ANALYSES

Moins d’un an après l’indépendance du Soudan du Sud, les menaces de guerre persistent

Tribune
13 avril 2012
La compréhension des conflits au Soudan suppose de dépasser les clivages entre chrétiens et musulmans, Arabes et non arabes, Blancs et Noirs, agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades. Les clivages identitaires sont pluriels, évolutifs, repérables à des échelles diverses. On observe une très grande diversité et de forts brassages ethniques. On note une imbrication de conflits d’ampleur diverses et d’échelles différentes avec interaction de facteurs environnementaux, économiques, culturels et économiques. Les enjeux principaux concernent l’eau et le partage des eaux du Nil, le pétrole mais également le foncier. Les conflits ont généré des drames humanitaires, alimentaires, réfugiés, de déplacés de très grande ampleur.
La montée de la conflictualité au Soudan du Sud et au Soudan

Le défi de la République du Soudan du Sud est celui de la constitution d’un nouvel Etat dans un pays où la nation est à construire. Elle est caractérisée par un des niveaux de développement les plus faibles de la planète (85% d’analphabètes, la moitié de la population est en forte insécurité alimentaire et vit avec moins de un dollars/jour). Comment un « Etat pré failli » peut-il construire une démocratie ? Le MPLS (mouvement populaire de libération du Soudan), mouvement militaire rebelle, tente de se transformer en un parti politique civil. Il est le parti le plus transversal mais n’est pas un parti national. Il a acquis des privilèges par la guerre et est contesté par les autochtones de Juba et de l’Etat Equatoria. Il a obtenu 70% des voix aux élections, contrôle 27 sur 33 ministères du GOSS (gouvernement du Sud-Soudan), 95% du parlement de Juba et se rapproche d’un parti unique. Toutefois la diversité identitaire a éclaté une fois l’indépendance obtenue. Les oppositions sont familiales, claniques et tribales. Aux conflits locaux de faible intensité s’ajoutent des conflits politico-militaires opposant le MPLS, les insurgés armés et les partis d’opposition. Les clivages ethniques sont utilisés pour relier ces conflits locaux et politico militaires. La domination Dinka (considérés comme allogène à Juba par les autochtones) qu’exerce le MPLS est dénoncée par les Nuer et son big man Machar ainsi que par les Shilluk et son big man Alok. Ces divers mouvements sont instrumentalisés par Khartoum et peuvent peser dans la négociation. Les rivalités entre les populations de l’Equatoria (agriculture sédentaire) et les Nilotiques marginalisés sont attisées. Khartoum est accusée de mener des guerres par procuration en soutenant Athor. Machar et Matip sont les membres d’une supposée coalition des Nuers pour déloger les Dinkas du pouvoir. L’arc de rébellion va du Jonglei au Nord-Bahr el –Ghazal avec deux têtes de pont, le Haut-Nil et l’Unité et de fortes tendances au factionnalisme.

Mais, il y a également résurgence au Soudan des conflits dans les Etats proches du Sud, les monts Nouba dans le Sud du Kordofan. Ceux-ci avaient été en partie réglés par le cessez le feu de février 2002. Ils renvoient aux mémoires de l’esclavage entre Noubas et Baggara, aux conflits fonciers vis-à-vis des terres accaparées par les Baggara et les Jullaba propriétaires de Khartoum, aux alliances entre les Noubas et les sudistes du SPLM.


Vers une guerre entre le Soudan et le Soudan du Sud ?

Les conflits Nord/Sud avaient fait plus de 2 millions de morts et plus de 5 millions de déplacés jusqu’à l’accord de 2005. Le référendum conduisant à l’indépendance du Sud a eu lieu le 9 janvier 2011 ; celui de la région d’Abyei à la lisière du Nord et du Sud avait été repoussé. Les contentieux entre le Nord et le Sud restent très nombreux. Les plus importants sont le partage des ressources pétrolières et de la dette, la délimitation des frontières entre le Nord et le Sud et la citoyenneté des sudistes vivant au Nord Soudan. Le Kordofan et le Nil bleu, situés au Nord Soudan, contestent le pouvoir de Khartoum.

