ANALYSES

La Tripartite Free Trade Area : un projet d’intégration régionale pour mettre fin à la fragmentation commerciale en Afrique

Interview
11 juin 2015
Le point de vue de Pierre Jacquemot
Vingt-six pays africains ont signé le 10 juin 2015, un accord de libre-échange qui intéresse 620 millions d’habitants du Caire au Cap. Quelle est la portée de cet accord « Tripartite » ?
La Tripartite Free Trade Area (TFTA) englobera les pays membres de trois organisations régionales déjà existantes : le Marché commun d’Afrique orientale et australe (Comesa), la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). L’objectif est de supprimer les barrières douanières et non tarifaires. L’approche régionale est donc privilégiée comme partout dans le monde, confirmant ainsi l’échec de la démarche globale préconisée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis quinze ans.
L’accord intéresse un ensemble qui regroupe plus de 600 millions d’habitants et plus de 1 000 milliards de dollars de PIB, associant près de la moitié des pays africains. On y retrouve des économies qui par leur taille et leur potentiel peuvent jouer un rôle dynamique dans l’intégration économique, avec au Nord, l’Égypte, à l’Est, le Kenya, et au Sud, l’Afrique du Sud. Sans oublier des économies qui affichent des taux de croissance très élevés comme l’Angola, l’Éthiopie et le Mozambique, et qui attirent d’importants investissements étrangers. Seul manque au tableau le Nigeria, premier PIB d’Afrique mais qui appartient à l’espace occidental.

Les membres de la Tripartite


Microsoft Word - IRIS Accord Afrique - Juin 2015.doc


Qu’attendre de cet accord ?
L’objectif est de mettre fin à la fragmentation commerciale. L’idée de base qui sous-tend ce type de projet d’intégration est qu’un marché régional où la circulation des marchandises est ouverte et protégée vis-à-vis de l’extérieur par un tarif unifié est bénéfique pour tous. Sous réserve cependant qu’il y ait, au sein de l’espace concerné, concurrence, économies d’échelle et création de trafic.
L’idée n’est pas neuve en Afrique. L’intégration commerciale est inscrite à l’agenda des pays africains depuis les indépendances des années 1960. Avec jusqu’à présent des résultats modestes. Seulement 12 % environ des échanges commerciaux en Afrique ont lieu entre pays du continent, contre 55 % en Asie et 70 % en Europe. Les instruments de l’intégration ne manquent pourtant pas et l’on peut penser que si les textes étaient effectivement appliqués, certaines sous-régions constitueraient déjà de vraies zones de libre-échange. La Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) constitue le seul exemple véritablement significatif de renforcement des échanges. Au cours de la période 2005-2015, la baisse des droits de douane en son sein a dynamisé le commerce régional et a permis aux cinq pays membres d’accélérer leur croissance. Les exportations entre le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie ont triplé pour représenter 23% de leurs échanges. L’union monétaire est promise pour 2017. De son côté, du fait de sa souplesse, la SADC devrait être la plus performante des organisations régionales, avec ses douze membres ayant aboli des droits internes et s’étant engagés vers une Union douanière.
Les obstacles non tarifaires internes aux échanges restent partout nombreux : contingents, permis divers, règles d’origine, normes sanitaires et phytosanitaires, refus des conditions préférentielles. L’équivalent tarifaire de ces obstacles s’établit en moyenne à 40 %, soit un taux qui, pour la plupart des produits, est beaucoup plus élevé que les tarifs appliqués par la plupart des pays du monde. Si la Tripartite a l’ambition de réduire ces pratiques, l’accord ne permettra pas de supprimer ipso facto toutes ces entraves, et pas davantage ce que les économistes appellent pudiquement les « pratiques anormales ». Elle se mesure par exemple par les délais de transport et les coûts de franchissement des frontières.

Quelles seront les prochaines étapes ?
Il faudra attendre plusieurs mois avant que ne se concrétise véritablement la Tripartite. Le calendrier de démantèlement des barrières douanières n’a pas encore été établi et il faudra de longs délais de négociation entre experts. Pour entrer en vigueur, le traité devra être ratifié dans les deux ans par les Parlements des vingt-six pays.
Au-delà, pour engager en profondeur un processus d’intégration régionale rêvé par les pères des Indépendances, la création d’un vaste marché ne suffira pas. Il devra être accompagné par le développement de projets d’infrastructures (transport, énergie notamment) à vocation régionale et par l’adoption et l’application de règles communes allant jusqu’au transfert de souveraineté avec des structures institutionnelles de type fédéral. On en est encore loin.
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