ANALYSES

L’Europe encore indécise face à la question migratoire

Tribune
22 novembre 2018


La question migratoire reste, trois ans et demi après la crise de 2015, au cœur de l’agenda européen et constituera l’un des points majeurs du Conseil des 13 et 14 décembre prochains.

Au-delà, et sans doute à cause de son importance politique, ce qui est frappant, c’est le tour de plus en plus curieux que prend ce débat. Curieux tout d’abord parce que les tensions à l’origine de la crise se sont beaucoup atténuées. Or, malgré cela, elles constituent toujours un sujet de friction majeur entre États membres.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : si les entrées irrégulières ont concerné 1,8 millions de personnes en 2015, elles n’étaient plus que 170.000 en 2017 et l’on ne dépassera qu’à peine les 110.000 en 2018, soit moins qu’avant le déclenchement de la crise migratoire. Si l’on regarde du côté des pays d’accueil, le nombre d’arrivées est descendu sur les neuf premiers mois de cette année à 13.000 pour l’Italie (soit -80%) et à 11.000 pour la Grèce, avec cependant l’exception notable de l’Espagne (54.000). Mais le sujet nourrit toujours un désaccord majeur entre les pays membres paralysant ou retardant les réformes annoncées en 2016 par la Commission européenne, en particulier celles raisonnables et nécessaires de l’asile, ou celle portant sur la mise en place d’un schéma de réinstallation et de répartition des demandeurs d’asile transférés des zones sensibles, dont 55 000 sont attendus d’ici fin octobre 2019.

Curieux parce que chacun, à Bruxelles, fait mine d’ignorer les problèmes à venir quand d’autres, devant l’opinion, cherchent au contraire à les exagérer : ainsi de la « grande peur » liée à une explosion annoncée de l’immigration africaine. Si celle-ci devrait effectivement augmenter du fait du doublement attendu de la population africaine d’ici 2050, elle ne devrait en aucun cas atteindre les niveaux apocalyptiques promis par certains « spécialistes ». Elle soulève néanmoins suffisamment de problèmes avérés pour que l’Union puisse avoir tout à gagner à les anticiper.

Force est pourtant de constater que ces perspectives ne suscitent que peu de réactions de la Commission qui continue de s’appuyer pour les réguler sur « l’approche globale » lancée en 2005, certes rénovée en 2012, mais qui aurait bien besoin d’être réévaluée. Celle-ci vise sans doute à faciliter l’immigration légale, lutter contre l’immigration irrégulière et valoriser l’impact des migrations sur le développement. Et elle s’inscrit dans des partenariats pour la mobilité (PPM) dont près d’une dizaine ont été signés. Mais ces dispositifs, pourtant consolidés par la création d’un Fonds fiduciaire doté initialement de 1,8 milliards €, servent surtout à répondre à l’urgence plutôt qu’à construire un avenir commun.

Curieux peut-être plus encore par le fait que les mesures qui marchent et sur lesquelles les gouvernements cette fois s’entendent, sont rejetées par une partie de l’opinion publique qui y voit une sous-traitance choquante aux pays d’origine et de transit de la lutte contre l’immigration clandestine. Ainsi, l’accord avec la Turquie en mars 2016 a pourtant permis de réduire les arrivées de 10 000 en 1 seule journée au pic d’octobre 2015 à … moins d’une centaine en moyenne quotidienne dès après sa signature. On pourra cependant s’interroger sur l’orientation des crédits du fonds fiduciaire effectuée de préférence vers le Niger, le Mali, le Sénégal et la Libye plutôt que vers les pays d’origine comme l’Érythrée, le Nigeria, la Somalie ou le Soudan…

Curieux enfin, parce que les positions nouvelles arrêtées le 28 juin par le Conseil européen, et présentées comme le moyen d’apaiser les tensions entre États membres, ne font, au-delà de l’accord affiché, pas vraiment consensus ni recette. Personne ne veut en effet en Europe des nouveaux « centres contrôlés », ni sur les côtes de la Méditerranée, des plateformes régionales de débarquement imaginées pour distinguer, en amont des frontières de l’Union, les demandeurs d’asile des réfugiés économiques. Et ceci, malgré les efforts de la Commission et pour en préciser les contours (notamment en termes d’aides financières), et pour « convaincre » certains pays réticents d’y participer.

Au total, l’Union semble être aujourd’hui dans une espèce d’entre-deux, indécise quant au sens à donner à une vraie stratégie migratoire dont seuls les aspects les plus policiers ont réussi à prendre partiellement forme (renforcement de Frontex et avancées à venir sur Eurodac et le contrôle des voyageurs dans les aéroports). Il est peu probable que les prochaines échéances électorales aident à lever ces ambiguïtés d’autant que la plupart des protagonistes ont choisi de faire des migrations l’axe d’une campagne durant laquelle il y a fort à craindre que les fantasmes l’emportent sur les réalités.
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