ANALYSES

Le Maroc évincé de sa Coupe d’Afrique des Nations

Tribune
13 novembre 2014

Désigné pays hôte de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) en janvier 2011, le Maroc s’en est vu retirer l’organisation par le Comité exécutif de la Confédération africaine de football (CAF), à la suite du refus réitéré du ministère de la Jeunesse et des Sports du Royaume d’organiser la compétition selon le calendrier prévu, compte tenu des risques sanitaires liés à l’épidémie Ebola. Les Lions de l’Atlas ont alors été automatiquement disqualifiés et ne pourront prendre part au tournoi.


Le Comité exécutif de la CAF vient d’apporter un point final aux atermoiements, concernant l’organisation de la CAN 2015 par le Maroc. Cette décision fait suite à plusieurs semaines d’incertitudes. Depuis le début du mois d’octobre, Rabat avait en effet multiplié les déclarations contradictoires, quant à l’accueil de cette compétition, prévue du 17 janvier au 8 février 2015. Étant donnés les tensions sanitaires et le risque de propagation du virus Ebola -en raison de la mobilité des équipes et des supporters-, le Royaume a, dans un premier temps, proposé de décaler le tournoi à juin 2015, voire à 2016, avant d’annoncer, dans un deuxième temps, qu’il renonçait à son organisation, pour, enfin, de revenir sur ses propos.


Face à cette attitude, la CAF s’est d’emblée montrée extrêmement ferme, indiquant qu’elle maintiendrait la compétition aux dates prévues, tout en se gardant de ne préciser à aucun moment un lieu d’organisation alternatif. En dépit de l’argumentaire déployé par le ministère de la Jeunesse et des Sports marocain dans un courrier du 8 novembre 2014, « maintenant sa demande de report de la CAN Orange 2015 à 2016 » [1] , qui considérait comme « inapproprié de se voir contraint, dans le cadre de la mise en œuvre de mesures préventives, de refuser l’entrée sur son territoire à des concitoyens africains » [2] , le Comité exécutif de la CAF a finalement décidé, le 11 novembre, de retirer l’organisation la compétition au Royaume et de sanctionner son équipe nationale pour « non-respect par la Fédération royale marocaine de football des clauses réglementaires et contractuelles » [3]


Au-delà de ces simples faits, plusieurs conclusions sont à tirer de cette décision, tant pour la CAF que pour le Maroc.


À la suite de cette annonce, le président de la Confédération, Issa Hayatou a voulu justifier le maintien de la compétition, considérant que son report aurait « porté un coup mortel au football africain et à sa crédibilité ». La CAN « est l’épreuve phare du football africain » et il était donc impensable qu’elle soit reportée aux calendes grecques. En d’autres termes, la CAF ne voulait pas créer un précédent pour cette compétition organisée depuis 1957. Le Maroc se devait-il alors de prendre toutes les mesures nécessaires pour organiser cette compétition, ne pouvant faire valoir aucun cas de force majeure pour demander son report ?


L’embarras de la CAF est clairement perceptible car elle doit désormais rechercher dans la précipitation un nouveau pays hôte, susceptible de se préparer et d’accueillir dans de bonnes conditions la compétition dans deux mois. Cette situation s’était déjà produite il y a deux ans avec l’accueil de la CAN 2013 par le Ghana, en lieu et place de la Libye l’hôte initialement désigné, pour d’évidentes raisons de sécurité. Pour le moment, la CAF fait preuve d’une grande discrétion sur les potentiels candidats, alimentant de ce fait les rumeurs. Si les noms du Nigeria et de l’Égypte reviennent régulièrement, l’organisation de la compétition par ces pays semble compliquée en raison de leurs situations sécuritaires et sanitaires intérieures délicates. Aussi, le choix pourrait se porter sur de récents organisateurs, comme le Ghana ou l’Angola. Pour l’instant, seuls le Nigeria et l’Angola ont explicitement fait part de leur intérêt. Enfin, le Qatar, en dépit de sa position géographique éloignée, est lui aussi mentionné [4] .


Pour le Maroc, la situation est plus que délicate, et ce à plusieurs titres. D’un point de vue économique, il est évident que le pays sera pénalisé. Le Royaume avait, en effet, engagé des travaux pour pouvoir accueillir la compétition. En outre, il risque d’être pénalisé et contraint à dédommager contrats publicitaires, sponsoring, droits de diffusions télévisuels, etc. De surcroit, le Comité exécutif a précisé que la « Commission d’organisation de la CAF appliquerait ultérieurement les dispositions règlementaires qui s’imposent », laissant craindre une amende conséquente pour Rabat, voire une suspension de l’équipe nationale des compétitions continentales.


Ensuite, cette sanction porte un coup important à la diplomatie sportive mise en œuvre par le Royaume chérifien depuis quelques années tandis que les ambitions de Rabat de rayonner par le sport sont compromises. Les efforts faits depuis les années 2000, avec les candidatures successives aux grands événements sportifs – dont la Coupe du monde de football – et l’envie de se présenter pour l’organisation des Jeux olympiques, se trouvent mis à mal, et les atermoiements de Rabat risquent grandement de porter préjudice à son image sportive.


Par ailleurs, il est fort à parier que les relations diplomatiques entre le Maroc et ses voisins risquent de connaître quelques difficultés à l’avenir. Enfin, concernant l’argument sanitaire, le virus Ebola constitue assurément une menace considérable, qui ne doit en aucun cas être prise à la légère. Les autorités marocaines ont raison, en ce sens, de soulever la question de la pertinence du maintien d’une compétition sportive à l’échelle continentale, compte tenu des risques de propagation : cela relève du bon sens. Toutefois, renoncer à l’organisation d’une compétition au nom de ce risque alors que le pays continue d’accueillir des conférences internationales, voire même d’autres événements sportifs – la Coupe du monde des clubs en décembre 2014, par exemple – brouille le message du Royaume. Néanmoins, en réitérant sa volonté de faire prévaloir le principe de précaution et sa vigilance concernant la propagation, en s’appuyant sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Maroc a quelque peu réussi à faire oublier ses tergiversations et voit sa prudence saluée. Aussi, Rabat a tout intérêt à mettre en avant cet argumentaire afin de minorer les autres raisons évoquées : retard dans les préparatifs, craintes d’attentats terroristes ou encore faiblesse des résultats de l’équipe nationale. Raisons qui, elles, seraient vraisemblablement moins bien reçues.


[1] Ministère de la Jeunesse et des Sports du royaume du Maroc, Communiqué de presse, Rabat, 8 novembre 2014 (http://www.mjs.gov.ma/files/can2015.pdf).
[2] Ibid.
[3] CAF, « La CAF constate le refus du Maroc de maintenir la CAN Orange du 17 janvier au 8 février 2015 », Communiqué de presse, 11 novembre 2014.
[4] À noter qu’en octobre dernier, l’Afrique du Sud avait pris les devants en signifiant qu’elle ne souhaitait pas organiser la CAN.

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