ANALYSES

Péninsule coréenne : un hiver nucléaire ?

Tribune
6 décembre 2017


Bien sûr, le « Pays du matin calme » et son irascible voisin septentrional ont connu des automnes moins heurtés et des prémices hivernaux plus sereins ; jusqu’à cette heure, le Millésime 2017 se révèle globalement tempétueux, nonobstant deux mois (mi-septembre à fin novembre) de relative « non-crise »’[1] que d’aucuns auront bien hâtivement pris pour un répit décrété par Pyongyang. Le dernier aventurisme balistique nord-coréen – tir réussi d’un missile balistique intercontinental (ICBM) le 29 novembre – a le mérite de dissiper le doute sur le sujet…

Nonobstant une météo résolument hivernale dans la péninsule coréenne, le mercure de la tension régionale pourrait connaître ces prochains jours une brutale orientation à la hausse avec le début lundi 4 décembre de l’exercice Vigilant Air, manœuvres militaires aériennes associant durant cinq jours forces sud-coréennes et américaines, 230 appareils[2] et 12 000 hommes ; ces manœuvres militaires conjointes annuelles, les plus importantes en volume à ce jour, s’emploieront notamment à rôder l’interopérabilité entre l’US Air Force et la Republic of Korea Air Force sur des simulations de frappes contre des objectifs atomiques et balistiques au-delà du 38e parallèle. Ambiance…

À la ferveur populaire du 1er décembre – que l’on devine bien entendu spontanée… – célébrant dans l’austère capitale nord-coréenne et en province les prouesses balistiques du Hwasong-15, succéda deux jours plus tard la colère des autorités, celles-ci considérant que cet exercice américano-sud-coréen poussait la péninsule ‘’au bord de la guerre nucléaire’’, et que Séoul et Washington ‘’paieraient très chèrement pour leurs provocations’’. Certes rien de très nouveau en soi ; ni de très réjouissant ou d’encourageant, à l’heure où un influent Sénateur (Républicain) américain (Lindsey Graham) invite le Pentagone à évacuer de Corée du sud les familles des 28 500 soldats américains stationnés dans ce pays depuis les années cinquante ‘’du fait des provocations de la Corée du nord’’.

À l’heure également où des diplomates français et sud-coréens discuteront ensemble cette semaine, dans la paisible capitale du sud, des perspectives de coopération entre Séoul et Paris vis-à-vis des menaces nucléaire et balistique nord-coréennes.

A l’heure encore où approche à grand pas le sixième anniversaire de l’arrivée au pouvoir de l’énigmatique trentenaire Kim Jong-un[3], enfin, alors que le résilient et défiant régime nord-coréen s’apprête à célébrer (en 2018) – avec le faste et l’engouement populaire allant de soi… – le soixante-dixième anniversaire de la fondation[4] de la RPDC.

D’ici deux mois, le jusqu’alors méconnu comté de Pyeongchang (200 km à l’est de Séoul) et les massifs montagneux de Taebaek accueilleront un événement planétaire à vocation – a priori – plus apolitique qu’atomique, les XXIIIe Olympiades d’hiver (9 au 25 février 2018) et leur cohorte de délégations d’athlètes de toutes nationalités ; un rendez-vous sportif universel auxquels les compétiteurs nord-coréens restent conviés, pour peu que leurs dirigeants daignent approuver leur participation. Pour les autorités sud-coréennes – habituées par la force des choses aux manœuvres en tous genres du régime voisin -, la porte demeurera ouverte à une participation (souhaitée par le chef de l’État sud-coréen Moon Jae-in) jusqu’à la dernière minute ; une précaution utile, quand on connait l’aptitude éprouvée de Pyongyang à jouer à son profit de l’incertitude et du chantage avec ses interlocuteurs quels qu’ils soient. Et ce, jusqu’aux extrêmes… En toute hypothèse, souhaitons par avance à la nation organisatrice de cette grand-messe hivernale olympique tout le succès qu’elle mérite et que les deux semaines d’épreuves sportives soient épargnées par des rapports de force d’un tout autre type… ; ce qu’on ne saurait tout à fait exclure…

Le cadre général dressé sommairement ci-avant invite à court terme peu à l’optimisme ; qui plus est, ces prochains jours, la défiante propagande nord-coréenne pourrait s’en donner à cœur joie et pilonner d’invectives, de critiques et de menaces diverses le voisin méridional et son allié stratégique américain, à mesure que leurs forces aériennes combinées manœuvreront dans un périmètre jugé hautement sensible par Pyongyang.

