ANALYSES

Trump reprend la main

Correspondances new-yorkaises
7 juillet 2020


Vendredi 3 juillet. Les États-Unis, de loin le pays le plus endeuillé de la planète depuis le début de la pandémie de Covid-19, viennent d’enregistrer 43 742 nouvelles contaminations et 252 nouveaux décès. Les trois jours précédents ont été marqués par des records de nouveaux cas, dont plus de 57 000 mercredi 1er juillet. Depuis mars, plus de 2,8 millions d’Américains ont été infectés par le coronavirus, qui a provoqué 129 657 décès. Les autorités sanitaires américaines viennent de reconnaître avoir perdu le contrôle de l’épidémie.

L’État de Floride a annoncé un nouveau record de cas de Covid-19, 11 458 pour les dernières vingt-quatre heures. Devant l’ampleur de la crise sanitaire, le maire du comté de Miami-Wade, le plus peuplé de l’État avec près de 2,7 millions d’habitants, a décrété un couvre-feu à partir de 22 heures. « Il est destiné à empêcher les gens de s’aventurer et de traîner avec des amis dans des groupes, ce qui s’est révélé être un facteur de propagation rapide du virus », a-t-il ajouté.

À Atlanta et Nashville, les concerts ou feux d’artifice ont été annulés. Dans la ville texane de Houston, foyer de l’épidémie dans le grand État du Sud, le 4 juillet a été fêté en ligne. Idem à New York.

Couvre-feu en Floride, appel à rester chez soi dans plus de trente États, les États-Unis s’apprêtaient en cette veille de weekend à célébrer leur fête nationale dans un climat tendu et une atmosphère surréaliste.

Traditionnellement, le 4 juillet, jour anniversaire de la déclaration d’indépendance américaine, se déroule dans une ambiance bon enfant, avec parades, fanfares, barbecues et grands feux d’artifice. Mais, en pleine pandémie de Covid-19, qui progresse de façon galopante dans le pays, l’humeur n’est pas à la fête.

Sauf pour le président américain qui toujours en plein déni, a vécu vendredi soir dernier une sorte de petite apothéose personnelle.

Un feu d’artifice de transgression. Volontairement sans masques ni distanciation physique ! Donald Trump a tenu un rassemblement le 3 juillet au soir aux pieds du mont Rushmore, dans le Dakota du Sud. Les États-Unis sont « le pays le plus grand et le plus juste qui ait jamais existé sur cette Terre », a-t-il proclamé en préambule.

Le podium avait été disposé de sorte que sa silhouette s’inscrive dans le cadre iconique où sont gravés à même la roche les visages de George Washington, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln et Theodore Roosevelt. Lisant son téléprompteur, Trump a mis en garde contre le « danger grandissant » posé par les jeunes Américains qui contestent l’héritage des fondateurs de la République. « Le but de la révolution culturelle de la gauche est de renverser la révolution américaine », a-t-il lancé. George Washington ne sera « jamais oublié », a-t-il promis, Jefferson « jamais abandonné ».

Quelque 7 000 spectateurs ont assisté au discours et au spectacle, serrés sur des chaises pliantes disposées sur la terrasse qui conclut la monumentale Avenue des drapeaux, aux pieds de ce National Memorial, commencé en 1927 et achevé en 1941.

Samedi 4 juillet, Donald Trump a continué sur sa lancée en présidant en plein centre de Washington des festivités dignes d’un empereur romain et cela une fois de plus contre l’avis des experts, mais aussi du maire de la capitale américaine qui s’est battu jusqu’au bout pour annuler les manifestations.

Après avoir une nouvelle fois minimisé l’épidémie, « nous avons fait beaucoup de progrès. Notre stratégie fonctionne bien », Trump s’en est pris avec virulence à la Chine, d’où est partie la pandémie, réaffirmant qu’elle devrait « rendre des comptes » avant de reprendre en partie son discours de la veille au mont Rushmore.

« Nous sommes en train de vaincre la gauche radicale, les marxistes, les anarchistes, les agitateurs et les pilleurs », a-t-il déclaré avec la fougue d’une jeunesse comme subitement retrouvée avant de dénoncer « le désordre violent » dans les rues et des « années d’endoctrinement extrême dans l’éducation, le journalisme et d’autres institutions culturelles ». En plein débat sur les statues mises à terre par des manifestants antiracistes, il a appelé à la lutte contre « une campagne visant à effacer notre histoire, diffamer nos héros, supprimer nos valeurs et endoctriner nos enfants ».

Il est plus que troublant de voir, alors que l’ensemble des autorités sanitaires américaines, ainsi que la plupart des gouverneurs ont appelé à fêter l’Independance Day chez soi, le président des États-Unis s’opposer en personne à ses propres conseillers – et donc en quelque sorte à sa propre administration -, en organisant de gigantesques événements publics. Mais au-delà de ce fait inquiétant pour le futur même de l’Union et du fonctionnement de la démocratie en Amérique, force est de constater que le Donald semble depuis quelques semaines, et surtout depuis ce weekend, reprendre la main.

En dénonçant parfois avec raison, à travers les deux meilleurs discours qu’il ait prononcés depuis longtemps, les destructeurs de statues et autres extrémistes bien souvent incultes qui ne vivent que dans un présent permanent, le président américain commence à séduire bien au-delà de son électorat de base.

En se pressentant aujourd’hui comme l’unique rempart face à un politiquement correct devenu excessif et tyrannique, le Donald n’est plus uniquement le héros de la droite radicale et religieuse, mais bien le chevalier blanc en devenir d’une Amérique middle class inquiète de ce qui peut ressembler à un racisme anti-blanc grandissant et qui croit voir ses valeurs traditionnelles foulées au pied.

Trump, pire président de l’histoire des États-Unis, mais animal politique sans pareil, a bien compris l’avantage qu’il pouvait tirer de la crise qui s’est ouverte avec le meurtre de George Floyd. Idem avec la nouvelle grande récession qui s’amorce. N’est-il pas celui qui, en plein milieu d’une pandémie sans précédent, vient de créer des millions d’emplois ? N’est-il pas pour de très nombreux électeurs peu au fait des réalités politiques, l’architecte de « cet incroyable rebond », une fois encore le sauveur de l’économie américaine ?

Il n’est pourtant pas difficile de comprendre que ces « créations d’emplois » n’en sont pas. Qu’il s’agit ici de personnes retrouvant tout simplement leur travail après des mois de confinement.

Mais nous sommes en Amérique…

Non, ainsi que je l’exprimais dans ma chronique du 2 juin dernier, je reste malheureusement convaincu que le milliardaire new-yorkais a encore de nombreuses cartes en main.

Ses meilleurs atouts se trouvant peut-être dans les faiblesses de son adversaire, Joe Biden, pire candidat au poste suprême que le Parti démocrate ait présenté depuis Michael Dukakis en 1988.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider »  vient de paraître en Ebook chez Max Milo.
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