ANALYSES

Conférence pour la paix israélo-palestinienne : quelle influence de la France au Proche-Orient ?

Interview
19 mai 2016
Le point de vue de Didier Billion
Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, a récemment présenté le projet « désintéressé » d’une Conférence internationale pour la paix israélo-palestinienne à Benjamin Netanyahou. Quelles sont les motivations de la France ? Pourquoi cette initiative a-t-elle suscité un tel rejet de la part du gouvernement israélien ?
Il est clair que la situation de blocage politique complet, notamment depuis la fin des vaines tentatives de John Kerry initiées il y a maintenant 2 ans (closes en avril 2014), a incité la France à tenter de dépasser les facteurs de blocage dans les relations israélo-palestiniennes. En ce sens, l’idée initiale de la France de relancer le processus paraissait positive dans la mesure où il était nécessaire qu’un pays reprenne l’initiative.
Sur la forme, le projet de relance des négociations doit être scindé en deux étapes. La France considérait qu’il était vain de mettre face à face les Israéliens et les Palestiniens, et avait donc été décidé, pour des raisons tactiques, d’organiser une conférence internationale regroupant une vingtaine de pays, représentés au niveau ministériel, pour tenter de mettre noir sur blanc les paramètres de la négociation. Dans une deuxième étape, une nouvelle conférence internationale devrait, cette fois-ci, regrouper les Palestiniens et les Israéliens sur la base des éléments définis en amont.
Il est intéressant de noter que lorsque la France, en la personne de son ministre des Affaires étrangères M. Ayrault, s’est rendue en Israël et sur les Territoires palestiniens le dimanche 15 mai, les autorités politiques israéliennes lui ont réservé une volée de bois vert. M. Netanyahou, prétextant s’indigner d’un vote français favorable à une résolution de l’Unesco portant sur le patrimoine culturel palestinien, a considéré que la France montrait par ce vote une grande impartialité. Cette réaction a entrainé un glissement diplomatique dans la mesure où Jean-Marc Ayrault s’est senti obligé, sinon de s’excuser, du moins de se justifier.
Cet enchaînement des faits illustre parfaitement la situation actuelle. Tous les Etats, et la France n’est pas n’importe quel Etat, qui tentent de relancer un processus de négociation, se heurtent à un non systématique de la part d’Israël. Les autorités politiques israéliennes souhaitent en effet un tête à tête avec les Palestiniens, motivé par l’asymétrie totale des relations entre les deux parties, ce qui les placent en situation de force. Les Palestiniens sont épuisés et affaiblis par tant d’années d’occupation et par une situation économique qui n’est guère brillante, ce qui permettrait au gouvernement israélien, dans le cadre d’une négociation bilatérale, de maintenir le blocage et le refus de la proclamation d’un Etat palestinien.
Ce n’est donc pas tant l’initiative positive de la France qui est problématique, mais sa tendance à reculer immédiatement à la moindre formulation d’un désaccord émis par le gouvernement israélien. C’est à la fois inacceptable et symptomatique de la situation.

Alors que la France recule sur la date de la conférence, mais aussi sur une éventuelle reconnaissance de l’Etat palestinien et sur son vote en faveur d’une résolution de l’Unesco sur le patrimoine culturel palestinien, peut-elle prétendre à une légitimité, une compétence et un poids diplomatique suffisant pour mener cette initiative extrêmement délicate ?
À ce jour, nous ne connaissons pas encore la date de la conférence. Elle était prévue pour le 30 mai, mais sera visiblement reportée. Si elle est déplacée de quelques jours, en raison officiellement de l’incapacité de John Kerry d’être présent, ce n’est absolument pas significatif. Si par contre ce recul s’avérait être plus long – François Hollande a évoqué l’été 2016 – en conséquence de l’intransigeance israélienne, ce ne serait pas acceptable. La France se poserait elle-même dans une position défensive qui ne servirait aucunement son initiative.
Sur la question de la résolution de l’Unesco, M. Hollande a qualifié de « fâcheux » les propos du texte. Or, celui-ci a été réalisé au sein de l’Unesco et il n’y a, à mon sens, aucune marque de défiance à l’égard des Israéliens, seulement la volonté de réaffirmer le droit international. Or, la France ne peut se mettre en porte-à-faux vis-à-vis de droit international. Il s’agit en réalité d’une argutie avancée par les autorités israéliennes pour éviter la perspective d’une conférence internationale telle que nous l’avons décrite précédemment.
La France a eu au cours des décennies antérieures un rôle central sur le dossier israélo-palestinien. Sa position intransigeante à l’égard de l’application du droit international et des résolutions de l’ONU, a été défendue tant par Charles de Gaulle, que par Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et dans une certaine mesure Jacques Chirac. Même si elle a peu à peu été abandonnée par les gouvernements de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande, c’est de cette longue histoire que la France tire sa légitimité à l’égard du conflit israélo-palestinien. La compétence de la France est alimentée par un appareil diplomatique de qualité qui a une connaissance fine des problématiques propres à ce conflit.
Le poids diplomatique de la France ne sera que ce que nous en ferons. La France ne se grandit dans ce type de dossier que lorsqu’elle défend l’application, ou les tentatives d’application, du droit international. La parole de la France est singulière lorsqu’elle assume toute la portée de ses positions de principe. Je pense véritablement que si elle défend une posture ferme, ce n’est pas seulement la vingtaine d’Etats participant à la conférence qui la soutiendront, mais la totalité des 138 Etats qui ont voté favorablement à l’adhésion de la Palestine au statut d’observateur des Nations unies.

Quels autres formats de négociation seraient crédibles pour engager de réelles avancées sur le dossier israélo-palestinien ?
En réalité, ce n’est pas une question de format. Evidemment, ce dernier n’est ni neutre, ni dérisoire, mais il reste une question secondaire. L’essentiel est toujours de se reporter au droit international et de s’appuyer sur la volonté de régler enfin cette situation d’injustice absolue faite au peuple palestinien depuis 68 ans. Il est nécessaire d’appliquer les résolutions onusiennes, rien que les résolutions mais toutes les résolutions. Cela est certainement plus facile à dire qu’à faire car alors, beaucoup de questions pratiques se posent. Par exemple, la problématique des colonies : sommes-nous, oui ou non, pour le démantèlement de celles-ci ? Du point de vue du droit international, la réponse est oui car ces colonies sont considérées comme illégales. D’autre part, cela pose la problématique des frontières. Les résolutions de l’ONU insistent toujours sur les frontières palestiniennes de 1967. De même, le statut de Jérusalem, considérée par le droit international comme la capitale des deux Etats, l’un existant et l’autre en devenir, entre dans le débat.
C’est donc cette volonté de faire appliquer les résolutions de l’ONU qui est fondamentale. Si les parties prenantes aux négociations se mettent d’accord sur cet objectif, alors la perspective d’une résolution apparaîtrait plus naturellement. Cependant, je crois que le manque de courage est prégnant au sein de ladite communauté internationale et que les dirigeants israéliens, profitant d’une forme d’impunité, parviennent à imposer leur volonté à l’encontre même du droit international. C’est ce blocage permanent qu’il s’agit de submerger.
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