ANALYSES

Argentine, présidentielles. Sous le regard de Vladimir Poutine

Tribune
26 octobre 2015
Vladimir Poutine, président de Russie, a salué l’excellence des relations bilatérales de son pays avec l’Argentine, au cours d’un échange télévisuel en direct, le 20 octobre 2015, avec son homologue argentine, Cristina Kirchner. Cinq jours donc avant la consultation présidentielle argentine. Les Argentins en effet étaient invités, dimanche 25 octobre, à désigner leur nouveau premier mandataire.

L’enjeu bien entendu est national. Les Argentins ont à décider entre différentes options, deux sont péronistes, une est conservatrice et deux autres se situent à gauche, au centre gauche pour l’une et à l’extrême gauche pour l’autre. La campagne a été d’une normalité peu mobilisatrice. Ce qui après tout pour un pays ayant traversé de graves perturbations démocratique est un signe de maturité politique.

Rien à dire donc de ce point de vue-là. Sans doute cela explique-t-il la modeste attention accordée à la consultation par les medias européens de référence, à l’exception de l’Espagne. Cette présidentielle, pourtant comme celle du Brésil l’année dernière et la législative de décembre 2015 au Venezuela, a un impact qui dépasse largement les enjeux nationaux de chacun de ces pays. Bien sûr les électeurs vont se déterminer en fonction de leurs idées, des offres politiques qui leurs sont proposées, et du bilan des autorités en place. Mais il n’y a pas que cela.

Les élections dans un monde de plus en plus connecté ont des retombées globales. Les candidats signalent clairement leurs amis et leurs appuis extérieurs. L’appartenance revendiquée à un réseau international est présentée comme la garantie d’un mieux vivre collectif. L’idéologie est prise parfois à contre-pied dans ce jeu d’intérêts nationaux croisés. Derrière chacune des consultations électorales en Amérique latine, se profile ainsi une adhésion à l’un ou l’autre des blocs de la nouvelle guerre froide.

Vladimir Poutine, le président russe, et Cristina Kirchner, chef de l’Etat argentin sortant, ont intégré leurs coopérations renforcées, leurs positionnements internationaux, dans l’enjeu de la consultation du 25 octobre. Les deux mandataires ont symboliquement, à cinq jours du vote, mis en scène, en vidéoconférence, largement diffusée par Russia today et Televisión digital abierta, leurs 130 ans de relations diplomatiques. Les messages ont été d’une grande clarté.

Le président russe a explicitement fait référence à l’élection du 25 octobre, exprimant son souhait que « la nouvelle équipe de gouvernement poursuive et renforce le rapprochement avec la Russie (…) ». Il a également renouvelé sa solidarité avec l’Argentine qui affronte « les fonds spéculatifs faisant appel aux tribunaux nord-américains ». « La Russie et l’Argentine », a-t-il poursuivi, « collaborent de façon étroite aux Nations Unies et au sein du G-20 ». « Dans ces enceintes nous sommes les avocats des principes fondamentaux du droit international, de la souveraineté nationale, de la non-ingérence, et de l’inadmissibilité du terrorisme international ». « La Russie appuie la proposition argentine, présentée devant l’ONU, relative à la restructuration des dette souveraines ».

Cristina Kirchner, son homologue argentine, a mis en valeur la coopération entre la Russie et l’Argentine, « modèle pour le monde, qui jusque-là a été forcé d’accepter de choisir entre subordination ou écrasement ». « C’est aujourd’hui terminé. La subordination relève du passé. Nous sommes dans l’ère de la coopération et de l’association. Nous allons approfondir notre intégration avec la Russie ». « L’Argentine remercie la Russie pour son appui à sa proposition concernant le règlement des dettes souveraines ».

La commémoration de 130 années de coopération bilatérale entre Argentine et Russie est peut-être insolite. Mais elle n’a rien d’incongru. Les dynamiques de recomposition du monde redistribuent les cartes, toutes les cartes. L’économie et le commerce occupent sans doute une place centrale. Mais la mondialisation des échanges mobilise en dominos bien d’autres facteurs, diplomatiques et d’influence. L’Argentine, et au-delà l’Amérique latine, participe de façon de plus en plus active à ces redéfinitions.

Avec la fin de la guerre froide, la forte demande chinoise en produits primaires, l’Argentine, et la majorité de ses voisins, ont acquis une autonomie internationale inédite. Cette autonomie est aujourd’hui érodée par le repli économique chinois. Les Etats-Unis n’interviennent plus militairement dans leur ancienne « arrière-cour ». Mais ils encouragent à la faveur de la crise économique, les opposants aux gouvernements souverainistes d’Argentine au Venezuela en passant par le Brésil et l’Equateur. Les responsables de ces pays en quête de relais commerciaux comme diplomatiques, ont trouvé des interlocuteurs attentifs, en Iran, en Turquie et en Russie.

La Russie est aux prises avec un ensemble Etats-Unis-OTAN-Union européenne qui a gagné en cohérence depuis la crise irakienne de 2002-2003. Les étapes suivantes, Géorgie, Ukraine et Crimée, Libye, et Syrie l’ont incitée à réviser son identité internationale. Cette contrainte l’a de façon logique conduit à chercher des appuis extérieurs. Qu’elle a trouvé en Amérique latine. Jusqu’à la crise de Géorgie, l’Amérique latine était un terrain secondaire, de diplomatie économique. Depuis, des ponts de toute nature ont été fabriqués, bilatéraux comme multilatéraux.

Les visites se sont accélérées et ont pris un tour nouveau en juillet 2014 avec la visite effectuée par le président Poutine an Argentine, au Brésil et à Cuba. La quasi-totalité des chefs d’Etat latino-américains ont rencontré le président russe à Saint-Petersbourg pour le Brésil (dans le cadre BRIC), à Vladivostock pour ceux membre du Forum APEC, ou à Buenos Aires et Moscou dans le cas de Cristina Kirchner. Le commerce est bien entendu à l’heure des sanctions occidentales au cœur de la relation. Mais la diplomatie n’est pas oubliée. L’Argentine a soutenu la position russe sur le dossier de la Crimée. La Russie soutient la revendication argentine sur les Malouines. Les coopérations militaires ont suivi. L’Argentine après le Brésil, Cuba, le Nicaragua, le Pérou, le Venezuela, a signé divers accords avec Moscou. Accords d’achat d’armements (hélicoptères et brise-glaces), comme de réalisation d’exercices conjoints.
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