ANALYSES

Visite d’État de Li Keqiang en France : les relations franco-chinoises sont-elles équitables ?

Interview
1 juillet 2015
Le point de vue de Jean-Vincent Brisset
Le Premier ministre chinois Li Keqiang est arrivé en France pour une visite d’État de trois jours le mardi 30 juin 2015. Quelles ont été les relations franco-chinoises jusqu’alors et comment peut-on les qualifier aujourd’hui ?
C’est une question intéressante car la vision en France des relations franco-chinoises est souvent déconnectée des réalités. Premièrement, beaucoup de Français sont persuadés que la France fut le premier pays occidental à reconnaitre la Chine de Mao Zedong. Cela n’est pas exact. La Grande-Bretagne a reconnu la Chine Populaire en 1950, et d’autres pays européens l’avaient suivie. La France, quant à elle, ne l’a reconnue qu’en 1964. Ensuite, les Français s’imaginent – et jusqu’au plus haut niveau des gouvernants – que cette soi-disant reconnaissance de la France en premier lui offre depuis toujours un avantage sur le marché chinois. Là encore, c’est faux. Les Chinois n’envisagent les Français comme fournisseurs et partenaires commerciaux que lorsqu’ils sont les meilleurs dans un domaine ou dans la négociation. Enfin, des problèmes ont envenimé les relations entre la Chine et la France pendant longtemps et continue encore aujourd’hui à le faire. On peut citer la vente d’armements à Taïwan à l’époque de François Mitterrand ou encore les réactions à la répression de Tien An Men où la France avait été très en pointe sur le sujet avec la mise en place d’un embargo sur les ventes d’armes. Ce dernier est toujours en vigueur à l’heure actuelle et nous est systématiquement reproché par les Chinois alors que la France le contourne régulièrement.
Les relations franco-chinoises ont toujours connu des hauts et des bas. Plus récemment, on se souvient de l’épisode de la flamme olympique traversant Paris où une athlète chinoise s’était fait agresser, ou bien des revirements de Nicolas Sarkozy ayant décidé de boycotter puis de se rendre à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin. Par ailleurs, les entreprises françaises subissent régulièrement des décisions de boycotts de la part d’entreprises chinoises. On est donc face à une manipulation, avec du côté français un rapport un peu idéalisé avec la Chine, et du côté chinois un rapport absolument pragmatique avec l’utilisation de méthodes parfois assez dures.

Pas moins de 53 accords étatiques, commerciaux et industriels entre les deux puissances devraient être signés lors de cette visite. Peut-on les considérer comme un succès pour la France ? Est-ce inédit ?
La quantité d’accords annoncée est probablement inédite. Néanmoins, il faut être bien attentif à leur contenu. Très souvent, ces accords avec la Chine soit demeurent lettre morte, soit ne sont pas tellement bénéficiaires pour la France, soit sont des accords qui ont déjà été signés avec d’autres pays. Par exemple, concernant la vente d’Airbus, certains médias belges ont attribué le mérite de la signature du contrat à la visite royale en Chine. Par conséquent, la signature de nombreux accords avec la Chine est à relativiser. Il est vrai que des Airbus sont vendus mais les conditions de vente attachées à ces contrats ne sont pas toujours favorables et incluent parfois le rachat d’un certain nombre d’appareils. Il y a également des marchés comme les premiers marchés Citroën ou encore ceux des centrales nucléaires qui sont franchement déficitaires. Il y a aussi, et c’est très grave, des accords comprenant des transferts de technologie qui, pour un bénéfice à court terme, sont désastreux à long terme. Cependant, il faut souligner qu’il y a aussi – mais pas forcément plus qu’auparavant – des accords équilibrés avec la Chine, bénéficiaires pour les deux partenaires et débouchant sur la conquête de vrais marchés.

Quelle est aujourd’hui la vision que les dirigeants ont de la Chine ?
Je considère qu’il existe à l’heure actuelle un problème récurrent – qui n’est pas toujours très visible depuis l’Occident – qui est celui de la perception que la Chine a d’elle-même, de sa transformation et de sa modernité. D’un côté, on trouve un certain nombre de dirigeants tout à fait ouverts qui souhaiteraient faire de la Chine un pays normal, c’est-à-dire capable de parler aux autres pays autrement qu’en termes de contrefaçons, de punitions ou de conquêtes de territoires. Et d’un autre côté, il y a des dirigeants nationalistes durs et purs qui voudraient que la Chine redevienne un Empire devant lequel tout le monde se prosterne. Ces deux clans continuent à se battre et Xi Jinping se trouve obligé de recourir à un certain nombre de mesures de lutte contre la corruption et à des manifestations nationalistes, aussi bien vis-à-vis du Japon qu’en mer de Chine du Sud. C’est bien la preuve qu’il rencontre des problèmes de gouvernance et cherche à ressouder son pays derrière lui en utilisant des méthodes qui marchent très bien avec son opinion publique.
Le conflit est donc toujours présent entre les pragmatiques qui veulent faire de la Chine un pays normal et ceux qui veulent que la Chine redeviennent l’Empire du Milieu, celui qui ne se laisse pas imposer des règles communément admises dans le reste du monde. A ce stade, il est difficile de savoir quelle vision l’emportera.
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