ANALYSES

Tokyo approuve ses premières exportations d’armements

Tribune
22 juillet 2014
Dans le cas de la coopération avec la Grande-Bretagne, il s’agit de co-développement dans le cadre du programme de missile Meteor développé par le fabricant de missiles Matra BAe Dynamics Alenia (MBDA) ainsi que d’autres entreprises européennes.

Le missile air-à-air Meteor – un missile très véloce (vitesse supérieure à Mach 4) et à longue portée (supérieure à 100 km) – servira notamment pour améliorer les capacités d’interception des avions Eurofighter, Gripen et Rafale.

Ce type de missile est aussi destiné à être monté sur le chasseur américain furtif F-35 qu’a choisi l’armée de l’air nippone (appelée force d’autodéfense aérienne) pour renouveler une partie de sa chasse. 42 appareils sont commandés, dont 4 sont prévus dans le budget militaire pour l’année fiscale 2014(1). Tokyo assurera la production de certains composants(2) de cet appareil très coûteux.

Dans le second cas, avec les Etats-Unis, il s’agit de l’exportation par le groupe d’industries lourdes Mitsubishi Heavy Industries (MHI) de capteurs destinés à être utilisés dans le système de missiles de défense PAC-2 (Patriot Advanced Capability-2) qui doit être vendu au Qatar. ‘Cette décision (d’exportation) intervient après les États-Unis ont signé lundi 14 juillet un accord avec le Qatar pour vendre des hélicoptères d’attaque Apache à cet Etat du golfe Persique et des systèmes de défense aérienne Patriot et Javelin pour un montant évalué à 11 milliards de dollars (3).’ Ce type de capteurs est un composant clef d’un dispositif infrarouge placé au bout du missile, qui identifie et traque les cibles, a rapporté le quotidien d’affaires nippon Nikkei.

Concernant la recherche conjointe avec la Grande-Bretagne, un accord pourrait être conclu à l’occasion d’une réunion bilatérale entre les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays qui pourrait avoir lieu en Grande-Bretagne en septembre.

Assouplissement des règles d’exportations
C’est un exemple concret de l’application de l’assouplissement récent des restrictions aux exportations d’armements japonaises. Les exportations seront les premières depuis que le Japon a approuvé, en avril, une nouvelle politique en matière d’exportation d’armes à l’étranger.


« Le 1er Avril, le Conseil des ministres japonais a pris la décision importante de supprimer un embargo (en place depuis 1967) sur les exportations d’armes (4). » A l’origine, cet embargo empêchait le Japon de vendre des armes aux pays communistes, aux pays impliqués dans des conflits internationaux, et aux pays soumis à un embargo par une résolution des Nations Unies. Ces trois principes ont été transformés en une interdiction générale en 1976. L’embargo a été assoupli en 2011 pour permettre au Japon de s’engager dans le développement et la production d’armes avec les États-Unis, notamment dans le cadre de la défense antimissile. En avril de cette année, les principes ont donc été entièrement supprimés et remplacés par un embargo sur les exportations d’armes vers les pays en conflit et des exportations qui seraient en violation des résolutions de l’ONU.


Ces nouvelles règles autorisent le développement et la production d’armes en partenariat avec les Etats-Unis et d’autres pays, et l’exportation d’équipements militaires à des fins pacifiques et humanitaires, comme dans le cas de missions de maintien de la paix de l’ONU. Tokyo peut aussi exporter du matériel militaire à des pays qui se situent le long de voies maritimes par lesquelles transitent les importations de pétrole et de gaz, vitales pour l’économie japonaise.


Par conséquent, le Japon est aujourd’hui en mesure de transférer des technologies militaires à des partenaires ou alliés et de développer conjointement des systèmes d’armes.


