ANALYSES

La nécessaire prise de conscience des Etats européens face aux enjeux sécuritaires dans les Balkans occidentaux

Tribune
2 novembre 2017
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La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, présentée au Président de la République par la ministre des Armées Florence Parly le 13 octobre dernier, consacre seulement quelques lignes à la région des Balkans (dont les Balkans occidentaux). Trop succinctes pour décrire la géopolitique complexe de cet espace, celles-ci soulignent tout de même à minima, l’existence d’un risque de déstabilisation dans cette zone, alimentée aujourd’hui par l’existence de mouvements radicaux, notamment jihadistes. Ce phénomène doit pousser l’Union européenne à élargir sa vision des Balkans occidentaux, en y incluant une vraie prise en compte des enjeux sécuritaires de la région.

L’écho du conflit Syrien résonne dans les Balkans occidentaux

Le premier écho est celui du passage dans cette région de milliers de personnes qui ont quitté l’Irak et la Syrie depuis le début du conflit. Les pays des Balkans occidentaux, en particulier la Serbie et la Macédoine, ont été des pays de transit pour de nombreux réfugiés, en provenance de la Syrie[1], de l’Irak, mais également d’Afghanistan, du Bangladesh, du Nigéria, de Somalie, ou encore d’Erythrée. Mais depuis 2016, la « route des Balkans » est officiellement close, plusieurs pays (Macédoine, Slovénie, Croatie, Serbie) ayant en effet fermé leurs frontières aux migrants sans visa, quelques jours seulement après que l’UE ait refusé de décréter la fermeture officielle de cette « route ».

L’autre conséquence, mais non moins subversive pour les Etats de la région, est la radicalisation de certains individus issus des pays des Balkans occidentaux. Cette réalité est révélatrice des enjeux sécuritaires actuels qui agitent les différents pays de la zone. La guerre en Syrie a été, comme le relèvent dans leurs travaux Jean-Arnaud Derens et Laurent Geslin[2], un « accélérateur des dynamiques en cours dans les Balkans ». Ainsi, le conflit agit comme un catalyseur de mouvements jihadistes sur la zone[3]. Un récent rapport d’Europol[4] estime à plus de 800 le nombre de départs pour la Syrie de personnes en provenance des Balkans occidentaux et partis combattre dans les rangs de l’Etat islamique. L’une de ces figures est Lavdrim Muhaxheri. Aujourd’hui décédé, cet individu d’origine kosovare est devenu une véritable image de propagande de l’Etat islamique dans la région.

Effet sous-jacent à ces départs, celui du retour de ces combattants étrangers dans leur pays d’origine. Cette vague de jihadistes qui, pour certains reviennent dans les Balkans occidentaux inquiète les autorités officielles des différents pays. D’autant plus que l’Etat islamique a, à plusieurs reprises, menacé ouvertement l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, et notamment certaines personnalités du monde musulman dans les Balkans.

Plusieurs facteurs expliquent la capacité de résonnance de l’écho de la guerre en Syrie. Il faut bien entendu se garder du lien déterministe qui consiste à relier la radicalisation de certaines populations d’individus et les difficultés économiques auxquelles elles sont confrontées. Bien sûr, le contexte politique délétère et les difficultés sociales et économiques que traversent les différents pays de la région est de nature à nourrir l’approche radicale sur laquelle s’appuie l’Etat islamique dans la région. Mais celle-ci est également, et notamment, portée par certains prêcheurs qui agissent hors du champ de contrôle des autorités religieuses locales et des structures officielles, qui elles appellent à la prudence. Non sans gommer ici les spécificités locales propres à chaque territoire, ce phénomène s’est développé en Bosnie-Herzégovine, en Albanie, au Kosovo, au Monténégro ou encore dans le Sandjak, région située au sud-ouest de la Serbie. Il existe enfin un noyau d’individus, notamment en Bosnie-Herzégovine, qui porte en lui les germes du développement de courants radicaux. Implantés à la faveur de la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995), de nombreux combattants islamistes étrangers se sont depuis installés dans le pays de la région et ils ont contribué à rendre fertile le terreau dans lequel prennent racines certains courants radicaux dont l’écho résonne aujourd’hui sur ce territoire. Cette recrudescence de mouvements radicaux porte en elle son lot de risques potentiels dont l’UE doit se préoccuper.

Les enjeux sécuritaires ne se limitent pas au seul phénomène de la radicalisation

Les enjeux sécuritaires ne se limitent pas au seul phénomène de la radicalisation. L’instabilité chronique dont pâtit la région persiste depuis de nombreuses années et elle est elle-même alimentée par des trafics en tout genre (traite d’êtres humains, trafics de drogues, corruptions à diverses échelles, trafics d’armes…) – sur lesquels, parfois, s’appuient les réseaux terroristes pour prospérer.

Par ailleurs, si le risque d’embrasement de la région est fort peu probable, la dégradation de la situation est notable pour certains pays. La Bosnie-Herzégovine connait une instabilité politique réelle, d’autant que le dirigeant de la République serbe de Bosnie (Republika Srpska) Milorad Dodik ne cesse de brandir la potentielle tenue d’un référendum d’indépendance, dans un pays déjà fragilisé par de vives tensions internes entre les communautés bosniaques, serbes et croates. Le Kosovo est également dans une situation d’instabilité, le pays devant faire face à un chômage de masse, et plus largement des difficultés économiques importantes, d’autant que les relations entre Belgrade et Pristina sont sujettes à des tensions chroniques. L’ARYM, quant à elle, a connu de nombreuses perturbations politiques au cours de l’année.

Face à cela, il est nécessaire que l’Union européenne soit en mesure de réagir et d’agir en conséquence. Certes, l’essor de multiples crises mondiales depuis la fin de la guerre en ex-Yougoslavie a probablement eu pour effet de détourner le regard de l’Union européenne de la région[5]. Mais négliger cette zone de l’Europe serait une erreur car un échec des politiques européennes dans les Balkans occidentaux signifierait l’échec de la politique de stabilisation entreprise par l’UE depuis la fin de la guerre en ex-Yougoslavie, à l’heure où d’autres puissances mondiales – la Russie et la Turquie – s’intéressent de près à cette région. Enfin, les problématiques sécuritaires dans les Etats des Balkans occidentaux concernent également les pays membres de l’UE, d’abord parce qu’elles ont un impact direct sur notre propre sécurité, mais également car les Etats des Balkans sont confrontées au même enjeu sociétal que le nôtre : la lutte contre le terrorisme et la radicalisation de certains de leurs citoyens.

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[1] Depuis janvier 2017, près de 11 600 personnes issues de la Syrie ont traversés la Méditerranée pour rejoindre l’Europe (en particulier la Chypre, la Grèce, ou l’Italie). Ils représentent 9,7% des flux traversant la méditerranée. Voir : https://data2.unhcr.org/en/situations/mediterranean

[2] Jean-Arnault DÉRENS et Laurent GESLIN, « Les Balkans au défi d’une radicalisation de l’islam ? », Religioscope, Etudes et analyses, n°31, octobre 2013, https://www.religion.info/wp-content/uploads/2013/10/2013_10_Derens_Geslin.pdf

[3] Ibid.

[4] EUROPOL, « EU Terrorism situation & Trend Report » (TE-SAT), 2017 , https://www.europol.europa.eu/newsroom/news/2017-eu-terrorism-report-142-failed-foiled-and-completed-attacks-1002-arrests-and-142-victims-died

[5] Loïc Trégourès, « Pourquoi les Balkans comptent », IRIS, 23 janvier 2017, http://www.iris-france.org/87736-pourquoi-les-balkans-comptent/
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