ANALYSES

Coalition populiste en Italie : vers un fragile statu quo européen

Interview
25 mai 2018
Le point de vue de Rémi Bourgeot


Un nouveau gouvernement vient de se constituer en Italie, issu de la coalition entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles (M5S), arrivés en tête lors des dernières élections. Le programme économique promis par cette nouvelle coalition inquiète l’Union européenne. La stabilité économique de l’Union européenne peut-elle en être menacée ? Dans un contexte où le populisme semble progressivement devenir une alternative au projet européen, l’Europe possède-t-elle les outils institutionnels et politiques nécessaires pour y faire face ? Le point de vue de Rémi Bourgeot, économiste et chercheur associé à l’IRIS.

Troisième économie de la zone euro, mais deuxième pays le plus endetté, les principales mesures prônées par la coalition italienne pourraient coûter 125 milliards d’euros sur quatre ans. La nouvelle coalition à la tête de l’Italie est-elle concrètement en mesure d’appliquer son programme ?

Le programme présenté par la coalition populiste italienne résulte à la fois de l’objectif de la Ligue et du M5S de trouver un terrain d’entente idéologique et de passer le cap de la confirmation par le président de la République Sergio Mattarella. Après avoir atteint ces objectifs de court terme, la coalition n’est pas véritablement tenue par ces propositions qui relèvent plutôt d’orientations générales. Il en ressort plus généralement la volonté d’envoyer aux électeurs populaires le signal d’une inversion de la logique budgétaire européenne. Sur la question de la sortie de l’euro qui avait été évoquée, la coalition populiste s’est faite extrêmement discrète, à la fois pour ne pas effrayer une partie de son électorat, pour passer l’étape de l’accord présidentiel, et pouvoir prendre le pouvoir sans avoir à faire face à une crise financière. Les taux d’intérêt sur la dette italienne ont crû de façon significative ces derniers temps, mais restent très en-deçà des niveaux typiquement liés à une quelconque panique et sont vus, par certains, comme une opportunité d’investissement dans le contexte des taux très bas en Europe.

La situation de l’économie italienne reste mauvaise. Le PIB par habitant du pays n’est pas plus élevé qu’à la création de l’euro en 1999, et la reprise européenne des dernières années montre déjà des signes d’essoufflement importants. L’économie italienne a, de plus, été très fragilisée par la crise de l’euro, notamment en ce qui concerne la santé du secteur bancaire. La coalition populiste ne rebat pas véritablement les cartes économiques, mais évoque plutôt une forme de relance par la dépense publique et des baisses d’impôts qui restent plutôt conventionnelles. Ce programme entre en conflit avec les règles budgétaires européennes, mais on est loin d’une remise en cause fondamentale du statu quo. De nombreux commentateurs de marché ont même accueilli l’idée d’une relance de ce type avec un relatif enthousiasme, au moment où la reprise économique faiblit et où le support de la Banque centrale européenne sous la forme d’achat de titres de dette est en voie de suppression progressive. La dette italienne est très élevée, à environ 130% du PIB. Cette dette reste cependant à ce jour très liquide et bien notée par les agences, et n’est en rien comparable à la dette grecque et aux différentes étapes de la crise multiple qu’a connue le pays. Surtout, le poids politique de l’Italie en Europe, quelle que soit la crédibilité du gouvernement en place, est bien plus important.

La principale menace sur la stabilité financière italienne proviendrait aujourd’hui d’une récession qui accroîtrait bien plus le poids de la dette qu’un plan de relance même mal conçu. La coalition populiste est loin de proposer quoi que ce soit à même de relancer l’économie italienne sur le long terme, mais les indications préliminaires quant à la politique qu’elle va mener ne sont pas, pour l’heure, de nature à entraîner une déflagration en tant que telle. Reste à voir ce qui va véritablement être fait et la réaction aussi bien des marchés sur le plus long terme que des partenaires européens.

Le programme promis par la nouvelle coalition en Italie semble incompatible avec les règles du pacte européen de stabilité et de croissance, Pierre Moscovici ayant appelé à une “réponse crédible” sur la dette publique. La stabilité économique de l’Union européenne peut-elle être menacée ? Faut-il redouter des conséquences sur la zone euro ?

