ANALYSES

La dangereuse banalisation de Trump

Correspondances new-yorkaises
4 février 2020


La première semaine de février aura vu se dérouler aux États-Unis les caucus de l’Iowa, et donc le début officiel de sélection des candidats pour l’élection présidentielle de novembre, le State of the Union Address et l’acquittement de Donald Trump par le Sénat dans le cadre de la procédure d’impeachment initiée à la Chambre des représentants par les démocrates.

C’est sans aucun doute ce dernier événement que les historiens retiendront et marqueront d’une pierre noire puisqu’il aura été une étape majeure du déclin de la démocratie en Amérique.

J’ai écrit à plusieurs occasions dans ces colonnes ce que je pensais de cette tentative de destitution, maladroite, reposant sur un dossier fragile et surtout arrivant au mauvais moment alors qu’il y a eu tant d’autres opportunités au cours des trois dernières années.

J’espérais néanmoins que le témoignage de certaines personnalités telles que John Bolton — l’ex-conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche qui dans un livre à paraître prochainement, affirmerait que son ancien patron a bien instrumentalisé l’aide militaire à l’Ukraine dans le but d’obtenir une enquête sur Joe Biden — permettrait d’éclairer le grand public sur les pratiques de gangster du président américain.

Malheureusement, l’accusation n’a pas pu trouver les quatre voix républicaines dont elle avait besoin pour obtenir la convocation de ces témoins clés devant le Sénat. Les procureurs démocrates, menés par Adam Schiff, ont dû se contenter de l’appui des sénateurs républicains Mitt Romney de l’Utah, et Susan Collins du Maine. Il a donc manqué deux votes aux démocrates pour faire adopter la résolution, qui devait se décider à la majorité simple, avec l’aval de 51 des 100 sénateurs – dont 53 sont républicains.

« Il n’est pas nécessaire que le Sénat rouvre l’enquête et face appel à de nouveaux témoins », a tranché dans un communiqué le leader de la majorité républicaine à la chambre haute du Congrès, Mitch McConnell, jugeant les éléments de preuve présentés suffisants pour prendre une décision. Mitch McConnell qui, avant le procès, avait indiqué qu’il y aurait une coordination” totale avec les avocats de la Maison-Blanche.

Son vis-à-vis de la minorité démocrate, Chuck Schumer, a certes déploré un « simulacre de procès », accusant le Sénat de « se détourner de la vérité », mais bon… Le désintérêt de la population états-unienne pour cette affaire n’en aura pas moins été presque total du début à la fin.

L’une des raisons en est bien évidemment que l’issue était courue d’avance, mais c’est surtout que les frasques de Trump sont devenues si régulières que les Américains s’y sont habitués.

En effet, il n’y a pas que pour les membres républicains du Congrès qu’il est devenu banal d’avaler les couleuvres trumpiennes — voir, en ce qui concerne ces derniers, d’approuver quand ce n’est pas lâchement couvrir les décisions et les actions du Donald. N’oublions pas que l’ensemble de ces mêmes membres républicains du Congrès, il y a encore moins de quatre ans, criaient haut et fort que le candidat Trump était inepte à exercer la fonction présidentielle et un danger pour la démocratie.

Les citoyens américains se sont donc habitués à Trump, ce qui explique en partie le désintérêt rencontré pour l’impeachment. Des agissements absurdes ou illégaux, des propos déplacés, xénophobes ou tout simplement grossièrement mensongers ou stupides qui, hier encore, eussent provoqués un scandale, passent tout simplement aujourd’hui presque inaperçus et sont relégués dans les pages intérieures des journaux, n’étant plus que rarement mentionnés en Une, ou alors avec très peu de visibilité. Un peu comme les tueries de masse…

Plus inquiétant encore, le citoyen lambda, sans spécialement partager les positions du locataire de la Maison-Blanche, voir en les désapprouvant, et bien souvent inconsciemment, commence à calquer son comportement dans la vie de tous les jours sur celui du chef de l’État. Chef de l’État omniprésent dans les médias et sur la toile.

Dans un pays où le capitalisme le plus sauvage était déjà the main rule, où les violences psychologiques, verbales et bien trop souvent physiques une réalité quotidienne dans les rapports sociaux, comment pourrait-il en être autrement ?

Mépris envers les plus faibles et les plus fragiles, pressions, chantages, insultes, actes racistes, etc., sont donc de plus en souvent fréquents entre voisins, au bureau, ou tout simplement dans la rue. Quand l’exemple vient d’en haut…

Mais la banalisation de Trump s’exporte également très bien.

À voir il y a juste quelques jours, la très faible réaction de la part des pays européens, France en tête, à l’annonce du plan de paix pour le conflit israélo-palestinien concocté par le promoteur immobilier Jared Kushner, gendre du nouvel empereur d’Occident.

Sans parler de l’absence de véritable protestation du secrétaire général de l’ONU — nous avons seulement eu droit à un communiqué laconique de son porte-parole —, alors que des décennies d’efforts étaient balayées avec désinvolture et le droit international enterré en deux phrases dans le document présenté par la Maison-Blanche.

Car de quel droit Washington peut-il se prévaloir, après les précédents de Jérusalem et du Golan syrien, pour attribuer à un obligé une souveraineté sur un territoire qui n’est pas le sien ? D’aucuns, sinon celui qu’autorisent la puissance et un comportement digne d’un État voyou.

Alors que Donald Trump poursuit le dynamitage de l’ordre international né après 1945, l’Union européenne et ses États membres, tiraillés entre leurs convictions et la hantise manifeste des réactions d’un président qui ne recule devant aucune outrance, préfèrent donc laisser faire. « On en a déjà tellement vu avec Trump ! Ça passera », me confiait un diplomate européen après l’une des innombrables crises provoquées par le président états-unien — une fois encore, banalisation.

Non, cela ne passera pas. Et outre que le silence des démocraties occidentales face à la tentative de « dictature mondiale » de Donald Trump n’aide pas le peuple américain à prendre conscience de l’incompétence de son chef et du danger que celle-ci représente pour l’avenir même des États-Unis, cette absence de réaction forte contribue à maintenant BANALISER au sein des relations internationales un comportement de gangster et de racketteur.

L’Amérique, comme le monde, ne seront plus jamais tout à fait les mêmes après Trump.  Et comme je l’ai déjà exprimé ici, de par leur silence et complaisance aux relents munichois, certains des dirigeants des grandes démocraties alliées des États-Unis y auront largement contribué.

Il est à la mode aujourd’hui de juger le passé et d’en condamner ses acteurs au regard de nos valeurs contemporaines. Il serait sans doute plus intelligent de faire un travail de prospective et de se demander par exemple ici ce que les générations futures penseront de ceux qui par laxisme ou intérêt et malgré leurs convictions ont contribué sur le plan intérieur américain —  je songe à Marco Rubio et autres Ted Cruz —  à la banalisation de Trump. Même chose pour leurs comparses sur la scène internationale.

Peut-être existera-t-il alors une incrimination pour complicité de crime contre la démocratie et le multilatéralisme. En attendant, il est encore temps d’essayer de tout faire pour que Trump ne soit pas réélu.

Mais attention, il est maintenant 23 h 58 et 20 secondes à l’horloge de l’Apocalypse.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son prochain ouvrage, « Pauvre John ! Le cauchemar américain », sortira courant 2020 chez Max Milo.
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