ANALYSES

Stratégie du pivot : clap de fin ?

Tribune
7 novembre 2016
Après les Philippines, c’est au tour de la Malaisie d’opérer un rapprochement spectaculaire avec la Chine. Le Premier ministre malaisien, Najib Razak, a annoncé cette semaine depuis Pékin, où il était en visite officielle, l’établissement de liens militaires plus étroits avec la Chine. Il avait été précédé de quelques jours par Rodrigo Duterte, le tonitruant président philippin, lui aussi invité en Chine, et lui aussi visiblement ravi d’annoncer une série d’accords avec un pays avec lequel les relations furent pourtant très tendues ces dernières années.

Ce ballet diplomatique en Chine est surtout un coup très dur porté à la stratégie du pivot vers l’Asie portée par l’administration Obama depuis le début de la décennie, avec pour ambition annoncée de replacer les Etats-Unis au centre de l’échiquier asiatique. Les deux facettes de cette stratégie sont l’économie (avec notamment la signature du Partenariat transpacifique, ou TPP) et le politico-stratégique (avec la réaffirmation de partenariats existants et la recherche de nouveaux alliés). Si le TPP attend encore une ratification du Sénat américain, il se heurte surtout au fait que seuls cinq Etats asiatiques (Japon, Brunei, Singapour, Malaisie et Vietnam) l’ont signé, ce qui a pour effet de limiter très sensiblement sa portée, là où l’objectif à peine masqué était d’unir tous les pays de la région et d’exclure la Chine (ce qui explique d’ailleurs sans doute son semi-échec). A cela s’ajoutent les avancées chinoises en parallèle, notamment la montée en puissance des investissements en Asie du Sud-est. En clair, le TPP a le mérite d’avoir été signé en 2015, mais il reste un accord au rabais, et qui pourrait ne jamais décoller. Au niveau stratégique, si les Etats-Unis ont réaffirmé le partenariat avec des alliés traditionnels comme le Japon, la Corée du Sud ou l’Australie, c’est du côté du Vietnam et des Philippines que de nouveaux dialogues sont à mettre au crédit de l’administration Obama. Mais le revirement spectaculaire de Manille depuis l’arrivée au pouvoir de Duterte, qui a déclaré souhaiter tourner le dos à Washington, est un coup de poignard dans le dos de la diplomatie américaine, et d’un pivot stratégique qui perd l’un de ses principaux soutiens.

La campagne présidentielle affligeante, qui se termine enfin, n’a fait qu’affaiblir un peu plus la place de Washington en Asie, et les perspectives ne sont pas positives. Barack Obama, qui a passé une partie de son enfance à Jakarta, est resté populaire dans la région, et son capital sympathie a sans doute permis d’entretenir l’espoir d’un repositionnement américain dans une région de plus en plus marquée par la montée en puissance chinoise. Mais ni Hillary Clinton, ni Donald Trump, ne bénéficient de la même image positive. S’ajoute à cela une absence de vision de la part des deux candidats sur l’avenir de la stratégie du pivot, à laquelle Trump ne semble pas s’intéresser sinon pour dénoncer le TPP, et que revendique Hillary Clinton, mais sans pour autant en avoir fait l’un des axes de sa campagne sur les dossiers de politique étrangère. D’ailleurs, n’est-il pas étonnant qu’aucun des deux candidats n’aient proposé de politique asiatique, préférant porter leurs discussions en matière de politique étrangère sur le nœud syrien et une anachronique obsession russe ? Jamais, depuis les années Bush et les débats sur la guerre en Irak, une campagne présidentielle américaine a à ce point ignoré les enjeux politiques, économiques et militaires en Asie. A l’image de cette campagne dans son ensemble : creux, vide de sens, et surtout inquiétant pour l’avenir.

Ces errements, associés à la réalité d’un basculement progressif, certes relatif mais réel, des « alliés » de Washington au profit de Pékin, peuvent-ils signifier la fin de la stratégie du pivot, qui restera ainsi un acte manqué de l’administration Obama ? Ce n’est pas à exclure. Car la marge de manœuvre est aujourd’hui beaucoup plus réduite qu’elle ne l’était en 2009, quand Obama prit ses fonctions et nomma Hillary Clinton au département d’Etat. Cette dernière avait alors choisi l’Asie comme destination de sa première tournée comme chef de la diplomatie américaine (une première dans l’histoire du pays). Si les Etats-Unis ont cherché à avancer en Asie, avec des succès, comme nous l’avons vu, mitigés, Pékin a considérablement renforcé sa présence et sa puissance. Les signes sont nombreux. Deuxième PIB mondial depuis 2010, la Chine a mis sur pied les contours d’une zone de libre-échange avec l’Asean, créé la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures (AIIB, 2015), et multiplié les projets économiques et commerciaux dans son voisinage, y compris avec son ennemi de toujours, Taiwan. Dans le même temps, la puissance militaire, maritime surtout, de la Chine a considérablement augmenté, au point de devenir un potentiel concurrent aux forces américaines dans la région. Enfin, les ambitions chinoises, caractérisées par la ligne des neuf (désormais dix) points et les revendications territoriales et maritimes en mer de Chine orientale et méridionale, marquent une rupture avec une posture traditionnellement plus discrète. En huit ans, la Chine est passée d’un statut de puissance asiatique en devenir à celui de puissance assumée. Pékin a également profité, de manière habile, d’une certaine vacance du pouvoir américain en période électorale (Barack Obama lui-même étant visiblement actuellement plus impliqué dans le soutien à la campagne d’Hillary Clinton que dans la politique étrangère de son pays), pour avancer ses pions. La stratégie du pivot avait comme objectif à peine masqué d’endiguer la montée en puissance chinoise. C’est donc un échec, et si elle doit se réinventer, cette stratégie devra surtout s’adapter à une donne qui n’a pas évolué en faveur de Washington. Les postures des Philippines et de la Malaisie n’en sont qu’un indicateur, la dérive autoritaire de la Thaïlande, les quatre essais nucléaires nord-coréens depuis 2009 et les déboires de la Corée du Sud d’autres. Ils sont surtout la promesse de jours difficiles pour la diplomatie américaine face à un pays qui deviendra sans doute officiellement première puissance économique mondiale tandis que le 45ème président des Etats-Unis occupera la Maison-Blanche.
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