ANALYSES

Sommet UE-Celac : un multilatéralisme mis à mal au profit de relations bilatérales

Interview
16 juin 2015
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky
Le deuxième sommet Union européenne (UE) – Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac) a eu lieu les 10 et 11 juin 2015. Les avis sont divergents quant au succès de ce sommet et aux engagements pris par les deux entités. Qu’en est-il ?
On peut difficilement être déçu par ce genre de sommet puisqu’en règle générale, il ne s’y passe pas grand-chose. Il y a effectivement eu un certain nombre de thèmes qui ont été évoqués et qui sont plutôt consensuels, à l’instar des déclarations non contraignantes sur la nécessité de lutter contre le changement climatique. L’Union européenne s’est également engagée à aider les pays latino-américains à combattre la rouille du café et les sous-équipements sanitaires dans les zones péri-urbaines. Sur les dossiers politiques, un soutien européen aux négociations entre la Colombie et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et la normalisation des relations entre les États-Unis et Cuba ont été évoqués. Néanmoins, ce type de grands rendez-vous internationaux comme le G7, le G8 ou encore le G20 débouche rarement sur de grandes avancées concrètes. De plus, on remarque que tous les chefs d’État européens ont assisté à ce sommet, alors que du côté latino-américain, quatorze chefs d’États s’étaient fait représenter par des ministres, voire des ambassadeurs, et une délégation n’a même pas envoyé de représentant. Par exemple, n’étaient pas présents les présidents de Cuba, de la République dominicaine, du Salvador, du Guatemala, du Nicaragua, de l’Uruguay, du Venezuela, ainsi que la présidente de l’Argentine.
Cela est assez révélateur des rapports nouveaux qui existent depuis quelques années entre les Européens et les Latino-américains. Au mois de décembre 2014, l’Espagne en avait déjà fait l’expérience puisqu’à l’occasion d’une conférence ibéro-américaine, de très nombreux chefs d’État latino-américains n’avaient pas fait le déplacement.

En tant que premier partenaire commercial de l’Amérique latine, l’UE a-t-elle les moyens de faire face à la concurrence des pays asiatiques et notamment celle de la Chine ? Selon vous, a-t-elle l’ambition de rester un partenaire de premier ordre ?
Tout cela est très relatif. La Chine représente un État, un gouvernement, alors que l’Union européenne désigne un ensemble de vingt-huit États qui sont plutôt en situation de concurrence en matière commerciale ou d’investissements, que ce soit en Amérique latine ou ailleurs. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce sommet a donné l’occasion à plusieurs chefs d’État latino-américains de visiter un certain nombre de pays européens et de négocier des accords bilatéraux très concrets. A titre d’exemple, le président mexicain Enrique Peña Nieto, pays latino-américain membre du G20, a profité du sommet de Bruxelles pour faire un détour par Berlin. A cette occasion, il a mis en place avec l’Allemagne une grande commission bilatérale qui traitera, au sein de groupes de travail particuliers, de questions aussi importantes que le commerce, l’économie, les investissements, la culture, la formation notamment professionnelle, ou encore la défense de l’environnement. Il s’est également rendu en Italie. La présidente du Chili, quant à elle, a fait un détour par Paris pour signer des accords bilatéraux avec la France, tout comme le président du Costa Rica. Le président du Paraguay en a fait de même avec le gouvernement espagnol. Par conséquent, on se rend compte que pour les pays latino-américains, ces sommets européens sont finalement l’occasion de nouer des liens commerciaux en bilatéral avec leurs homologues du vieux continent. Mais la situation la plus paradoxale est celle de la présidente de l’Argentine, Cristina Fernández de Kirchner, qui était en Europe lors du sommet sans toutefois y participer. Elle s’est arrêtée à Rome pour signer des accords et pour rendre visite au Pape.
Le constat que l’on peut dresser est que ces rencontres entre l’Union européenne et l’Amérique latine sont en quelque sorte traités par les Latino-américains comme les prises de fonction présidentielle en Amérique latine. C’est pour eux une occasion de rencontrer leurs homologues et à cet égard, l’UE fait plutôt office d’espace d’accueil permettant à divers contacts bilatéraux de se concrétiser. Malgré tout, il y a eu pour la Colombie et pour le Pérou une évolution intéressante au cours de ce sommet. Ces deux pays ont négocié de leur côté, indépendamment de leurs homologues latino-américains, la possibilité de faire entrer leurs ressortissants sur le territoire des pays membres des accords de Schengen sans visa.

L’UE souhaite moderniser ses relations avec Cuba et les deux parties souhaitent trouver un accord sur ce point avant la fin de l’année 2015. Sur quoi portent les négociations ? Ont-elles une chance d’aboutir ?
Les Européens auraient souhaité parler du Venezuela pour émettre un communiqué signalant la nécessité pour ce pays d’être plus respectueux des libertés et de la démocratie. Sur ce point, les Latino-américains ont fait bloc. Ils se sont opposés à ce souhait européen de montrer du doigt le Venezuela. Le communiqué final du sommet va même en sens inverse de ce que souhaitait l’UE. Il prend note de la position des dirigeants latino-américains telle qu’elle a été exprimée dans une série de communiqués depuis le début de l’année, condamnant systématiquement les ingérences extérieures dans les affaires du Venezuela.
Par ailleurs, les Européens, comme le souhaitaient les pays latino-américains, se sont félicités du rapprochement entre les États-Unis et Cuba depuis le 17 décembre dernier. Ils ont à cette occasion rappelé le souhait pour l’UE de revenir sur le conditionnement de la coopération entre l’UE et La Havane, liée depuis 1996 à une évolution de Cuba en matière de droits et de libertés. Des négociations sont actuellement en cours sur ce sujet avec les autorités cubaines.
Pour le reste, la position des Européens reste inchangée. La quasi-totalité des pays européens ont déjà des relations bilatérales tout à fait normales avec Cuba depuis plusieurs années, y compris l’Espagne qui avait été en 1996 à l’origine de ce conditionnement de la coopération européenne avec l’île. Malgré cette initiative, Madrid avait continué à être le premier investisseur européen à Cuba et à entretenir des relations normales avec la Havane. Ces règles de conditionnement de la coopération européenne sont actuellement en cours de réactualisation afin d’adopter, en tant qu’entité, la même démarche et position que les États-Unis. Il faut donc bien distinguer ce qui est bilatéral de ce qui est du ressort de la coopération européenne, cette dernière étant relativement secondaire dans cet ensemble.
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