ANALYSES

L’affaire Snowden : une rupture stratégique ?

Tribune
15 décembre 2014
Par Quentin Michaud, journaliste à Opérationnels

Alors que les affaires impliquant les services de renseignement –et plus particulièrement les services américains- se multiplient, émerge une réflexion des opinions publiques sur le pouvoir à conférer aux services. Or l’affaire Snowden est indéniablement la plus emblématique de ces dernières au regard de ce qu’elle a dévoilé sur les pratiques de la NSA et des agences de renseignement américaines. Quentin Michaud est journaliste à Opérationnels. Il répond à nos questions à l’occasion de la sortie de son ouvrage, co-écrit avec Olivier Kempf, L’affaire Edward Snowden, une rupture stratégique (Éd. Economica).


Qu’est-ce que l’affaire Snowden ?


Edward Snowden était jusqu’au mois de juin 2013 un sous-traitant comme un autre, qui travaillait pour le compte de la NSA (l’un des services de renseignement américain, spécialisé dans l’obtention de renseignements d’origine électromagnétique). Il était en poste à Hawaï lorsqu’il a simulé, peu avant cette date, une crise d’épilepsie nécessitant une période de repos, avant de prendre la fuite en direction de Hong-Kong. Depuis plusieurs mois, il copiait en effet des documents internes classifiés et confidentiels, en franchissant diverses passerelles informatiques, en vue de dénoncer les captations massives de données opérées par l’agence américaine.


Quels ont été les leviers d’action d’Edward Snowden ?


Edward Snowden a établi une stratégie très simple, reposant sur le soutien de Glenn Greenwald et de Laura Poitras (deux journalistes américains). Leur objectif sur le long terme était que l’ensemble de la presse mondiale diffuse les documents de la NSA obtenus par Snowden. Dans un premier temps, les journalistes révélèrent l’existence du programme PRISM – un programme américain de surveillance électronique visant notamment à obtenir du renseignement via Internet. S’ensuivit la publication d’un ensemble de programmes, sous-programmes et de données dans la presse américaine, britannique, brésilienne, allemande ou encore française, qui permit de dresser un tableau complet des activités d’espionnage de la NSA.
Edward Snowden n’a pas répété les erreurs des précédents lanceurs d’alerte. Julian Assange avait lui privilégié un seul canal de diffusion, Wikileaks, pour diffuser des télégrammes diplomatiques secrets. Snowden a, pour sa part, utilisé des canaux de diffusion déjà existants, à savoir les journaux américains principalement, afin de publier des documents compromettant pour la NSA. Dans le cas Snowden, la presse n’est plus seulement un démultiplicateur de visibilité, elle devient le pilier de ce scandale.


Ce scandale a-t-il eu de réels impacts ?


Les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et plusieurs pays (Brésil, Allemagne) ont été immédiatement sévèrement entachées par ce scandale et se sont dégradées. Et pour cause, la chancelière allemande Angela Merkel a notamment appris, à travers la publication des documents fournis par Edward Snowden, qu’elle avait été mise sur écoute par la NSA.
D’un point de vue politique, Barack Obama a été affaibli par ces révélations aussi bien sur le plan intérieur qu’extérieur. Au Congrès, la fronde est montée de manière très progressive. Aujourd’hui, un vrai débat de fond agite les parlementaires américains, qui souhaitent faire adopter une réforme de grande ampleur de la surveillance des communications. Sur le plan extérieur, alors que la politique étrangère du président américain faisait déjà l’objet de nombreuses critiques sur d’autres sujets, l’affaire Snowden a un peu plus décrédibilisé la voix américaine dans le domaine informatique ou des télécommunications. Ces mêmes domaines d’activité, qui constituent le fer de lance d’une partie de la Sillicon Valley, souffrent désormais d’une image durablement écornée. Cette autre conséquence que constitue la guerre économique dans laquelle sont engagés les Etats-Unis avec le reste du monde sera certainement l’effet de l’affaire Snowden le plus persistant. A titre d’exemple, Microsoft a dû établir un centre de transparence à Bruxelles afin d’ouvrir son code source à des vérifications permettant de s’assurer que ce dernier ne comporte pas de malwares ou de backdoors. Ce devoir de transparence suffira-t-il aux Etats-Unis pour conserver leurs parts de marché dans le secteur informatique face à l’accroissement de la puissance des entreprises asiatiques, en particulier chinoises ?


Faut-il alors percevoir Edward Snowden comme un héros ou comme un traître ?


Libre à chacun de penser ce qu’il veut. D’une part, Edward Snowden a bouleversé la position des opinions publiques sur la défense des libertés individuelles. D’autre part, il a trahi de façon inédite son engagement à garder le secret sur ses activités pour le compte du gouvernement et a mis en exergue les capacités de renseignement technique (notamment SIGINT) des services américains, informant de ce fait leurs adversaires (services de renseignement ennemis, groupes terroristes en lutte contre les Etats-Unis).
L’idée de cet ouvrage est en tout cas de nourrir le débat provoqué par l’affaire Snowden. Les questions liées à la collecte, à l’exploitation et à la protection des données numériques seront de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que la vie numérique influencera la vie sociale des humains. Ce débat de fond, qui s’est aujourd’hui installé de manière durable dans le monde entier, ne fait certainement que débuter.


Ce livre marque donc la fin de l’affaire Snowden ?


Edward Snowden est devenu une icône internationale, qui intervient régulièrement en faveur de la défense des données des internautes. Les révélations en elles-mêmes ne peuvent évidemment pas se poursuivre ad vitam aeternam ; l’affaire Snowden repose donc sur ce débat essentiel que notre ouvrage, co-écrit avec Olivier Kempf, nourrit à travers une réflexion cyberstratégique. En France, il est absolument vital que l’opinion se saisisse de ce sujet de controverse comprenant, sans faire d’amalgame, les enjeux à la fois de la protection des données numériques et de la nécessité pour les États de disposer de services de renseignements techniques mettant en œuvre des outils de collecte chaque jour plus puissants.

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