ANALYSES

Entre unilatéralisme et dénégation, la gestion de la crise du Covid-19 selon Donald Trump

Interview
17 avril 2020
Le point de vue de Marie-Cécile Naves


La pandémie de Covid-19 continue de sévir à travers le monde et particulièrement aux États-Unis qui constituent le premier foyer mondial de la pandémie de Covid-19 avec plus de 30 000 victimes (au 17 avril 2020). C’est dans ce contexte que Donald Trump a annoncé, le 14 avril dernier, la suspension des crédits américains à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les prochains mois. Pour répondre à la crise économique latente, le président américain envisage par ailleurs un déconfinement en mai, alors que plus de 600 000 cas sont actuellement confirmés dans le pays. Retour sur la gestion de la crise par Donald Trump avec Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS.

Que révèle l’annonce de la suspension des subventions américaines à l’OMS de la politique de Donald Trump ? Pourquoi une telle annonce en pleine crise pandémique de Covid-19 ? Quelles seront les conséquences pour l’OMS ?

Pour les États-Unis, la suspension de la participation financière à l’OMS a avant tout une visée symbolique, car ce n’est pas ce demi-milliard de dollars qui grève le budget fédéral du pays. Avant la pandémie, Donald Trump avait prévu de baisser significativement la contribution américaine et il avait déjà formulé la menace de l’arrêter complètement ; le contexte actuel lui en fournit le prétexte.

Il critiquait, depuis quelques semaines, la gestion de la crise du Covid-19 par l’OMS, l’accusant d’avoir fait le jeu de la Chine et de ne pas avoir su empêcher la propagation du coronavirus. C’est une manière de dire que l’OMS et la Chine sont responsables de la crise. Donald Trump cherche des boucs émissaires, ce qui, pense-t-il, permet d’écarter, pour un temps, les critiques sur sa mauvaise gestion de la pandémie. Il cherche à fragiliser la Chine à l’international, mais sa décision pourrait bien au contraire la renforcer.

Cette décision s’inscrit par ailleurs dans la droite ligne du rejet des organisations internationales et du multilatéralisme sous toutes ses formes, que Donald Trump suit scrupuleusement depuis le début de son mandat. Il s’agit là d’un message politique adressé à son électorat, consistant à réaffirmer que la priorité du président est bien le peuple américain, et non la population mondiale. Après l’« America First », on a l’impression d’être passé à l’« America Only ». Or, qu’a-t-il fait pour protéger ses compatriotes sur le plan sanitaire ? Rien, ce sont les États fédérés qui ont pris les mesures de confinement, de fermeture des commerces et des établissements scolaires et universitaires, d’obligation de distanciation physique.

Les conséquences du retrait de la contribution financière des États-Unis à l’OMS (les rentrées de l’Organisation se voient amputées de plus de 20 %) sont une diminution significative des moyens en termes de recherche, de prévention mondiale et de coordination des pays sur le plan de la pandémie, mais aussi d’autres maladies et épidémies, actuelles ou à venir.

Alors que près de 30 000 personnes sont décédées, que plus de 600 000 cas sont confirmés aux États-Unis, et que le président semble envisager un déconfinement en mai, comment peut-on analyser la gestion de la crise par Donald Trump ?

La gestion de la crise par Donald Trump, sur le plan sanitaire, est catastrophique. Après le déni et la minimisation (« canular des démocrates ») est venu le temps de la dénégation, et maintenant de l’autosatisfaction permanente et la mise en scène perpétuelle de son pouvoir. Il tente de reprendre les rênes d’une situation qu’il ne contrôle pas sur le plan sanitaire et social.

Dès lors, tout est dans la forme : interminables briefings quotidiens devant la presse, dénigrement de l’action de certains gouverneurs des États fédérés dont il attend qu’ils le félicitent (le plébiscitent, même), teasing et feuilletonage de ses mesures et de la mise au point d’un vaccin et de la délivrance de tests, critiques de la science, etc. Il ne peut plus faire de meeting pour sa campagne pour cause de Covid-19, dès lors ces conférences de presse tiennent lieu de meetings.

Sa « task force » est essentiellement composée de proches et de fidèles, comme sa fille aînée et son gendre, incompétents en matière d’affaires publiques et, plus encore, de santé.

Sa gestion économique est plus calculée avec, notamment, le déblocage par le Congrès – avec son accord – d’un plan de 2 000 milliards de dollars pour relancer l’économie et envoyer un chèque à une partie des ménages américains (sur lesquels il a exigé que son nom soit inscrit). Mais le Washington Post a révélé qu’une partie de cet argent (170 milliards) était un cadeau fiscal spécifiquement destiné aux promoteurs immobiliers ; il devrait donc lui-même en profiter, ainsi que Jared Kushner, son gendre. La marque Trump et le business, toujours.

Depuis le mois de mars, plus de 20 millions de personnes se sont inscrites au chômage aux États-Unis, la bourse de Wall Street chute à nouveau. Qu’en est-il de la santé économique du pays ? Quel pourrait être l’impact d’une telle crise sur l’élection présidentielle de l’automne prochain ?

La population est inquiète, d’autant que les États-Unis sont le pays qui compte le plus de cas de malades (plus de 600 000 à ce jour). Le système de santé américain semble peu adapté à la gestion de la pandémie : essentiellement privé, il doit faire face à une saturation des hôpitaux difficile à pallier (moins de trois lits pour 1 000 habitants contre six en France), et le nombre de morts explose, du fait aussi d’un taux important de comorbidités liées au Covid-19 (obésité et maladies métaboliques souvent associées). De plus, 30 millions d’Américains n’ont pas d’assurance santé et beaucoup vont la perdre automatiquement en étant licenciés (le pays compte plus de 20 millions de nouveaux chômeurs en un mois), les inégalités sont donc fortes.

La mauvaise santé économique – et boursière – préoccupe elle aussi les Américains. Avec l’explosion du chômage, les défauts sur les crédits à la consommation sont un risque majeur, et avec lui, la possibilité d’une crise bancaire, dans un pays où la croissance a été entretenue artificiellement par le déficit et la consommation depuis trois ans.

En occupant le terrain médiatique chaque jour, Donald Trump joue sur son omniprésence pour se donner à voir comme combatif et incontournable. Si son électorat le plus fervent lui fait entièrement confiance, une partie de l’opinion est plus sceptique, malgré des scores à ce jour très honorables sur la perception de sa gestion de la crise. Qu’en sera-t-il à l’automne ? La façon dont le président aura combattu la pandémie va sans doute peser lourd dans l’élection. Et ce, d’autant qu’avec l’abandon de Bernie Sanders dans la course à l’investiture démocrate, l’actuel occupant de la Maison-Blanche est certain de se retrouver face à Joe Biden, qui, en tant qu’ancien vice-président, a l’expérience des crises (financière, Ebola, etc.) et à qui Barack Obama vient d’apporter son soutien dans une vidéo très offensive. C’est donc aussi sur le terrain du leadership que les électeurs jugeront les deux candidats.
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