ANALYSES

Victoire des Républicains lors des « midterms » : Obama deviendra-t-il un président « lame duck » en matière de politique étrangère ?

Tribune
14 novembre 2014
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Les démocrates ont subi une défaite lors des élections de mi-mandat le 4 novembre dernier, permettant aux républicains de reconquérir la majorité au Sénat – qu’ils avaient perdue en 2006 – et de renforcer leur emprise sur la Chambre des représentants. L’une des questions principales, qui se pose alors, est de savoir dans quelle mesure la politique étrangère du président Obama sera influencée par un Congrès majoritairement républicain. Considérée comme l’un des dossiers forts du président démocrate lors de la campagne présidentielle de 2012, sa politique étrangère ne recueille aujourd’huique 41% d’approbation, contre un taux de désapprobation de 53% [1]. Le problème tient au fait qu’un Américain sur deux reproche au président Obama son manque de « fermeté » en politique étrangère et le tient responsable du déclin supposé de la puissance américaine sur la scène internationale [2].

Même si des présidents tels que George W. Bush, Bill Clinton, George H. W. Bush et Ronald Reagan ont dû composer avec un Congrès au sein duquel leur parti était minoritaire, le risque d’obstruction de la part d’un Congrès républicain à toute proposition faite par le président Obama semble être encore plus probable qu’il ne l’était ces dernières années. On se souvient, par exemple, des tensions entre la Maison Blanche et le Congrès à propos de la réforme du système social proposée par Obama, du relèvement du plafond de la dette ou encore de l’épisode qui a abouti au shutdown [3] en 2013. L’une des raisons principales de cette polarisation est le durcissement du Parti républicain, qui a fait suite à l’apparition en 2009 des ultra-conservateurs du Tea Party [4] et leur entrée au Congrès suite aux élections de mi-mandat de 2010, ceux-ci revendiquant alors « moins d’Etat, moins de taxes et moins de dette publique », ainsi que l’abrogation de l’Obamacare [5].

Iran, Russie, Etat islamique : vers une inflexion de la politique étrangère américaine ?

Les désaccords entre républicains et démocrates en matière de politique étrangère semblent également être particulièrement aigus. C’est le cas au moins pour trois dossiers importants sur lesquels les républicains, généralement partisans d’une politique étrangère plus affirmée, pourraient tenter de forcer le président Obama à changer de stratégie : l’Iran, la Russie et l’Etat islamique.

Iran

Le 24 novembre prochain, date butoir fixée lors de la dernière réunion sur le programme nucléaire iranien qui s’est déroulée à Vienne, les négociations poursuivies avec l’Iran dans le cadre du groupe P5+1 pourraient ne pas aboutir à un accord garantissant que ce programme soit exclusivement destiné à des fins civiles et allégeant en contrepartie les sanctions internationales qui pèsent sur le pays. Dans ce cas, les républicains pourraient opter non seulement pour le renouvellement des sanctions, mais aussi pour leur renforcement comme l’a affirmé Mitch McConnel, le probable futur leader de la majorité républicaine au Sénat [6], complexifiant de ce fait un peu plus la situation.

Russie

Les sanctions économiques contre la Russie – en raison de son rôle dans la crise ukrainienne et de l’annexion de la Crimée – pourraient être elles-aussi renforcées. En effet, l’Ukraine Freedom Support Act, un projet de loi adopté à l’unanimité par le Foreign Relations Committee du Sénat le 18 septembre 2014, visant à la mise en place d’une série de sanctions à l’égard de la Russie dans les secteurs de la défense, de l’énergie et des finances, ainsi qu’une augmentation de l’aide militaire et non-militaire en direction de l’Ukraine, pourrait être voté sans difficulté par un Congrès républicain. Cela contribuerait certainement à tendre, et même à bloquer, les relations entre les Etats-Unis et la Russie.

Etat islamique

En ce qui concerne la décision d’Obama d’engager des attaques aériennes contre l’Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie, les républicains sont divisés. Il y a, d’un côté, les « faucons » comme les sénateurs John McCain et Mitch Mc Connel, qui sont partisans d’une stratégie plus « musclée » basée sur une intensification des frappes aériennes et surtout sur un déploiement de troupes américaines sur le terrain dans les deux pays et, de l’autre, les non-interventionnistes comme le sénateur Rand Paul, candidat potentiel aux primaires républicaines pour la présidentielle de 2016, qui considèrent que toute nouvelle intervention au Moyen-Orient présenterait trop de risques pour la sécurité américaine [7].

Autres dossiers

En dehors de ces trois crises, d’autres dossiers de politique étrangère sont aussi susceptibles d’évoluer avec une majorité républicaine au Sénat. C’est notamment le cas du dossier sur la Chine, à l’égard de laquelle les républicains préconisent une politique plus ferme qui pourrait avoir un impact négatif sur les relations entre les deux pays, d’autant plus que Pékin se montre déjà très méfiant par rapport à la stratégie du « pivot vers l’Asie [8] » adoptée par l’Administration Obama en 2012- vue comme une nouvelle stratégie de « containment » par certains membres du gouvernement chinois.

En revanche, les dossiers relatifs aux négociations commerciales concernant le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) et le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) pourraient avancer plus vite. Un Congrès contrôlé par les républicains, traditionnellement plus ouverts au libre-échange que les démocrates, pourrait voter le Trade Promotion Authority (TPA, ce qui correspondait auparavant à ce que l’on appelait le fast-track). Cette procédure permet au président Obama de négocier plus facilement ces accords commerciaux, une fois le cadre de négociations défini par le Congrès, et ensuite de présenter l’accord final au Congrès que ce dernier doit adopter sans amendements.

