posé à l’Etat islamique. L’organisation va être confrontée à la dissidence et à l’abandon de poste d’anciens partisans qui considèrent désormais que Daech a trahi ses idéaux.
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