09.12.2024
Lula à la rue : Brésil, de coup d’État parlementaire à coups d’État judiciaires
Tribune
21 juillet 2017
Ce n’est pas la première fois que le juge Sergio Moro agit de la sorte par répliques judicaires violentes. Le 4 mars 2016, passant outre aux règles de droit, il avait sans convocation préalable envoyé la police au domicile de Lula à 6h du matin pour procéder à un interrogatoire dans les locaux d’un commissariat d’aéroport. La presse avait été informée et était sur place pour rapporter et filmer cette descente politico-judiciaire. Quelques jours plus tard, le 16 mars, dès l’annonce de l’éventuelle entrée de Lula dans le gouvernement de la présidente Dilma Rousseff, le juge Moro avait fait diffuser par les médias une conversation téléphonique de la présidente enregistrée à son insu. Cela avait provoqué un rappel au droit par les juges du Tribunal supérieur de justice (STF). Le 12 juillet 2017, Sergio Moro a fondé les neuf années et demie d’incarcération infligées à l’ex-président sur une présomption de corruption ; la condamnation ne s’appuyait donc pas sur des faits vérifiés. L’entreprise de travaux publics OAS aurait, selon le juge, fait cadeau au président Lula d’un appartement en échange de contrats avec Petrobras sans appel d’offre. L’appartement existe bel et bien et appartient à l’entreprise OAS mais les avocats de l’ex-président ont communiqué au juge les actes de propriété. Le 14 juillet 2017, le juge a donc durci a posteriori la condamnation prononcée deux jours plus tôt en l’assortissant d’une saisie des biens de l’ex-président ; ceci afin d’assurer la réparation minimale des dommages causés à Petrobras, est-il signalé dans l’exposé des motifs de la décision. Ont donc à cet effet été saisis la résidence principale de l’ex-président, deux appartements situés à proximité, un terrain, deux véhicules, ses quatre comptes en banque crédités d’environ 200 000 euros, ainsi que son plan de retraite.
De toute évidence, un certain nombre de juges ont rejoint les élus et les patrons qui ont décidé d’écarter de façon durable l’alternative sociale et politique que représente le Parti des travailleurs et de son leader historique Lula da Silva ; et ce quelles qu’en soient les conséquences institutionnelles. L’acharnement judiciaire de Sergio Moro, au prix du droit, est parallèle à celui des députés et sénateurs qui ont destitué la présidente Dilma Rousseff en détournant l’article 85 de la Constitution. La grande presse, le groupe multimédia Globo et l’hebdomadaire Veja, accompagnent cette curée politique. Le soi-disant quatrième pouvoir a donc mis sous le boisseau la déontologie de l’information et se comporte en acteur de l’offensive politique anti-Lula, fabricant un récit reflétant les intérêts de ses actionnaires. Cette offensive judicaire, parlementaire et médiatique sous couvert de chasse à la corruption a permis l’adoption de mesures budgétaires faisant porter le poids des ajustements sur les catégories les plus démunies. Depuis un an, le pouvoir intérimaire a écrêté les budgets sociaux, gelé les dépenses publiques pour une durée de 20 ans et modifié le code du travail au détriment du droit des travailleurs.
Accessoirement – mais cela l’est-il vraiment l’esprit des lois ? – de la morale collective, la déontologie de l’information a été gravement remise en question avec la complicité active de juges, de journalistes et d’élus, ainsi que de députés et sénateurs. Lula donc est revenu à la case départ. Il y a une soixantaine d’années, il avait migré un baluchon sur le dos du Nord-Est du Brésil à Sao Paulo. Ses biens modestes (voir supra) lui ont été retirés par une justice de classe. Un juge du Tribunal suprême ou de Cour fédérale gagne en effet plus de 13000 dollars par mois, comme les députés et sénateurs. Quant aux magistrats de rang inférieur, ils peuvent gagner jusqu’à dix fois plus selon l’enquête publiée par Michael Reid, ancien correspondant au Brésil de l’hebdomadaire britannique The Economist [1]. Lula est ainsi victime d’un juge ayant un comportement d’accusateur partisan au nom de la vérité de la « casa grande » (l’habitation du maître à l’époque esclavagiste), comme on dit au Brésil. L’Eglise catholique ne s’y est pas trompée : la Commission justice et paix de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), a rendu public un message appelant les fidèles à défendre la démocratie et l’ex-président Lula. « Le pouvoir judiciaire », signale le document, « sur un certain nombre de sentences s’est laissé influencer par des intérêts qui n’ont rien de républicain ». Le message est manifestement passé puisque 17 grandes villes brésiliennes avaient programmé le 20 juillet des manifestations de soutien à Lula, à la démocratie et contre la modification du code du travail.
[1] Michael Reid, « Brasil a esperança e a deceçao », Lisbonne, Presencia, 2016