Les limites de l’influence du Congrès républicain sur la politique étrangère de la Maison-Blanche

Toutefois, l’influence du Congrès républicain sur la politique étrangère d’Obama a aussi ses limites car comme le rappelle James Lindsay, le vice-président du Council on Foreign Relations, « il est beaucoup plus facile pour le Congrès de réduire le champ d’action des Présidents en matière de politique étrangère que de les pousser vers une action [9] ». Ainsi, pour contourner le Congrès sur les dossiers de politique étrangère, Barack Obama pourrait recourir à des executive orders, à savoir des décrets présidentiels, qui ne sont pas soumis à l’approbation du Sénat. Le président dispose également d’un droit de veto en la matière, qui peut tout de même être écarté par un vote des deux tiers au sein des deux chambres du Congrès. Cependant, les républicains ne disposent pas à eux seuls d’une telle majorité.

A titre d’exemple, il est possible qu’en cas d’échec des négociations sur le nucléaire iranien le 24 novembre prochain, le président préfère signer un décret présidentiel afin de garantir les sanctions économiques contre l’Iran en cours et empêcher ainsi le Congrès républicain de voter un durcissement de ces sanctions. Ou alors, si le Congrès décide d’une politique plus ferme sur le dossier iranien, Obama pourrait apposer son veto. De même, un autre dossier sur lequel le président essaiera très probablement de contourner le Congrès est celui concernant l’élaboration d’un traité international sur le changement climatique dont la signature est prévue en 2015 lors du Sommet des Nations unies à Paris.

Toutefois, avancer par décrets ou en recourant à son pouvoir de veto serait une stratégie politiquement très risquée pour le président Obama car elle déclencherait certainement une bataille politique intense entre le Président et le Congrès, qui ne bénéficierait ni aux démocrates ni aux républicains, en particulier en perspective de la présidentielle de 2016. Il est donc plus probable que le président opte pour une politique de dialogue avec les républicains comme il l’a affirmé lui-même lors d’une conférence de presse après l’annonce des résultats des midterms : « J’entends travailler avec le nouveau Congrès afin que les deux prochaines années soient les plus productives possibles. Mon obligation consiste à juger les idées non pas parce qu’elles proviennent des démocrates ou des républicains, mais en fonction de leur efficacité pour le peuple américain [10] ».

Il reste à voir si, dans les mois à venir, « le gouvernement divisé [11] » (divided government) entre le président démocrate et le congrès républicain sera réellement productif sur ces dossiers de politique étrangère. L’expérience passée (entre 2010 et 2014) entre le Congrès et la présidence Obama amène à être assez pessimiste de ce point de vue. Le risque pour le président de se retrouver dans une situation de lame duck (canard boiteux), à savoir une situation dans laquelle il ne pourrait faire passer aucune proposition de loi sans se heurter au blocage du Congrès, est tout à fait réel. Même si le président dispose de certains pouvoirs, qui lui sont propres, en matière de politique étrangère, comme nous l’avons vu, il n’osera probablement pas y recourir sachant que toute décision jugée impopulaire en la matière pourrait porter préjudice au camp démocrate lors de la présidentielle de 2016.

[1] “Public Sees US Power Declining As Support for Global Engagement Slips”, Pew Research Center, 3 décembre 2013.
[2] Idem.
[3] Il s’agit de la fermeture temporaire des services publics suite au rejet du budget fédéral de 2014 par les républicains au sein du Congrès, et en particulier par les élus du Tea Party, refusant d’accepter la baisse prévue dans les dépenses militaires, et surtout le financement consacré à la mise en place de l’Obamacare.
[4] Le nom « Tea Party » est un acronyme qui signifie « Taxed Enough Already » (déjà suffisamment taxés). Il s’agit d’un mouvement populiste très hétéroclite regroupant différents groupes de conservateurs ayant des points de vue divergents, notamment en matière de politique étrangère où les positions vont des néo-isolationnistes (Ron Paul) jusqu’aux nationalistes Jacksoniens (Sarah Palin, Bill O’Reilly). Voir Walter Russel Mead, « The Tea Party and American Foreign Policy », Foreign Affairs, mars/avril, 2011.
[5] « Obamacare » est le surnom de la Loi sur la protection des patients et des soins abordables votée par le Congrès américain en 2010.
[6] David Drucker, “McConnel : GOP Senate Would Vote on Iran Sanctions Bill”, The Washington Examiner, 2 novembre 2014.
[7] Sebastian Payne & Robert Costa, “Rise of Islamic State Tests GOP Anti-interventionists”, The Washington Post, 3 septembre 2014.
[8] La stratégie du “pivot vers l’Asie” (US pivot to Asia) a été officiellement annoncée dans le dernier Guide stratégique du Pentagone publié en janvier 2012. Cette stratégie, provoquée par l’ascension économique et surtout militaire de la Chine, prévoit un redéploiement progressif des forces américaines actuellement déployées en Europe et au Moyen-Orient vers le Pacifique. Voir : “Sustaining U.S. Global leadership : Priorities for 21st Century Defense”, Department of Defense, 3 janvier 2012.
[9] Interview accordée par James Lindsay, “Foreign Policy and a New Congress”, Council on Foreign Relations, 31 octobre 2014.
[10] “Transcript : President Obama’s Nov. 5 news conference on midterm election results”, The Washington Post, 5 novembre 2014.
[11] David R. Mayhew, Divided We Govern : Party Control, Lawmaking and Investigations, 1946-1990, New Haven, Yale University Press, 1991.
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