14.10.2024
François 1er au Mexique : Pape dérangeant, diplomate pèlerin
Tribune
18 février 2016
Incontestablement, l’objet fondamental poursuivi par le pape au Mexique, comme hier en Centrafrique, à Cuba ou aux Etats-Unis, était d’ordre pastoral. Le catholicisme est contesté et érodé un peu partout, notamment par les évangélistes et les pentecôtistes en Amérique et en Afrique équatoriale ainsi que par la sécularisation des esprits en Europe. Il s’agit de relever ces défis en forçant les cadres de l’Eglise (catholique) à évangéliser, à sortir d’une pratique bureaucratique de leur foi. L’Amérique latine est pour le pape François l’axe d’une reconquête. Il est latino-américain et convaincu d’avoir été élu parce que ce continent est l’ultime bastion.
Il a manifestement bousculé la hiérarchie mexicaine en s’adressant au peuple catholique, aux familles, fussent-elles divorcées, à la jeunesse, aux autochtones et aux migrants, catégories traditionnellement tenues à distance des lieux d’autorité, laïques comme épiscopaux. Les différentes étapes de ce voyage mexicain ont été marquées par la volonté de toucher le plus grand nombre, les exclus et les plus pauvres. Le sanctuaire de la Guadalupe, la vierge brune, bannière du petit peuple. Ecatepec, banlieue ignorée de la capitale, victime de toutes sortes de désordres sociaux. San Cristobal de las Casas, épicentre du Mexique indigène, évêché de Samuel Ruiz, apôtre de la théologie de la libération, cœur des relégués en dépit des discours officiels valorisant, dans les livres, « la race de bronze ». Morelia, capitale du Michoacán, Etat bousculé par les rivalités entre narcotrafiquants. Ciudad Juarez enfin, dévastée par les guerres de proximité avec les Etats-Unis, symbole de la violence contre les migrants et contre les femmes.
Ce tour du Mexique qui n’avait rien de séduisant a effectivement déplu. Une publication catholique conservatrice, « Desde la Fe », a sévèrement critiqué le choix de ces étapes. Le cardinal archevêque de Mexico, qui personnifie l’Eglise installée dans ses meubles, complaisant dans un passé récent avec bien des personnages contestables [1], a été tenu à l’écart. Les autorités sermonnées chaque jour, rappelées à un examen de conscience sociale, ont essayé de capturer médiatiquement le pape. Le président Enrique Peña Nieto, membre d’un parti laïque et historiquement anti clérical, le PRI, a ouvert le palais présidentiel à un pape, pour la première fois [2]. François Ier s’est ainsi trouvé dans le lieu où ont été adoptées les premières lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, à quelques mètres de la chambre mortuaire de celui qui en avait été l’initiateur, le président Benito Juarez [3]. L’épouse du chef de l’Etat, Angelica Rivera, malencontreusement vêtue de blanc, a corrigé sa tenue pour servir de mentor insistant au pape en visite dans un hôpital d’enfants malades. Cela n’a pas empêché le pape de canoniser une victime des guerres religieuses de la fin des années 1920.
La diplomatie sans doute, mais de surcroit. Et toujours accompagnée d’une orientation pastorale supérieure. L’étape cubaine, annoncée au dernier moment, en a déconcerté plus d’un. D’un baiser de paix entre pape et patriarche de toutes les Russies, le divorce de 1054 entre catholiques et orthodoxes aura été ringardisé, au risque sans nul doute assumé de faire grincer en Ukraine les dents des uniates. L’occasion a fait le larron. L’intérêt supérieur partagé est de défendre la chrétienté orientale, catholique comme orthodoxe, menacée dans le lieu d’origine commun, là où tout a commencé, ce qui suppose de fait un soutien, à tout ce qui peut l’empêcher, au régime de Damas et à son allié russe.
Cuba apparait une nouvelle fois comme un lieu de rencontre, de dialogue et de compromis. Le pape l’avait visité en 2015. Visite sanctionnant la normalisation de la vie chrétienne et catholique dans l’île. Visite saluant le rôle de Cuba dans le processus de paix colombien qui se déroule à La Havane. Visite confirmant le rôle de pont joué par le Vatican dans la réconciliation en cours des Etats-Unis avec Cuba. Cette osmose inattendue du communisme et de la religion ne peut que conforter tous ceux qui aux Etats-Unis souhaitent la levée de toutes les mesures d’embargo. Les secteurs républicains les plus réactionnaires et les Cubains de Miami les plus intransigeants ont été contraints d’avaler la pomme castriste avec la couleuvre papale.
Le pèlerinage mexicain a ouvert d’autres fronts diplomatiques. Deux des lieux symboliques visités par le pape, Ciudad Juarez et San Cristobal de las Casas, se trouvent aux bords extrêmes du pays. L’un donne sur les Etats-Unis et l’autre est une porte donnant sur l’Amérique centrale. Deux points géographiquement éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, mais unis par un train au nom qui vaut toute explication, « La Bestia ». Le Mexique papal est un porte-avions qui doit ouvrir le passage aux plus défavorisés. « Tu es un pape latino-américain, tu nous comprends », lui a dit une jeune fille à San Cristobal de las Casas en présence de Mexicains bien sûr mais aussi de nombreux Guatémaltèques. François Ier a explicitement à leur intention cité une œuvre précolombienne, transfrontalière, le Popol Vuh. « L’aube a fait son chemin », leur a-t-il dit, « pour les peuples qui ont marché dans les ténèbres de l’histoire ». A bon entendeur, salut. L’entendeur ce sont les secrétaires d’Etat (les ministres) désignés par le président Peña Nieto pour marquer le pape à la soutane dans chacune de ses étapes. A toutes fins utiles, bien que le responsable de la sécurité, (ministre adjoint de l’intérieur et des affaires religieuses), Humberto Roque Villanueva, ait déclaré, avant l’arrivée du pape, « les paroles du pape auront un effet incontestable sur la société mexicaine. Mais le gouvernement de la République n’a aucune crainte particulière ». A suivre…
[1] Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ.
[2] Mexique et Vatican ont rétabli leurs relations diplomatiques le 21 septembre 1992.
[3] Benito Juarez est mort en 1872 dans le Palais national, résidence officielle des chefs d’Etat.