Les mises en garde vont de soi. Il convient cependant de noter l’évolution du climat intellectuel en Europe depuis le point bas de la crise de l’euro, lorsque la focalisation sur des programmes d’austérité procycliques sidérait les observateurs mondiaux. Les réactions en Allemagne en particulier indiquent une prudence dans le traitement des développements politiques italiens. Le gouvernement allemand s’est fait discret sur le sujet, et la plupart des commentateurs précisaient que le cas italien ne pouvait en rien être traité de la même façon que le cas grec, en raison de la taille de l’Italie. Par ailleurs, la crise politique européenne est un phénomène généralisé, qui touche notamment Berlin très directement. Il n’existe pas à ce jour de voix forte en Europe pour défendre un projet européen qui reposerait sur le respect fort des contraintes budgétaires.

Bien que le gouvernement allemand prolonge la doctrine de Wolfgang Schäuble sur les sujets financiers européens, son successeur social-démocrate au ministère des Finances ne dispose pas du même poids politique ni d’une vision personnelle méticuleuse du fonctionnement de l’Europe en termes de suivi budgétaire. Le fond de l’approche allemande, renforcée par l’envolée de l’extrême droite dans le pays, consiste aujourd’hui surtout à refuser tout bond en avant en termes de construction fédérale et de solidarité financière vis-à-vis du sud de la zone euro. En ce sens, l’arrivée au pouvoir de la coalition populiste à Rome offre un prétexte supplémentaire à Angela Merkel pour enterrer l’idée d’une réforme conséquente de la zone euro. Avant même ce développement en Italie, les autorités allemandes précisaient que toute avancée sur le plan de l’union bancaire devrait attendre une lointaine normalisation du secteur bancaire italien, fragilisé par une montagne de dettes douteuses.

Les partenaires européens de l’Italie n’ont pas véritablement d’autre choix que d’accepter une forme de statu quo avec la coalition romaine. Le déclenchement d’une panique de marché serait dévastateur et remettrait en cause l’existence de la zone euro. On devrait a priori rester loin du jeu qui avait eu lieu sur la crise grecque. En 2015, le gouvernement allemand était prêt à expulser la Grèce de la zone euro. Ce à quoi les autorités françaises avaient opposé leur veto informel. L’idée d’une sortie de l’Italie de la zone euro remettrait directement en cause la fragile stabilité financière de toute l’union monétaire. Derrière les mises en garde parfois frontales, l’heure est plutôt à la prudence et à la recherche d’un statu quo pour quelques années. Les choses deviendraient néanmoins bien plus compliquées en cas de nouvelle crise économique et financière. Les tabous sur la solidarité entre pays européens seraient cette fois quasi-indépassables du fait de l’évolution populiste croisée en Italie et en Allemagne.

Avec l’émergence de mouvements eurosceptiques, que ce soit en Hongrie, en Pologne ou en Italie, l’UE est-elle en capacité de faire face au délitement de son projet ? Possède-t-elle les outils institutionnels et politiques nécessaires pour y faire face ?

La montée de l’euroscepticisme est un mouvement généralisé, notamment au cœur du système en Allemagne. Il y a encore quelques mois, l’hypothèse d’un bond en avant en Europe sous l’impulsion du président Macron était privilégiée par de nombreux observateurs. La désillusion est sévère aujourd’hui et il faut certainement un certain temps pour qu’une nouvelle synthèse n’émerge. Emmanuel Macron a, à diverses occasions, donné quelques indications quant à un changement d’approche.

Plus généralement, la prise de conscience de ces développements est encore relativement récente, et l’heure ne semble pas encore être au développement d’un nouveau mode de coopération qui permette une stabilisation européenne. Cette dernière nécessite un travail ambitieux consistant à mettre en avant un nouveau modèle de développement économique et social en Europe. La réponse à la crise, sous la forme d’une compression tous azimuts façon « low cost » a, à la fois, nourri la montée généralisée du populisme et mis en danger la modernisation de l’économie européenne, dans un contexte de révolution industrielle et technologique dans le monde.
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