ANALYSES

RD Congo : un verdict contre la vérité des urnes

Tribune
22 janvier 2019


À Kinshasa, une banderole courait le long de la façade du siège de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). On y lisait ce slogan : La Céni, pour des élections transparentes, crédibles et apaisées. En réalité, elles furent opaques, contestées et litigieuses.

Qui pouvait douter que le clan Kabila, installé au pouvoir depuis 20 ans, accepterait de perdre la maîtrise de ses principaux rouages ? S’étant rendu compte que son candidat ne l’emporterait pas, sa manœuvre a été subtilement habile, passant par une alliance en apparence contre nature avec Felix Tshisekedi, le fils du Sphinx de Limete, celui qui avait incarné si farouchement l’opposition d’abord à Mobutu puis, précisément, aux Kabila père et fils.

Avec 38 % des suffrages selon les résultats provisoires, Tshisekedi a donc devancé Martin Fayulu, l’autre opposant, qui en a recueilli près de 35 %. Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat du parti de Kabila termine quant à lui sur la troisième marche avec 23 %. Contre toute attente, Félix Tshisekedi a donc été proclamé président de la République le 20 janvier.

Au cours des jours qui ont précédé, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) avait annoncé qu’elle possédait le nom du vainqueur : ce nom était celui de Fayulu, en précisant que ce serait la CENI qui porterait la responsabilité d’un soulèvement populaire si elle n’annonçait pas un résultat conforme aux votes des Congolais.

Martin Fayulu dénonça un « putsch électoral ». Avec quelques raisons. Ce dénouement accrédite en effet la thèse d’une mascarade savamment orchestrée. Après l’annonce de la victoire de Tshisekedi, des fuites du téléchargement du serveur central de la CENI, et d’autres données issues de la compilation de documents de la CENCO, forte de 40 000 agents déployés sur tout le territoire, furent relayées par RFI, le Financial Times et TV5-Monde. Analysées, les données se révélèrent concordantes et montrèrent une victoire sans discussion de Fayulu avec un score situé autour de 60 % des voix, avec une différence de plus de 3 millions de voix par rapport à ceux proclamés le 10 janvier. Tshisekedi aurait quant à lui recueilli entre 15 et 19 % des voix selon les mêmes documents, précédé de Shadary avec 19 %. Comment oublier aussi que les opérations électorales avaient été reportées à mars prochain dans la région de Beni-Butembo (Nord-Kivu) comme à Yumbi (Ouest), privant de leurs droits civiques plus de 1,2 million de citoyens ?

Le caractère extravagant des résultats officiels des législatives est « le dernier clou dans le cercueil des illusions », pour reprendre une formule imagée de Vincent Hugeux de l’Express. Le Front commun pour le Congo (FCC), alliance acquise au clan Kabila, a gagné 350 des 485 sièges à pourvoir à l’Assemblée nationale. La coalition pro-Tshisekedi quant à elle n’en obtient qu’une cinquantaine, soit moins que celle du malheureux Fayulu. Par quel prodige un électorat qui rejette à près 77 % le prétendant adoubé par le régime peut-il offrir dans le même temps à celui-ci une chambre introuvable ?

Au lendemain de la désignation de Tshisekedi par la CENI, avec certainement trop d’empressement, car il donna matière à ceux qui dénoncèrent l’ingérence extérieure, Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, mit en évidence des « résultats non conformes », tandis que son homologue belge déclara plus prudemment comprendre les « inquiétudes des Congolais » dont il attendait les réactions ! Quant à l’Union européenne, elle demanda à la CENI de publier les procès-verbaux des centres de compilation des résultats. En vain.

Martin Fayulu fut rapidement débouté de sa plainte devant la Cour constitutionnelle par un verdict politique, mais habillé des oripeaux du droit. Elle refusa le recomptage des voix au motif que les plaignants n’auraient apporté aucune preuve, qualifiant même cette requête d’ « absurde ». Une décision qui ne peut pas surprendre tant cette instance est soumise au pouvoir de Joseph Kabila qui l’avait largement remaniée à sa main en 2018. Si ce dernier ordonna à la Cour de presser le pas et de proclamer Tshisekedi président, ce fut une manière de couper l’herbe sous le pied de l’Union africaine dont une délégation de haut niveau, avec à sa tête le Rwandais Paul Kagamé, devait se rendre à Kinshasa. Son intention n’était-elle pas de contrecarrer le scénario d’alternance en trompe-l’œil concocté par Joseph Kabila.

Le verdict contestable et contesté peut être interprété comme le résultat d’un pacte circonstancié, scellé de longue date et appelé à régir désormais le partage du pouvoir. On en trouva la preuve lorsque Tshisekedi s’empressa de rendre hommage à Kabila, oubliant qu’il l’avait traité de « dictateur » quelques mois auparavant. Peu après l’annonce miraculeuse, il prit soin de multiplier les déclarations laissant entrevoir une porte de sortie pour Kabila, allant jusqu’à ajouter : « Pourquoi, compte tenu de son expérience, ne pas lui confier des tâches diplomatiques spéciales, faire de lui un ambassadeur extraordinaire du Congo ? ». Désormais sénateur à vie, l’ancien chef de l’État gardera le contrôle de l’appareil sécuritaire, des ressources minières et de la diplomatie. « Nous avons perdu le chapeau, mais nous conservons la tête de l’exécutif », déclara, explicite sur ses intentions, l’un des porte-parole de Kabila.

Comment Felix Tshisekedi pourrait-il à présent gouverner sereinement ? L’on se souvient qu’il avait sabordé l’accord passé à Genève le 11 novembre dernier avec les 7 chefs de partis d’opposition pour une candidature commune, celle de Fayulu. Pour être élu, il a passé une alliance avec le clan que son père avait farouchement combattu pour ses dérives mafieuses et autoritaires. Son élection restera longtemps entachée du soupçon de fraudes. Il se sera mis à dos certains de ses pairs africains. L’aide internationale, celle des Européens notamment, sera difficilement négociée. Très vite, il va devoir désigner un Premier ministre issu de la majorité parlementaire, certainement un kabiliste de stricte obédience. Pour le moins, avec un tel passif et tant d’entraves, ses marges de manœuvre seront étriquées.

D’aucuns pensaient que le « précédent kenyan », à savoir l’annulation des élections de septembre 2017 que prononça la Cour suprême de Nairobi, à la suite des défaillances de la commission électorale du pays, avait définitivement montré que les choses avaient changé en Afrique. Doivent-ils déchanter ? Avec le « précédent congolais », moins nombreux seront ceux qui désormais penseront que la démocratie élective est, partout, le meilleur système approprié au contexte politique africain.
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