ANALYSES

« Midterms 2018 » : ce qu’il faut retenir des élections américaines

Interview
7 novembre 2018
Le point de vue de Marie-Cécile Naves


Les Américains ont voté mardi pour renouveler l’ensemble de la Chambre des représentants – soit 435 sièges – et 35 sièges du Sénat (sur 100 sièges). Les résultats des élections de mi-mandat rebattent les cartes de la politique étatsunienne pour les deux prochaines années du mandat présidentiel. Le point de vue de Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS, sur les leçons de cette élection.

Quelle lecture faites-vous des résultats de ces midterms ? Quel équilibre des pouvoirs et des rapports de force cette nouvelle configuration politique va-t-elle engendrer ?

C’est d’abord une victoire des démocrates, qui font basculer en leur faveur la Chambre des représentants et qui gagnent plusieurs postes de gouverneurs, malgré un découpage électoral qui leur est très défavorable, parce qu’élaboré par les républicains, au lendemain des Midterms de 2010 qu’ils avaient remportées. Cela signifie vraisemblablement – il faudra voir les chiffres en détail – que l’électorat démocrate s’est fortement mobilisé, sans doute plus qu’en 2016. Néanmoins, il est classique que le président en exercice perde, lors des Midterms, l’une des deux chambres.

Par ailleurs, le parti républicain renforce sa majorité au Sénat, ce qui est indiscutablement une victoire personnelle de Trump : d’une part, parce qu’il s’est beaucoup engagé dans la campagne, en particulier auprès de candidats au Sénat ; de l’autre, parce que le scrutin a été, à juste titre, qualifié de « référendum pour ou anti-Trump », que lui-même a accentué, personnalisant cette élection à un point inédit dans l’histoire récente des États-Unis.

L’équilibre entre le pouvoir législatif au Congrès, et exécutif à la Maison-Blanche, est en partie rétabli. C’est une bonne chose pour le fonctionnement des institutions, selon le mot de Nancy Pelosi, représentante démocrate réélue en Californie et pressentie pour devenir la « speaker » de la Chambre. Néanmoins, le risque de blocage des réformes législatives est fort, car le consensus bipartisan sera très difficile à trouver sur le budget fédéral, le relèvement du plafond de la dette – un risque de « shutdown » (blocage) n’est pas à exclure -, et sur les questions de l’agenda comme l’immigration, la protection sociale ou encore les infrastructures.

Que représentent ces résultats pour le parti républicain et pour Donald Trump en particulier ? Doit-on les considérer comme une défaite ou une victoire ?

Dès les premiers résultats, Trump a parlé d’« énorme victoire », contraignant les observateurs à commenter cette phrase donc à se situer par rapport à elle ! Or la réalité n’est pas celle-ci, car, même s’il n’y a pas eu de vague ou de raz-de-marée démocrate, la Chambre change de majorité et c’est un signe qu’une partie importante des Américains rejette le président et se déplace pour l’exprimer par le vote. Trump a malgré tout installé le trumpisme dans la société puisque nombre de sénateurs et de gouverneurs républicains élus ou réélus se sont réclamés de sa politique et de son style, à l’image du nouveau gouverneur de Floride, Ron DeSantis.

C’est important de poser ce raisonnement pour se projeter en 2020 : bien que certains swing states remportés de justesse, mais de manière décisive, par Trump en 2016, comme la Pennsylvanie, le Wisconsin ou le Michigan, aient élu un gouverneur et un sénateur démocrate, le président a imposé sa ligne et sa base électorale non seulement y adhère, mais se déplace pour aller voter.

Le bémol est qu’il va devoir élargir cette base en 2020, parce que la logique électorale des grands électeurs, État fédéré par État fédéré, risque de ne pas suffire si les sympathisants démocrates se déplacent en masse, contrairement à 2016.

Quelle analyse faites-vous pour le camp des Démocrates ? Alors que le président Obama s’est fortement impliqué dans cette campagne, qu’en est-il des figures montantes de ce parti, notamment des femmes et des minorités ?

Côté démocrate, si la victoire est là, le plus dur commence. D’une part, la bataille pour les primaires de 2020 commence dès aujourd’hui et la palette de leaders potentiels est vaste : aucun et surtout aucune ne se dégage encore. On peut penser que la concurrence sera rude. D’autre part, l’arrivée au Congrès de nombreuses femmes, pour certaines issues des minorités, comme Rashida Tlaib, Ihlan Omar, Lauren Underwood, Alexandria Ocasio-Cortez ou encore Sharice Davids, s’accompagne d’un nouvel agenda, plus à gauche, plus en prise avec les préoccupations des électeurs progressistes, en particulier chez les jeunes (dette étudiante, limitation du port d’armes, instauration d’un salaire minimum, système de santé gratuit, etc.).

Les instances du parti démocrate devront donc proposer une offre électorale nouvelle, rassembleuse pour ses électeurs – ce qui implique une synthèse ou des choix clairs entre un programme centriste ou un programme socialiste –, ainsi qu’un récit émancipateur, un storytelling de l’Amérique de demain. Pour l’instant, le parti en est loin, et donc avantage à Trump. Pour l’instant. Car c’est déjà arrivé en 2006 avec un inconnu, nommé Barack Obama.
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