ANALYSES

De la Catalogne au Kurdistan : un « droit à l’État » ?

Tribune
2 octobre 2017


Soudan du Sud, Ecosse, Kurdistan, Catalogne, … Malgré l’éventuelle contestation de leur légalité ou légitimité, l’organisation de référendums d’autodétermination se succèdent. Au-delà de leurs résultats respectifs, chacune de ces consultations s’inscrit dans un contexte historique et (géo)politique propre. Elles reposent néanmoins sur un fondement commun : la revendication d’un « droit à l’État » par des nations autoproclamées en quête d’émancipation. Pourtant, un tel droit est loin d’être acquis.

L’attractivité des nations pour l’organisation étatique

Apparu en Europe occidentale, à la fin de la féodalité (entre le XVᵉ et le XVIᵉ siècle), l’État s’est imposé comme la forme d’organisation politique des sociétés modernes. Dans l’Europe du XIXe siècle, le principe des nationalités (c’est-à-dire la revendication des peuples dotés d’une conscience nationale à se constituer en État) a motivé la création d’une série de nouveaux États. Le XXᵉ siècle a vu la croissance exponentielle d’États nés de l’éclatement des empires multinationaux (ottoman, austro-hongrois, etc.), des empires coloniaux (vagues successives de décolonisation qui ont touché l’Afrique et l’Asie) et de la dislocation d’États multinationaux (URSS, Yougoslavie, Tchécoslovaquie, etc.). D’une cinquantaine d’États au début du XXᵉ siècle, on est passé à un peu moins de 200 États au début du XXIᵉ siècle, dont une trentaine sont nés au cours des trente dernières années. Les Nations unies comptent aujourd’hui 193 Etats membres, alors qu’ils n’étaient que 51 pays à la création de l’organisation en 1945. Aujourd’hui, la tendance au séparatisme demeure, y compris en Europe, et les nouvelles revendications nationales visent l’accession à la condition étatique.

La revendication d’un « droit à l’État »

Alors que le principe des nationalités a été au cœur de la dislocation des empires multiethniques (Autriche-Hongrie, Empire ottoman), il prend la forme tout au long du XXe siècle du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » face aux empires coloniaux européens (qui s’étendent en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie), invoqué par des mouvements de libération nationale qui se placent dans la lignée des déclarations d’indépendance des États-Unis en 1776, et de celles qui ont traversé l’Amérique latine au début du XIXᵉ siècle. Conséquence juridique du principe des nationalités, le droit à l’autodétermination consacré par la Charte des Nations-Unies a justifié la création des États nés à la suite des vagues successives de décolonisation. Utilisé comme fondement juridique du droit des peuples colonisés à l’indépendance, il a abouti à la multiplication des États nationaux. Or « l’autodétermination » des peuples/minorités, invoquée notamment au nom du « principe de nationalité », aboutit en règle générale à un « droit à l’État » signifiant un « droit à la sécession » contre un État existant (exemples topiques du démembrement des Empires multinationaux austro-hongrois et ottoman après la Première guerre mondiale).

Les Etats sont rétifs à l’idée du « droit à l’État »

Le droit international a une prétention à régir la création (juridique et non factuelle) d’un nouvel État, autour de critères objectifs ou éléments constitutifs qui relèvent de l’analyse descriptive : « une collectivité qui se compose d’un territoire et d’une population soumis à un pouvoir politique organisé » (1er avis du 29 novembre 1991 de la Commission d’arbitrage pour la paix en ex-Yougoslavie). Si la formation objective de l’État (catalan ou du Kurdistan) dépend de la réunion de ces trois conditions nécessaires – et fortement interdépendantes –, son existence internationale effective est liée à une dimension plus subjective. L’existence effective de l’État (son opposabilité à l’ensemble des autres sujets de droit international) demeure en effet purement théorique si elle ne s’accompagne pas d’une réaction diplomatique des États tiers : l’acte unilatéral, discrétionnaire, de reconnaissance.

Certes, selon les termes de l’article 1er, §2 de la Charte des Nations Unies, l’ONU a notamment pour but de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ». Il n’empêche, les États et les organisations internationales sont en général rétifs à l’idée de consacrer un véritable « droit à l’État ». Une application effective systématique du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » est exclue, car elle serait synonyme de déstabilisation de l’ordre (inter)national. L’Europe n’échappe pas à cette règle : la légitimité des revendications autonomistes voire indépendantistes (en Catalogne, mais aussi en Flandre, en Corse, au Pays-Basque, etc.) est contestée par l’Union européenne comme par ses Etats membres. Une « contagion séparatiste » ouvrirait la voie à un risque de fragmentation d’un espace européen en quête d’intégration…

La « communauté internationale » demeure un club fermé sur elle-même, peu encline à intégrer de nouveaux membres. Du reste, il n’existe pas d’organe centralisant l’obtention de la qualité d’État. Chaque sujet de droit international (États et organisations internationales) choisit unilatéralement de considérer la création d’un État. En attestent les réactions diplomatiques (négatifs) aux référendums catalan et kurde, cette condition de la reconnaissance représente un obstacle majeur à la création d’un État souverain dans chacun de ces cas.

Le défaut de reconnaissance internationale place l’État autoproclamé dans une situation d’État « virtuel » dans l’incapacité d’entretenir des rapports de droit avec les autres États sur la scène internationale, par exemple en adhérant à une organisation internationale (cas problématique de l’Union européenne pour la Catalogne). L’absence de reconnaissance internationale d’entités ayant une existence de facto crée des « États fantômes » (King et Byman, 2012), sortes de « quasi-États » susceptibles d’être définis comme des entités politiques ayant formellement déclaré leur indépendance, qu’elles exercent sur une majeure partie du territoire revendiqué et disposant d’institutions publiques (Caspersen, 2012).

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Deux remarques en guise de conclusion :

  • Si des nations sans État existent (exemple de la Palestine), des États formés de plusieurs nations aussi (avenir d’Israël ?). L’État plurinational – conçu dans un cadre fédéral – est un modèle d’organisation alternatif à l’État-nation unitaire ou même régional (cas de l’Espagne), dès lors que ce dernier s’avère incapable d’inclure sa dimension pluraliste dans le champ de sa société politique.

  • Loin du discours décliniste sur la « fin de l’État », ce modèle continue d’exercer un puissant pouvoir d’attraction. Malgré la multiplication des signaux annonciateurs d’un monde post-étatique, les peuples, eux, n’ont pas encore décidé de sortir l’État de l’Histoire.


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Béligh Nabli, L’État, Droit et politique, Armand Colin, Coll. U, 2017.
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