ANALYSES

Crise au Mali : quels enjeux pour la France ?

Interview
4 avril 2012
Le point de vue de Philippe Hugon
L’Etat français est directement concerné par les évolutions au Nord Mali, principalement par le biais de ses ressortissants détenus au Sahel, largement oubliés par la campagne présidentielle. Le Mali est un pays francophone, membre de la zone Franc et ayant des accords de coopération militaire avec la France. De plus, la coopération décentralisée mise en place entre les deux pays a créé des intérêts économiques pour la France dans la région. Autre exemple de ces liens, les immigrés maliens constituent l’une des premières communautés africaines en France. Certains vont même jusqu’à qualifier la ville de Montreuil de « première ville du Mali » en terme de population. Face au risque grandissant, les 5000 ressortissants français qui habitent au Mali ont été priés de quitter le pays provisoirement. Il s’agit actuellement d’une des zones les plus vulnérables de la planète pouvant conduire à une situation proche de celle de la Somalie ou de l’Afghanistan.

Alors que la France a de nombreux intérêts politiques, miniers, linguistiques dans le pays, Serge Michailof ( Le Monde.fr , 29 mars) nous rappelle que l’aide affectée au monde rural des 5 pays francophones du Sahel s’élève en moyenne à 14 millions euros par ans, soit 1,4 millième de l’aide officielle et 2,3 millième de l’aide effective tenant compte des mesures en trompe l’œil. Ces chiffres montrent avec évidence que l’aide demeure affectée en fonction d’intérêts diplomatiques et économiques défendus par le ministère des Finances. Ce dernier privilégie un soutien à l’aide multilatérale ou militaire pour palier au coût des interventions par exemple en Lybie. Les priorités énoncées par la politique d’aide française ne sont conformes ni aux intérêts des populations africaines ni aux enjeux stratégiques pour la France. Au lieu d’anticiper les facteurs crisogènes, les interventions se font post-conflits par le biais de l’aide humanitaire et par les interventions diplomatiques et ou militaires.

Un plan Marshall pour le Sahel préconisé par Serge Michailof pourrait être mis en œuvre. Il ne peut être efficient qu’en étant lié au réinvestissement des ressources nationales vers les zones fragiles. Ce plan devra tenir compte des équilibres complexes entre la soutenabilité écologique et la prise en compte de l’environnement, l’équité sociale et la compréhension des structures sociales, l’efficacité économique et les soutiens au tissu économique. Il faut ainsi s’appuyer sur les savoirs locaux et sur les acteurs ayant une connaissance intime de la nature mais ayant besoin de mobilité et d’accessibilité à l’eau. Une politique alternative d’aide humanitaire doit s’attaquer aux racines de ces crises, répondre aux attentes des jeunes et sauvegarder l’environnement. Cela passera entre autre par le développement de l’enseignement et de la santé. Elle suppose d’agir par des programmes de grande ampleur, mobilisant les bailleurs de fonds qui favoriseront un effet de levier de l’aide française mais également les autorités locales et leurs acteurs (ONG, collectivités territoriales, acteurs privés…). Les actions humanitaires et la coopération décentralisée ne sont pas aisées dans un monde insécurisé et la première nécessité concerne l’appui aux réfugiés dans les camps des pays voisins. La coopération décentralisée doit évidemment, en situation de conflits, s’appuyer davantage sur les cadres locaux et agir à distance. Cela se fera au travers des réseaux d’information, d’envoi de fonds et d’enseignement, qui auront pour rôle d’inciter à l’élaboration des projets entre secteur privé, collectivités territoriales et ONG. La reprise des projets de développement et des actions de l’administration territoriale est aujourd’hui en jeu.

Les solutions militaires sont toujours vouées à l’échec si elles ne s’attaquent pas aux causes profondes des conflits armés. Une réorientation de l’aide française et une politique de développement dans les zones les plus marginalisées semble urgente. Il importe que les candidats à l’élection présidentielle française se prononcent clairement sur leurs positions et propositions face à ces risques même si les enjeux internationaux sont largement absents de la campagne.
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