Les conséquences géopolitiques

Cette évolution va inévitablement conduire à des relations de sécurité plus profondes et une plus grande interopérabilité entre les Forces d’auto-défense japonaises et les forces armées d’autres pays. Seulement deux jours après la révision de l’embargo sur les armes, le ministère de la Défense japonais a proposé que le Japon accueille un centre régional de maintenance pour les chasseurs F-35 qui sont en cours d’acquisition par le Japon, les États-Unis, l’Australie et la Corée du Sud, et alors que Taïwan et Singapour sont sur la liste d’acheteurs potentiels de ce chasseur furtif.


Le 8 Juillet 2014, le Japon et l’Australie ont signé un accord (5) sur le transfert de matériel et de technologie de défense. Canberra s’intéresse fortement à la maîtrise technologique nippone en matière de sous-marins et en particulier leur furtivité. La vente de sous-marins japonais de 4 200 tonnes de la classe Soryu est même évoquée (6). Ce sont les plus grands sous-marins conventionnels du monde. Et parmi les plus performants.

Tokyo entretient d’excellentes relations avec Canberra et développe un partenariat stratégique (7). L’Australie est un très important fournisseur d’énergies et de matières premières pour le Japon.

Le Japon a également exprimé sa volonté de s’engager dans le même type de coopération avec le Vietnam et les Philippines. La coopération sécuritaire avec Manille ne fait que se renforcer. Tokyo doit transférer 10 navires patrouilleurs pour les garde-côtes philippins. Deux ou trois devraient être livrés en 2015 (8) aux Philippins qui en ont notamment besoin pour surveiller leur espace maritime dans lequel Pékin a des revendications territoriales.

Il est aussi question d’exporter du matériel militaire à l’Inde, autre pays d’Asie avec lequel le Japon entretient un partenariat stratégique depuis plus d’une décennie. Tokyo négocie la vente à New Delhi d’avions amphibies de recherche et de sauvetage US-2, construits par le conglomérat industriel ShinMaywa.


La coopération technologique et industrielle ou les ventes d’armes favorisent clairement un renforcement des alliances du Japon face à Pékin.


Mais ‘bien que l’opinion publique japonaise restera un facteur de retenue s’agissant de la coopération de sécurité de haute intensité, ce nouveau développement (de la posture de défense japonaise) est un signe inquiétant compte tenu des tensions historiques, politiques et territoriales persistantes dans la région.’, souligne Lionel Pierre Fatton (9).


On peut s’interroger, en effet, sur le risque de course aux armements dans une région où les dépenses militaires progressent à un rythme soutenu et où les différends territoriaux et les souvenirs des exactions japonaises commises pendant la seconde guerre mondiale sont vifs.


En même temps, à 10 000 km de cette Asie-Pacifique sous tension, la crise ukrainienne montre la nécessité de ne pas céder face à un grand voisin menaçant, qui avance ses pions dès lors qu’il ne rencontre (quasiment) aucune résistance occidentale. La coopération en matière d’industrie d’armement peut donc aussi être un facteur de stabilité à condition de ne pas conduire à des programmes d’armements offensifs. L’équilibre à trouver est donc délicat… mais il est inévitable !

(1) Defense Programs and Budget of Japan, Overview of FY2014 Budget, p. 7
(2) ‘Industrial participation of Japan in the production of the F-35A‘, in ‘Initiatives Aimed at Maintaining, and Strengthening Defense Production and Technological Bases’, in Defense of Japan, pp 278 et suivantes,
(3) ‘Japan OKs first major military tech deals since arms export ban eased‘, The Japan Times, 18 juillet 2014
(4) Lionel Pierre Fatton, ‘Japan’s New Defense Posture‘, The Diplomat, 10 juillet 2014
(5) ‘Australia Inches Closer to Japanese Submarine Deal‘, Maritime Executive, 9 juillet 2014
(6) Zachary Keck, ‘Australia and Japan to Ink Submarine Deal‘, The Diplomat, 8 juillet 2014.
(7) Lire notre analyse sur le sujet
(8) Jerry E. Esplanada, ‘Patrol boats from Japan to start arriving in 2015‘, The Inquirer, 31 mars 2014
(9) Lionel Pierre Fatton, ‘Japan’s New Defense Posture‘, The Diplomat, 10 juillet 2014

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