Aux coutumières provocations verbales du Nord ne répondront pas pareils dérapages grossiers du Sud, dont les ressors diplomatiques et les manières relèvent d’un tout autre ADN ; il pourrait en revanche en aller différemment de Washington. Si l’on peine à imaginer la Maison Bleue et son hôte mesurée (le Président Moon Jae–in) verser dans les propos irresponsables, le scénario paraît plus aisément concevable pour la Maison Blanche et son locataire du moment, dont on ne compte plus les tweets aimables, les avertissements martiaux et autres menaces belliqueuses adressés en direct à son homologue nord-coréen, un individu dont on sait encore fort peu de choses mais dont la patience et le recul ne semblent pas être les points forts…

En cette entame de décembre, les nouvelles en provenance – au compte-gouttes – de Corée du nord (via une presse aux ordres) ne renvoient pas précisément l’image d’un régime sur le pied de guerre, moins encore celle d’un Kim Jong-un tremblant pour son existence personnelle ou la survie de la dynastie ; ‘’l’euphorie’’ née du succès du vol inaugural du Hwasong-15 une semaine plus tôt, la satisfaction (selon un régime prompt à s’approprier réussites techniques et capacités à venir) de disposer désormais d’un système d’arme nucléaire abouti, la confiance associée au statut nouveau d’État nucléaire[5] et le sentiment de relative immunité en découlant (peut-être un brin hardiment…) déposent sur le visage encore juvénile du dirigeant nord-coréen une évidente assurance[6] qui ne manquera pas d’interpeller l’observateur.

Mardi 5 décembre, Pyongyang a accueilli – sans fanfare ni égard particulier – Jeffrey Feltman, sous-secrétaire général aux Affaires politiques de l’ONU, dans ce qui constitue la première visite depuis octobre 2011 d’un dignitaire onusien de ce rang… Le visiteur n’escompte pas ramener par miracle le régime reclus à la raison ni abaisser le niveau de la tension régionale par la seule grâce de ce rare déplacement dans la sévère Pyongyang. Clin d’œil malicieux de l’actualité, dans le même temps, le magazine Time annonce la présence dans sa short-list 2017 des personnalités de l’année, aux côtés notamment du Président chinois Xi Jinping, du prince saoudien Mohammed bin Salman ou encore du PDG d’Amazon Jeff Bezos, …de Donald Trump (lauréat l’an passé…) et de Kim Jong-un. Le prix Nobel de la paix 2017 ayant déjà été attribué[7], le fuligineux dirigeant nord-coréen peut encore être distingué pour l’ensemble de son œuvre de l’année écoulée, qui plus est par un média d’outre-Atlantique … Une consécration en soi ?

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[1] Si l’on considère naturellement que l’imposition de nouvelles sanctions (ONU, Etats-Unis, UE) au régime nord-coréen, le retour de la Corée du nord (RPDC) sur la liste américaine des États sponsors du terrorisme international, les salves de provocations, menaces et autres insultes personnelles échangés à intervalle régulier par Pyongyang et la Maison-Blanche ou encore les manœuvres militaires dans la région (cf. la présence de trois groupes aéronavals américains à proximité de la péninsule courant novembre) constituent des éléments caractéristiques d’un contexte régional normal…

[2] Sur un éventail très composite associant des chasseurs et bombardiers américains et sud-coréens de type F-22 Raptor, B-1B Lancer, F-35 Lightning A et autres F-15, F-16 et F-18.

[3] Dans la foulée de la disparition de son dictateur de père Kim Jong-il le 17 décembre 2011.

[4] Un Republic day – une des dates nationales majeures du calendrier politique de la RPDC – célébré le 9 septembre 2018.

[5]  Peu important le fait que peu de nations reconnaissent à cette heure cette situation de fait à défaut de droit.

[6] À l’instar des divers clichés du 3 décembre pris lors d’une ‘’visite de terrain’’ de Kim Jong-un – tout sourire dehors, comme il se doit – dans l’usine (Amnokgang Tire Factory) en charge de la production des pneus utilisés par le lanceur d’engins employé le 29 novembre.

[7] Le mois dernier à la campagne antinucléaire ICAN.
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