Le premier contentieux est celui de la délimitation des frontières. Le référendum n’a pu être organisé à Abyei. Il reste des espaces pétrolifères contestés tels Heglig. Les Etats du Nil bleu et du Kordofan-Sud du Soudan contestent le pouvoir de Khartoum, certaines milices sont liées au MPLS et des droits de nationalité des sud-Soudanais vivants au Nord.

Le second est celui des droits des populations. L’indépendance du Soudan du Sud a conduit à des questions non résolues en termes de nationalité et de citoyenneté, de demandes d’asile pour des apatrides, dans un contexte où les populations sont largement métissées, mobiles et sont déplacées ou réfugiées suite aux conflits. Le Soudan est caractérisé par un poids considérable de migrants, de déplacés, de réfugiés et de demandeurs d’asile. Sur les 700 000 sudistes vivant au Soudan, 110 000 sont en attente de migration au Sud avec les difficultés liées aux droits quant à l’accession à la nationalité. La question de la nationalité des Sud-Soudanais est d’ailleurs conflictuelle. Les autorités soudanaises refusent la nationalité des Sud-Soudanais restés au Soudan alors que nombre d’entre eux sont mariés à des Soudanais, et ne veulent ou ne peuvent quitter le Soudan. Le nombre d’apatrides risque de croitre très fortement. Les camps de réfugiés se sont développés au Soudan et au Sud Soudan mais également dans les pays limitrophe tels l’Ethiopie ou le Tchad avec un rôle majeur du HCR.

Le troisième contentieux concerne la gestion et le partage des revenus pétroliers. Sur 500 000 barils jour, 400 000 sont produits par le Soudan du Sud. Aucun accord n’a été trouvé pour favoriser une coopération entre le Sud disposant des réserves et le Nord possédant les raffineries et l’oléoduc vers Port- Soudan. Les deux Etats ont pourtant un besoin impératif de coopérer, du moins pour le Soudan du Sud tant que l’oléoduc allant vers Lumu au Kenya n’aura pas été construit et que des raffineries ne seront pas installées. En 2012, les prélèvements jugés discriminatoires sur le transport du pétrole du Sud par le Nord ont été accompagnés par l’arrêt de l’exploration du pétrole au Sud alors qu’il représente 98% des recettes publiques. Le Soudan demandait 30$ par baril alors que le Soudan du Sud était prêt à payer seulement 1 $ par baril. La réunion de février 2012 à Addis-Abéba entre Juba et Khartoum sous l’égide de l’UA avait annoncé l’arrêt des bombardements mais les négociations ont été suspendues. Les délimitations des frontières contestées (Abyei), les soutiens aux milices rebelles des deux côtés des frontières et le partage de la rente pétrolière restent en suspens.

Le rôle des pays limitrophes et des puissances

Le Soudan et la République du Sud Soudan sont l’enjeu de soutiens de la part des pays limitrophes et des grandes puissances, très présents dans ces conflits. Le Soudan a bénéficié en 2012 d’un appui renforcé de la Libye et de l’Egypte suite aux changements de régime liés au « Printemps arabe ». Le Sud du Soudan est appuyé par le Kenya, l’Ouganda et Israël. L’Ethiopie est a priori liée au Soudan du Sud mais elle est très dépendante du Soudan sur le plan énergétique et a des intérêts liés au Soudan. L’Erythrée a des alliances évolutives. Les Etats-Unis et la Chine sont également très présents dans le jeu géopolitique. Chacun soutient un camp différent mais pratique également la real politik. Les diplomates américains (sauf les néoconservateurs) considèrent Omar El-Bechir comme un moindre mal, en tant que rempart vis-à-vis de l’islamisme radical. La Chine a des liens privilégiés avec Khartoum mais a, pour des raisons d’intérêts pétroliers, noué des liens avec Juba. Le déploiement des Casques bleus est le plus élevé du monde avec 35 000 sur 90 500 (MINUS, MINUAD, UNIFSA).

Les conflits du Soudan, du Soudan du Sud auxquels se rajoutent la reprise de conflits au Darfour mobilisent peu l’opinion publique française. Ils ne demeurent pas moins parmi les conflits de haute intensité ayant fait dans le monde le plus de victimes et ayant causé le plus de drames humanitaires.

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