ANALYSES

Visite de François Hollande à Cuba : pour quelle stratégie diplomatique ?

Interview
11 mai 2015
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky
Ce lundi 11 mai 2015, François Hollande est en visite officielle à Cuba. Il est le premier président français depuis l’indépendance de l’île en 1898 à s’y rendre. Comment cela s’explique-t-il ?
Cuba est un petit pays. Indépendamment de son régime politique, Cuba a toujours été très proche des États-Unis, qui historiquement ont interféré dans sa vie intérieure. La France n’a jamais voulu se mêler des affaires cubaines avant que cela ne soit possible, que n’apparaisse une fenêtre d’opportunité. Cette occasion de rapprochement est apparue avec la fin de la division du monde entre l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et les États-Unis, qui a permis une réinsertion de Cuba dans son environnement régional et d’une manière générale, dans le monde.
En 1993, peu de temps après la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS, la France a décidé de voter à l’Assemblée générale des Nations unies en faveur de la résolution qui condamne l’embargo des États-Unis. En 1995, la France, a reçu Fidel Castro. Depuis lors, les relations entre la France et Cuba se sont densifiées et beaucoup de visites ministérielles ont eu lieu. La visite de François Hollande consacre la normalité des relations entre la France et Cuba à un moment où elles pourraient être bousculées par l’irruption, en matière économique et culturelle, des États-Unis. En effet, les deux présidents – cubain et américain – ont décidé le 17 décembre 2014 de normaliser leurs relations, suspendues depuis 1962.

François Hollande et son homologue cubain, Raul Castro, discuteront du développement de liens économiques entre leurs deux pays. Cela se fera-t-il au détriment de la question des droits de l’Homme ? Quelle est la nature actuelle des liens économiques entre les deux pays ? La France peut-elle passer outre la réalité des droits de l’Homme à Cuba ?
Je ne sais pas si la visite du président français se fera « au détriment » de la question des droits de l’Homme. Je n’ai en tous les cas rien lu de tel venant de la part de la présidence de la République française. C’est un commentaire qui a été fait par des associations proches des milieux dissidents, par des associations de droits de l’Homme ou encore des organisations d’opposants au régime cubain. La question des droits et libertés avait gravement perturbé les relations de la France avec la Colombie puis le Mexique, au cours de la mandature de Nicolas Sarkozy. Une nouvelle approche a été mise en application par François Hollande. Elle vise à parler des droits de l’Homme de façon discrète, en tête à tête, et sans tapage médiatique. Cette méthode a permis la libération d’une française incarcérée au Mexique pour un délit de droit commun qui avait provoqué la quasi suspension des relations ministérielles entre ces deux pays. C’est une méthode qui est évidemment beaucoup moins bruyante et médiatique que celle qui été appliquée précédemment. Mais elle a le mérite de ne pas affecter l’ensemble des relations bilatérales. Un chef d’État, doit défendre au mieux la globalité des intérêts nationaux. François Hollande pour préserver les intérêts culturels et économiques de la France à Cuba, comme ailleurs dans le monde, a donc choisi de ne pas faire de déclaration publique spectaculaire sur les droits de l’Homme. Mais il en sera néanmoins question à l’occasion de son dîner de tête avec le président Raúl Castro.
Concernant les relations économiques, la préoccupation française est de préserver les positions acquises par les entreprises françaises à Cuba avant le déferlement prévisible des entreprises nord-américaines. Barack Obama a en effet ouvert le 17 décembre 2014 la voie à une normalisation sans condition avec Cuba. Il a mis entre parenthèses ce qui était exigé jusqu’à aujourd’hui par les États-Unis, le changement de régime, plus de libertés et de démocratie avant de normaliser les relations avec Cuba. Le président américain a considéré que cette politique d’isolement et de sanctions n’avait eu aucun effet et avait eu plutôt comme conséquence d’isoler les États-Unis sur le sous-continent latino-américain. Barack Obama a opté pour une autre stratégie. Elle prendra certainement du temps, compte-tenu des résistances du parlement. Mais le jour où elle arrivera à maturation, il est évident que les entreprises nord-américaines seront très bien placées pour prendre des parts de marché aux entreprises françaises, européennes, chinoises, colombiennes, mexicaines ou encore canadiennes, qui sont pour l’instant présentes à Cuba sans véritable concurrence venue des États-Unis.

Selon vous, ce rapprochement avec Cuba s’inscrit-il dans une stratégie plus large de renforcement de la présence française dans les Caraïbes voire en Amérique Latine ?
Tout le monde a les yeux fixés sur Cuba puisque c’est la première fois qu’un président français y effectue une visite officielle mais aussi en raison du caractère particulier du régime cubain. Pourtant, cette visite de François Hollande s’inscrit dans une stratégie caribéenne, régionale : après Cuba, le président se rendra en Haïti et avant Cuba, il avait réuni les chefs d’États de la région en Martinique, pour une conférence sur le changement climatique et ses incidences dans les grandes et petites Antilles. C’est une stratégie qui est en cohérence avec la diplomatie économique qu’il a mise en place depuis 2012. Elle concerne tous les continents. En Amérique latine, François Hollande a effectué des déplacements au Mexique et au Brésil. Le ministre des Affaires étrangères a visité un grand nombre de pays d’Amérique latine, tout comme le secrétaire d’État au Commerce extérieur ainsi que d’autres ministres. Marisol Touraine, ministre de la Santé, était d’ailleurs à Cuba avant l’arrivée du président Hollande. Ce voyage s’inscrit donc dans une cohérence continentale. Elle vise à assurer une présence économique et culturelle française plus forte, afin de donner à la France des fenêtres extérieures de sortie de crise.
Cuba présente par ailleurs un double intérêt pour la France. L’un est économique, l’autre est d’influence. Nul doute que ces deux considérations sont entrées dans le scénario ayant justifié cette visite.
L’intérêt économique va bien au-delà du modeste marché cubain, qui représente à peine onze millions de consommateurs. L’intérêt économique de Cuba vient de sa situation géographique. L’’île, est une sorte de « porte-avions » entre l’Amérique du Nord, les Amériques du Sud et Centrale, face au Canal de Panama, en phase d’élargissement. Cette position stratégique en fait un lieu privilégié pour développer le commerce maritime et des plateformes d’échanges en matière aérienne pour le tourisme. Un grand port de redistribution de conteneurs est actuellement en construction à Mariel près de La Havane, avec le soutien du Brésil. D’un point de vue économique, c’est dans ces domaines que la France entend se placer sans pour autant négliger quelques grands contrats potentiels.
Concernant l’influence, Cuba symbolise la résistance d’un petit pays face à un géant, les États-Unis. Les frères Castro ont une image positive auprès de leurs homologues latino-américains et caribéens. Il y a quelques mois, Cuba, du fait de cette image a pu présider la Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbes (Celac). Cuba par ailleurs joue actuellement un rôle dans la recherche de la paix en Colombie. Rendre visite au chef d’État cubain, c’est prendre en compte aussi cette réalité et ce rayonnement.
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