ANALYSES

Elections législatives : vers l’alternance politique en Corée du Sud ?

Interview
15 avril 2016
Le point de vue de Barthélémy Courmont
Les récentes élections législatives en Corée du Sud ont modifié le paysage politique. Quels sont les facteurs du décrochage politique du parti au pouvoir, le Saenuri ? Les réformes impopulaires du parti de droite et le ralentissement économique ont-ils eu raison de sa popularité ?
Cette élection est un très mauvais résultat pour le parti conservateur au pouvoir, le Saenuri, et la présidente de la République de Corée, Park Geun-hye. Le Saenuri perd non seulement la majorité absolue au Parlement (300 sièges étaient à pourvoir, dont 47 à la proportionnelle), mais la majorité tout court, puisque c’est le principal parti d’opposition, le Minjoo (social-libéral) qui arrive en tête avec 123 sièges, contre 122 pour le Saenuri. Une petite avance, mais lourde de sens. Aucun parti ne remporte la majorité absolue dans cette élection marquée par une participation de 58%, soit légèrement supérieure au scrutin précédent mais qui indique tout de même une certaine désaffection de l’opinion publique à l’égard de la politique.
Les raisons de la défaite du Saenuri sont essentiellement associées aux médiocres résultats de l’économie. Park Geun-hye avait été élue en 2012 sur la promesse d’une relance de la croissance économique mais les résultats se font attendre, notamment en raison de la baisse de la croissance chinoise, principale partenaire et cliente de la Corée du Sud. D’ailleurs, c’est un économiste autrefois attaché au camp conservateur, Kim Jong-in, qui a pris les commandes de la campagne du Minjoo, et a multiplié les attaques contre le Saenuri sur ses mauvais résultats en la matière. S’ajoute à cela le souvenir de la gestion catastrophique du naufrage du ferry Sewol (qui a fait plus de 300 victimes, essentiellement des adolescents) en 2014. Plusieurs dizaines de personnes ayant manifesté, des critiques du gouvernement ont été arrêtés suite à ce drame, ce qui est vu par une partie de la population comme une restriction des libertés individuelles. A l’instar des autres pays de la région, la Corée du Sud est confrontée au syndrome du révisionnisme dans ses manuels scolaires, que le gouvernement actuel juge trop « pro-nord-coréens », ce qui a un effet clivant sur la société. Enfin, et pour ne rien arranger, le Saenuri et le gouvernement ont agi dans la plus grande opacité pour désigner les candidats à cette élection, renforçant ainsi l’image autoritaire du parti au pouvoir.
En clair, le bilan de Park Geun-hye et du Saenuri n’est pas très positif sur une multitude de points et c’est ce qui explique ce vote sanction lors d’une élection que les deux partis d’opposition, le Minjoo et le Parti du peuple, ont présenté comme un véritable référendum sur la politique du gouvernement, économique surtout. La question de l’alternance politique à l’occasion de l’élection présidentielle de 2017 est clairement posée.

La jeune formation « Parti du Peuple » a enregistré un très bon démarrage en remportant 38 sièges. Dans quelle mesure ce score traduit le désarroi d’une partie de la jeunesse et des classes moyennes qui se sentent exclues du miracle économique sud-coréen ?
C’est sans doute le principal enseignement de cette élection, qui voit éclore un nouveau parti boosté par un résultat largement supérieur à ses attentes et aux prédictions des sondages. Le Parti du peuple, formation de centre gauche, est né d’une séparation avec le Minjoo, et son dirigeant, Ahn Cheol-soo, est la personnalité politique émergente, d’autant que les rivalités de personnes sont très fortes à la tête du Minjoo. Le Parti du peuple apporte de la fraîcheur dans le paysage politique sud-coréen, et pourrait bénéficier du vote des déçus. A ce titre, le résultat de ce parti est sans doute lié à la participation en hausse à cette élection. Ajoutons à cela que l’un des principaux arguments du Parti du peuple est la réduction des inégalités de revenus, sujet hautement sensible dans un pays où les écarts sont abyssaux. Il faudra dans les prochaines années, et notamment à échéance de l’élection présidentielle de 2017, suivre la montée en puissance de ce parti.

Ou en sont les tensions entre la Corée du Sud et la Corée du Nord ? Les résultats des élections parlementaires peuvent-ils avoir des conséquences sur la politique étrangère de la Corée du Sud, à court terme pendant la période de cohabitation, et à moyen terme en incitant à l’alternance politique lors des élections présidentielles de 2017 ?
C’est difficile à dire, tant la relation intercoréenne semble depuis maintenant deux décennies plus influencée par Pyongyang que par Séoul. Avant son arrivée au pouvoir, Park Geun-hye avait promis une reprise du dialogue avec la Corée du Nord. Mais il n’en est rien. La faute à un parti conservateur très désuni sur cette question, mais aussi et surtout à la Corée du Nord qui joue habilement de ces divisions. En poussant la provocation à son paroxysme (deux essais nucléaires ces trois dernières années, en 2013 puis en janvier dernier) et en menaçant constamment son voisin, Kim Jong-un rend quasiment impossible la reprise du dialogue sur des bases sereines, ce qui a pour effet de fragiliser le gouvernement sud-coréen. La Corée du Sud n’a plus du tout prise sur le dossier nord-coréen, surtout son volet nucléaire, qui ressemble désormais à une relation triangulaire Pyongyang-Pékin-Washington, en particulier depuis le début de l’année. En clair, la Corée du Sud est marginalisée sur un sujet qui la concerne pourtant au premier chef, quand on sait que Séoul ne se situe qu’à cinquante kilomètres de la zone démilitarisée…
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