28.11.2024
Trump, président du chaos
Tribune
22 juin 2020
Il l’attendait depuis des mois. Ce premier meeting post-confinement devait signifier le retour grandiose du président candidat Trump auprès de ses fidèles. L’événement avait donné lieu à un immense teasing de la part de son équipe : on allait voir ce qu’on allait voir, « près d’un million de billets » avaient été vendus, la « majorité silencieuse » allait reprendre l’avantage politique et médiatique après les immenses manifestations contre le racisme, dans tout le pays.
À Tulsa, en Oklahoma, le 20 juin 2020, la salle omnisport du Box Center était néanmoins loin d’être pleine. La faute aux soutiens de Black Lives Matter qui, sur place, auraient empêché les supporters trumpistes d’accéder aux lieux, et aux fake news medias, comme l’a suggéré Trump ? Ou bien au mini-hold-up de jeunes militants de gauche qui, en amont, auraient réservé des milliers de places pour les laisser vides ? Mais peut-être aussi que le Covid-19 a découragé les fans du président, surtout en l’absence de masques et de consignes de distanciation physique de la part des organisateurs qui ont aussi fait signer une décharge sanitaire aux personnes présentes. Ces fans ont tout de même été 500 000 à regarder le meeting sur YouTube, selon le New York Times. Toujours est-il que l’image n’est pas bonne pour le candidat républicain. « C’est triste lorsqu’une tournée d’adieu ne fait pas salle comble », notait, ironique, l’un de ses anciens directeurs de la communication à la Maison-Blanche, Anthony Scaramucci, sur Twitter.
Cette séquence prolonge une récente mauvaise passe pour Trump : la Cour suprême vient de rendre deux décisions qui l’ont rendu furieux, l’une confortant les droits des 800 000 « dreamers » (immigrés sans papiers arrivés mineurs aux États-Unis) et l’autre, ceux des LGBTI face aux discriminations. « Avez-vous l’impression la Cour suprême ne m’aime pas ? », a tweeté le président le 18 juin dernier, en en faisant une affaire personnelle, alors qu’il a, depuis son arrivée, nommé deux juges très conservateurs au sein de cette haute juridiction. S’y ajoute la sortie de deux livres peu flatteurs pour lui (deux livres de plus), celui de sa nièce et surtout celui de son ancien conseiller à la sécurité nationale, le « faucon » John Bolton, qui décrivent le président comme incompétent et dangereux. Et puis Trump est en baisse dans les sondages au niveau national face à Joe Biden, sa gestion du Covid-19 étant vue comme désastreuse par une grande partie des Américains, y compris dans son propre camp, chez les plus de 65 ans notamment.
Il faut, cependant, se garder d’enterrer trop vite Donald Trump. En 2016 aussi, à quatre mois de l’élection, il était en mauvaise posture dans les enquêtes d’opinion nationales. On connaît la suite même si, certes, à l’époque, personne (pas même lui) ne croyait en sa victoire, excepté Steve Bannon. Comme il y a quatre ans, l’élection du 3 novembre devrait se jouer localement, dans quelques États-clés ; c’est la logique du collège électoral. Et même si l’avertissement des midterms de 2018, qui a vu en particulier la Chambre des représentants basculer en faveur des démocrates, est pris très au sérieux par l’équipe de campagne de Trump, il est impossible de savoir comment se comportera l’électorat en novembre prochain. Les jeunes progressistes, réticents à donner leur voix à Biden, se déplaceront-ils dans les bureaux de vote pour faire battre le président en exercice ? La base trumpiste se mobilisera-t-elle en masse ? Trump confortera-t-il sa progression chez les Blancs non diplômés ? Va-t-il regagner les précieux points perdus il y a deux ans auprès des électrices blanches ? Les minorités ethniques et « raciales » seront-elles, plus encore qu’en 2016, empêchées de voter ? À qui l’électorat indépendant, surtout senior, accordera-t-il son suffrage ? Beaucoup d’inconnues persistent à ce stade.
Le pari identitaire de Trump
Pour séduire ses partisans, et en l’absence de bons résultats économiques, Trump parie sur la recette conservatrice éculée de la guerre culturelle, de l’obsession identitaire (qui, décidément, est bien de ce côté-ci de l’échiquier politique) et sécuritaire. Le creusement des clivages sociaux, « raciaux », genrés est, une nouvelle fois, mobilisé pour qualifier les démocrates, les manifestants antiracistes, les défenseurs du climat ou encore les féministes d’ennemi.e.s de l’Amérique. Biden est décrit comme la « marionnette » d’une gauche radicale et violente, menée par des femmes au « poor leadership » comme les représentantes Alexandria Occasio-Cortez ou Ilhan Omar, que Trump a, une nouvelle fois, fustigées à Tulsa. Biden, surnommé depuis des mois « Sleepy Joe » (« Joe l’endormi »), serait par ailleurs manipulé par la Chine et l’Iran. Il est présenté comme un « faible », exactement comme les ultras du parti républicain décrivaient Obama lorsqu’il était au pouvoir. Trump, lui, se donne à voir comme le président viriliste, qui ne craint pas l’adversité, ne cède pas à la rue, vante « la loi et l’ordre », comme Nixon après mai 1968, et continue de minimiser l’épidémie de Covid-19 : « Quand vous faites plus de tests, vous allez trouver plus de gens, plus de cas ! Je leur ai dit : ralentissez le nombre de tests, s’il vous plaît ! », a-t-il affirmé lors de son meeting du 20 juin, ajoutant que ses supporters présents ce soir-là dans la salle étaient des « guerriers » face au « Kung flu » (autre petit nom donné au coronavirus).
Conserver le pouvoir à tout prix, pour le président candidat, c’est exacerber les divisions de la société américaine, refuser toute forme de contradiction, entretenir la désinformation. Au-delà des punchlines, le trumpisme se caractérise aussi par le fait que, pendant la campagne, les affaires continuent : avec le limogeage d’un procureur fédéral de New York, Geoffrey S. Berman, qui enquête sur des soupçons de conflits d’intérêts visant le président et son entourage, Trump poursuit son travail de sape des institutions. La purge entamée il y a des mois et intensifiée depuis la fin la procédure d’impeachment vise aussi celles et ceux – directeur du renseignement, responsables au ministère de la Défense, conseillers, diplomates, etc. – qui mettent en garde contre l’ingérence russe dans la campagne de 2020. La stratégie du chaos lui a assuré la victoire en 2016, pourquoi Trump y renoncerait-il aujourd’hui ? Il y fera d’autant plus appel s’il demeure en difficulté dans les sondages, si l’opposition à sa politique se renforce et si la reprise économique tarde à venir. À ce jeu, Trump peut imploser. Il peut aussi réitérer son exploit d’il y a quatre ans.