ANALYSES

Éthiopie : les signaux faibles s’accumulent

Tribune
6 octobre 2016
Par Patrick Ferras, Directeur de l’Observatoire de la Corne de l’Afrique, intervenant au sein d’IRIS Sup’
Le 11 septembre 2016, en raison de son calendrier julien, l’Éthiopie a fêté son entrée en 2009. Depuis quelques semaines, l’ambiance n’est pas aux explosions de joies. Addis Abäba et les grandes métropoles régionales semblent comme assommées par une fin d’année où les signes négatifs s’accumulent. L’économie se ralentit et les objectifs fixés dans le Growth and Transformation Plan[i] deviennent, dès la deuxième année, très illusoires d’autant que l’inflation reprend. Les mouvements sociaux réprimés dans la violence ne paraissent pas s’arrêter. Le pouvoir politique n’a pas de solutions à court terme. Faudra-t-il attendre les congrès en 2017 des différents partis composant la coalition au pouvoir pour entrevoir une amorce de décisions ? Ou faudra-t-il attendre les élections de 2020 ?

Comme nous l’avions écrit en mai 2015[ii], il était à prévoir que les résultats des élections législatives et régionales avec des scores de 100 % laissaient entrevoir des lendemains douloureux. Nous y sommes.

Les cent millions d’Éthiopiens demandent maintenant que les fruits de la croissance soient visibles dans leur quotidien. Le parcours de l’Éthiopie de ces deux dernières décennies est remarquable mais il a impliqué beaucoup de sacrifices pour la population. Les modernes et les anciens s’affrontent. Le modèle éthiopien, celui d’un État « développementaliste » autoritaire, comme le décrit Jean Nicolas Bach[iii], est à bout de souffle. S’il fut porté à bout de bras par Mälläs Zénawi, il a atteint ses limites et un tournant majeur doit être effectué. Il va falloir s’appuyer sur une nouvelle classe politique, sur le dynamisme d’entrepreneurs, sur des orientations économiques modernes.

À défaut, l’Éthiopie risque de perdre le bénéfice de ces vingt dernières années en très peu de temps. La communauté internationale semble s’apercevoir que le modèle éthiopien est porteur de sévères contradictions. Alors qu’Addis Abäba refuse d’appliquer la décision internationale de démarcation de la frontière de 2002 entre l’Érythrée et l’Éthiopie, elle vient d’obtenir un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Et pourtant, le Conseil de sécurité est compétent au premier chef pour assurer la paix et la sécurité internationales[iv] ! Encore une occasion manquée de régler le problème entre les deux États. Car l’Éthiopie et l’Érythrée ont besoin l’un de l’autre. L’incident de Tsorona en juin n’est pas à négliger. Il pourrait donner à penser qu’une fuite en avant avec une reprise du conflit apparaîtrait aux yeux de quelques « anciens » comme une solution pour maintenir le régime. À ce titre, il sera intéressant de voir l’accueil réservé au prochain rapport sur l’embargo en Érythrée, en octobre 2016. Depuis trois ans, les analyses des rapporteurs sont peu crédibles et partiales. Il faut prendre garde à ne pas envoyer de tels signaux dans une région où la violence perdure et est devenue un recours facile (Soudan du Sud, Somalie).

L’Éthiopie vit des heures cruciales. Si les incidents continuent, les activités liées au tourisme, déjà en baisse[v], s’amenuiseront et ce secteur pourtant prometteur et nécessaire pour l’économie connaîtra une perte de vitesse rapide. C’est un indicateur important. Si les Éthiopiens ne voient pas émerger une nouvelle classe de dirigeants, ils pourraient débuter un printemps est-africain et la stabilité de la Corne de l’Afrique, déjà fragile, s’en ressentirait.

La fin de l’année 2016 et le début de 2017 vont être tendus pour l’Éthiopie. L’échéance de 2020 est trop loin pour attendre une sanction dans les urnes. L’ancien chef d’état-major des Forces de défense nationale éthiopiennes, le général Gäbrä Tsadqan a souligné en août que l’heure est grave. Les Éthiopiens attendent des changements politiques et économiques rapides, des sanctions contre l’emploi démesuré de la violence par les forces de l’ordre lors des derniers événements, de l’efficacité dans la lutte contre la corruption et la fin d’une « bureaucratie incompétente et médiocre[vi] ».

Sans réponses majeures, l’héritage de Mälläs Zénawi risque d’être dilapidé en quelques mois et l’Éthiopie pourrait effectuer un grand bond en arrière.

[i] Plan à cinq ans de prévision de l’économie éthiopienne (2015-2020).
[ii] « Des élections sans suspense en Éthiopie pour un pays à l’avenir incertain », Ferras Patrick, 26 mai 2015, www.iris-france.org.
[iii] « Privilégier la stabilité économique à l’ouverture politique a créé une situation explosive », Le Monde du 27 septembre 2016. Voir Jean-Nicolas Bach, « L’Ethiopie après Meles Zenawi : l’autoritarisme ethnique à bout de souffle ? », Politique africaine, n°142, juin 2016, p. 5-29.
[iv] www.un.org consulté le 28 septembre 2016.
[v] Entretiens à Addis Abäba en septembre 2016.
[vi] « Hailemariam Desalegn’s limited room to manœuvre », journal Fortune du 25 septembre 2016.
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