ANALYSES

Le chavisme survivra-t-il à la crise politique et économique du Venezuela ?

Interview
3 mai 2016
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky
Nicolas Maduro vient notamment d’annoncer une augmentation du salaire minimum de 30%. Cette mesure répond-t-elle à la crise économique et sociale que connait le Venezuela ? Quel bilan tirer des premiers mois d’exercice partagé du pouvoir entre le régime chaviste et l’opposition ? Un scénario semblable à celui qui se joue actuellement au Brésil est-il envisageable ?
L’augmentation du salaire minimum répond à la nécessité d’un rattrapage économique, le Venezuela étant l’un des pays du monde – peut-être le pays du monde – qui connait le taux d’inflation le plus élevé. C’est un taux à trois chiffres qu’il est difficile à mesurer mais qui se situerait selon certains observateurs autours de 700 %. Il y a donc un fossé qui existe entre la réalité des prix et les capacités qui sont données à ceux qui détiennent un salaire minimum. Cela permet aussi de mesurer l’ampleur de la crise que connait le Venezuela.
Concernant les relations entre l’opposition et le gouvernement chaviste, il n’y a pas de partage du pouvoir mais une coexistence. Les élections présidentielles, qui ont eu lieu avant les élections législatives, ont porté au pouvoir le président Nicolas Maduro, qui se présente comme l’héritier de Hugo Chavez et qui s’appuie sur le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). Au mois de décembre de l’année dernière, les élections législatives ont vu la coalition de l’opposition l’emporter. Le Venezuela, comme l’Allemagne, le Brésil ou les Etats-Unis, a un régime présidentiel, et donc un président qui peut être censuré, avec un pouvoir législatif qui lui est totalement opposé. Le bras de fer entre les deux pouvoirs a été immédiat, chacun essayant de déstabiliser l’autre sans chercher des formes civilisées, constitutionnelles de cohabitation. Les deux autorités ont inscrit leur action politique dans le cadre d’une tentative d’expulsion, ou du moins de réduction de l’influence de l’autre, et dans une bataille de légitimité.
Quant à la possibilité d’un scénario brésilien, certes l’objectif est le même mais le cheminement est différent. À la différence du Brésil, la constitution vénézuélienne telle qu’adoptée après l’élection de Chavez, permet, sous réserve d’un nombre suffisant de signatures validé par la Commission électorale nationale, d’organiser un référendum révocatoire des principales autorités élues dont l’autorité présidentielle. L’opposition avait déjà utilisé en 2004 cette faculté constitutionnelle à mi-mandat du président Chavez mais avait alors perdu son pari. À cette époque, le contexte économique était différent puisque les prix du pétrole étaient trois à quatre fois plus élevés qu’aujourd’hui. Le président avait été adoubé dans la mesure où les retombées économiques de la manne pétrolière étaient redistribuées à la population, particulièrement dans son segment le plus défavorisé. Ce n’est plus le cas aujourd’hui dans la mesure où les programmes sociaux sont maintenus avec de grandes difficultés et alors que le Venezuela, monoproducteur de pétrole, a beaucoup moins d’argent qui rentre dans les caisses de l’Etat et dans l’économie du pays, ce qui est à l’origine de la crise actuelle.

Peut-on considérer que le secteur privé, la spéculation et des puissances étrangères, comme les Etats-Unis, sont impliqués dans une « guerre économique » visant la déstabilisation du Venezuela ? Le chavisme y survivra-t-il ?
C’est l’argument qui est avancé le plus souvent par le président Maduro. C’est un argument classique dans les rivalités politiques que de chercher un bouc émissaire. Il est vrai que le Sénat des Etats-Unis, à majorité républicaine, a voté la prolongation de sanctions visant un certain nombre de personnes proches de Nicolas Maduro. Pour autant, cela ne répond pas à une intention du président Obama mais à la situation de cohabitation et de majorité républicaine.
Compte tenu de la situation de crise, de pénurie, des approvisionnements particuliers à Caracas et des trois niveaux de changes du dollar, les tentatives individuelles de sortie de crise s’appuient beaucoup sur la corruption, voire la contrebande avec la Colombie. Le système économique ne fonctionne plus car tout un chacun essaie de s’en tirer à sa façon. Il y a de la petite corruption avec des vols et des détournements de marchandises dans les supermarchés, revendus dans la rue. Mais on ne peut pas dire que cela réponde à un plan organisé ou à une sorte de complot. On assiste à un dysfonctionnement global de l’économie.

Comment le Venezuela en est-il arrivé à importer du pétrole des Etats-Unis ? Alors que le pays se rapproche de la Grèce et accentue sa dépendance aux prêts et investissements chinois, quelles sont les conséquences géopolitiques de la situation économique que connait actuellement le pays ?
Le Venezuela, en dépit des discours radicaux du président Chavez et de son successeur Nicolas Maduro, a toujours eu comme partenaire économique principal les Etats-Unis. Le pétrole vénézuélien a comme client traditionnel les Etats-Unis et la société pétrolière d’Etat vénézuélienne dispose d’intérêts importants (raffineries, stations-services) aux Etats-Unis. Le problème du Venezuela était d’essayer de diversifier son économie. Le pays s’est donc tourné vers la deuxième puissance économique mondiale, la Chine, qui est devenue un partenaire stratégique du Venezuela. Mais quel que soit le partenaire recherché, le problème du Venezuela est avant tout sa dépendance au seul produit pétrolier autour duquel son économie tourne depuis un siècle. L’économie pétrolière a tué l’économie réelle et productive, ce qui existait auparavant, y compris l’agriculture vénézuélienne. Désormais, le Venezuela importe son alimentation pour l’essentiel de la Colombie. Le Venezuela est devenu dépendant du pétrole : lorsqu’il se vend bien l’économie fonctionne et il n’y a pas de troubles politiques mais, lorsque la valeur du pétrole chute, le Venezuela entre en crise. En 1989, c’est ce qui s’était passé et cela s’était terminé par des combats de rue et par l’utilisation des forces armées contre les manifestants protestant contre les pénuries et l’augmentation des prix. On se retrouve face au même scénario avec un gouvernement différent. Quoi que dise l’opposition, à supposer qu’elle arrive à renverser le gouvernement par des moyens légaux, elle se retrouvera face aux mêmes problèmes et difficultés que n’ont pas réussi à surmonter les gouvernements vénézuéliens successifs, c’est-à-dire diversifier l’économie du pays pour ne pas être totalement dépendant de la production pétrolière.
Sur l’aspect géopolitique, la question se pose car si le Venezuela n’est pas une grande puissance, sa force de frappe pétrolière lui avait permis, avant et après Chavez, en période faste, d’essayer de se constituer un réseau d’amis fondé sur le pétrole, c’est-à-dire l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) et PetroCaribe. Le Venezuela, en échange d’un pétrole vendu à un prix inférieur à celui du marché, bénéficiait d’autres satisfactions, en particulier de la part de Cuba, tels des médecins, des entraîneurs sportifs, des conseillers en matière de sécurité ou encore le financement de Telesur, un média qui se voulait être le concurrent de CNN Amérique Latine. Tout ce système est complètement déstabilisé et le Venezuela n’est plus en mesure de le faire fonctionner comme il le faisait dans les années 2005-2010.
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